J'ai eu l'occasion de vous présenter tout à l'heure dans leurs grandes lignes les raisons de mon opposition à ce projet de loi. J'aimerais maintenant détailler davantage certains points.
L'article 1er ouvre la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, sans condition de critère médical d'infertilité, et avec un remboursement à 100 % par la sécurité sociale.
Avouez qu'il y a un certain paradoxe à permettre la prise en charge de la PMA non thérapeutique par l'assurance maladie : les femmes concernées ne souffrent d'aucune pathologie. L'Académie nationale de médecine s'est posé la question et a conclu dans son rapport que « le financement de ce choix sociétal personnel par l'assurance maladie n'est pas cohérent avec les missions qui lui sont assignées ». C'est l'évidence même, me semble-t-il.
En ce qui concerne l'ouverture de la PMA aux femmes seules, j'ai expliqué combien la mesure me semble irresponsable étant donné le taux de pauvreté et de précarité spécifique aux familles monoparentales, mais ce n'est pas ma seule objection. En effet, votre projet de loi rejette la PMA post mortem. Je vous rassure, je n'y suis pas favorable – mais comment expliquer à une femme qu'on lui interdit d'effectuer une PMA avec les gamètes de son mari décédé, mais qu'elle peut très bien la réaliser avec les gamètes d'un tiers donneur qui lui est, par définition, inconnu ? Ce n'est ni logique ni juste. Le problème, c'est que, dans votre texte, on réfléchit à l'envers : on raisonne, encore et toujours, en fonction du désir d'enfant de la femme et non dans l'intérêt de l'enfant.
Vous avez décidé, par l'article 3, de lever l'anonymat du tiers donneur ; c'est, je pense, une bonne chose. Malheureusement, vous l'avez fait sans en prévoir les conséquences. Les tiers donneurs seront-ils informés du nombre d'enfants qu'ils auront engendrés et qui pourront, à 18 ans révolus, vouloir retrouver leurs origines, donc entrer en contact avec leurs « géniteurs » – comme il faudrait dorénavant les appeler ? Faut-il faire savoir, pour des raisons évidentes relevant de l'information médicale, que l'enfant est issu d'une PMA avec tiers donneur, et comment le faire ? Ce renseignement doit-il être consigné dans le dossier médical partagé ? Si tel est le cas, pourquoi donc ne pas prévoir la levée de l'anonymat à 16 ans, âge auquel l'adolescent peut avoir accès à ce dossier par l'intermédiaire de sa carte Vitale ? Autant de questions qui ne trouvent aucune réponse dans l'actuel projet de loi et qui continuent de faire débat.
Encore un mot, madame la ministre de la santé. Je dois reconnaître que j'ai été profondément choquée – et je ne pense pas être la seule – par les propos que vous avez tenus en commission spéciale concernant le nouveau régime juridique de conservation des embryons conçus avec tiers donneur. Deux régimes distincts vont dorénavant cohabiter : l'anonymat des donneurs pour les anciens embryons et, pour les autres, la nouvelle règle de l'identité connue. Vous avez expliqué qu'il serait « horriblement anxiogène » pour les personnels des centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains, les CECOS, de devoir gérer deux régimes juridiques différents. Les embryons qui relèvent du premier régime seront donc tout simplement supprimés. On parle de 12 000 embryons, et cela ne semble émouvoir personne au sein de la majorité ! Quelle idée vous faites-vous donc d'un embryon pour décider sans broncher d'en éliminer 12 000 d'un coup ?
Je citerai en vrac, faute de temps, quelques autres raisons de mon opposition au texte. D'abord, j'estime que la création de chimères n'est pas souhaitable. Un embryon animal avec des cellules humaines : jusqu'où cela nous mènera-t-il ? Ensuite, je suis opposée à la création d'embryons transgéniques. Si j'entends, bien sûr, ceux qui voudraient des bébés sans défaut – qui ne le souhaiterait pas ? – , nous n'avons absolument aucun recul en la matière. Des jumelles génétiquement modifiées sont nées récemment en Chine, et, si elles sont – c'était l'objectif – moins sensibles au virus du sida, elles sont en revanche vulnérables à d'autres virus. Où est l'éthique dans tout cela ? J'avoue que je la cherche. N'y a-t-il pas des limites à ne pas dépasser ? Je le crois – mais peut-être suis-je étrangère à l'air du temps…
Chers collègues, le fait que nous votions pour ou contre le projet de loi ne sera pas anodin. Bernanos l'écrivait très bien : « Une civilisation ne s'écroule pas comme un édifice ; on dirait beaucoup plus exactement qu'elle se vide peu à peu de sa substance, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que l'écorce. » Voilà qui décrit précisément ce que vous êtes en train de faire.