Nous ne pouvons nous satisfaire de découvertes scientifiques qui n'interrogent pas les conséquences qu'elles emportent pour l'avenir de notre société. La bioéthique exige un cap, et ce cap, c'est l'homme. De tous les projets de loi que nous avons travaillés depuis deux ans, celui que nous nous apprêtons à examiner est de loin le plus fondamental, car ce que nous déciderons en dira long sur la société à laquelle nous aspirons.
Au cours des soixante heures d'audition et des cinquante heures d'examen en commission spéciale, chacun a pu s'exprimer librement, dans le respect de l'autre. Je tiens à remercier la présidente de la commission spéciale et à saluer le travail qu'elle a accompli pour que nos débats se déroulent dans un climat toujours serein et respectueux. J'espère que nous retrouverons ce même climat ici, en séance publique.
Face à la complexité des sujets bioéthiques, gardons-nous de tomber dans le piège des postures politiques. Les clivages doivent être dépassés. Les choix que nous nous apprêtons à faire ne sont pas anodins ; leurs conséquences seront réelles et durables. Si nous ouvrons aujourd'hui des possibles, des droits, nous ne pourrons pas les reprendre demain au gré d'une alternance politique. Ce n'est pas envisageable.
Je n'envie pas celles et ceux qui auraient des convictions franches et tranchées depuis des mois sur les questions abordées dans ce projet de loi. C'est avec sagesse et respect que nous devons aborder ce texte, et plus encore avec le courage d'abandonner nos certitudes et de faire abstraction de nos convictions, au profit du doute et de l'interrogation. Il nous faut douter à chaque instant, nous questionner à chaque amendement, pour que l'intérêt général prenne le pas sur nos croyances personnelles. L'exercice est difficile tant les sujets de bioéthique touchent à l'intime, mais nous devons nous y contraindre. Les enjeux l'exigent.
Le texte ouvre des possibilités scientifiques et soulève des doutes éthiques. Devons-nous laisser le progrès scientifique définir notre société et accepter toutes les avancées, qu'importent les conséquences, ou au contraire définir nous-mêmes les limites que nous voulons donner à la science, en conscience ? C'est précisément ce point d'équilibre que nous devons réussir à trouver.
Si je suis convaincu qu'il est essentiel, dans notre monde, de remettre de la science dans les consciences, ce projet de loi nous offre l'occasion de remettre de la conscience dans la science, de poser des bornes éthiques et de rappeler que tout ce qui est possible n'est pas nécessairement souhaitable.
Nous devons poser des garde-fous, réintroduire de l'humain au coeur du progrès scientifique. Certains interdits ne peuvent être transgressés. Faut-il le rappeler ? La gestation pour autrui ne figure pas dans le texte que nous examinons. Si nous ouvrons la PMA à toutes, la GPA reste interdite pour tous. L'ouverture de la PMA relève d'une logique d'égalité, souhaitée par la majorité des Français.
Je me réjouis d'examiner ce texte aujourd'hui. Depuis quelque temps, j'évoque souvent des urgences : urgence de l'accès aux soins, urgence de chacune et chacun. Après l'engagement présidentiel de 2017 et le travail effectué en 2018, il importe de faire aboutir un projet devenu une urgence pour des femmes qui attendent un tel texte depuis trop longtemps.
Au-delà de l'ouverture de la PMA, ce texte fait écho à des enjeux de société importants. Après les discussions et la création du Health Data Hub par la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, dite « ma santé 2022 », nous allons pour la première fois légiférer sur l'intelligence artificielle.
Le numérique bouleverse nos vies. Il est aujourd'hui une condition sine qua non des sciences du vivant, offrant des perspectives sans commune mesure pour l'avenir. En la matière, nous devons encore et toujours lier science et conscience. C'est pourquoi nous renforçons le consentement à l'information et consacrons la garantie humaine dans l'interprétation des résultats en cas d'utilisation d'algorithmes, de sorte que la technologie reste sous contrôle de la décision médicale, de l'humain, et que la médecine, la santé, restent avant tout des activité humaines.
Les nombreux sujets majeurs que nous examinerons ces trois prochaines semaines nous placeront au coeur de la spécificité française dans la réflexion sur les enjeux éthiques liés au corps humain.
Chers collègues, soyons sceptiques, doutons, réfléchissons à ce que nous voulons pour l'avenir. Pour paraphraser Pascal, soyons le « roseau pensant », celui qui connaît avant tout les limites humaines. Je vous souhaite de beaux et riches débats.