Pauline, Vincent et Marion ont eu des enfances comme tout le monde en rêverait d'avoir. Ils ont claqué des portes, bousculé le cadre éducatif, et leurs mots ont pu dépasser leurs pensées lors des interminables déjeuners du dimanche. Leurs parents les ont tant désirés et aimés, avant même leur arrivée, qu'ils ont transcendé les liens biologiques, largement compensés par ceux, inaliénables, de l'amour. Pauline, Vincent et Marion ont eu des enfances on ne peut plus banales. Mais à 17 ans pour l'une, à 21 et 27 ans pour les autres, ils ont enfin mis des mots sur un questionnement dont ils n'avaient jamais osé parler et qui ne les a plus jamais quittés, renforcé par l'absence cinglante de ces phrases que leurs amis entendaient tant : « Tu es le portrait craché de ta mère », « Tu as les yeux de ton père ». Faudrait-il pour autant remettre en cause une seule seconde l'amour qu'ils portent à leurs parents ? Assurément, non. Auraient-ils voulu grandir autrement ? Encore moins. Ils veulent simplement savoir, car ils sont devenus adultes sans connaître leurs origines.
Chers collègues, ce sont aujourd'hui les histoires de Pauline, de Vincent, de Marion et de dizaines d'autres Françaises et Français, déjà nés ou à naître, dont nous allons contribuer à écrire un nouveau chapitre.
Ce projet de loi est beau à de nombreux égards, car son ambition est guidée par la seule protection des individus et par la garantie du respect des droits fondamentaux. Contrairement à ce que d'aucuns peuvent prétendre, l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes ou aux femmes seules n'annonce pas la fin de la civilisation ; bien au contraire, elle témoigne de sa capacité à s'adapter à la société d'aujourd'hui.
S'il ne s'agit pas de créer un droit à l'enfant, et encore moins de créer des enfants « pathologiques », comme certains le laissent penser, la question s'impose en revanche de reconnaître l'évolution des structures sociales de la famille dans la France du XXIe siècle. Il y va du respect des droits – ceux des parents et, avant tout, ceux des enfants. Il me paraît fondamental de rappeler ce qui relève du domaine de l'évidence, mais qui doit continuer à guider notre réflexion et nos travaux : aucun enfant ne choisit de naître. Ce constat nous oblige. Il est de notre devoir de législateur de graver dans le marbre de la loi l'égalité de droits et d'opportunités des enfants qui naissent dans notre République. Sous aucun prétexte, nous ne saurions accepter que des enfants voient leurs droits réduits à cause de l'orientation sexuelle de leurs parents.
En ce sens, je tiens à saluer le Gouvernement et l'ensemble des parlementaires, de tous les bancs, qui ont contribué, lors de l'examen en commission, à faire du droit à l'accès aux origines une réalité pour le plus grand nombre. Soyons clairs : de l'aveu même de personnes conçues à partir d'un don, que nous avons rencontrées, le droit à l'accès aux origines n'est pas un droit à la rencontre. Il s'agit simplement que ceux qui en auraient besoin pour se construire, notamment en vue de donner la vie à leur tour, sachent d'où ils viennent et, surtout, quel patrimoine génétique ils transmettront. Demain, grâce à cette loi, des dizaines d'enfants, une fois devenus majeurs et après en avoir fait la demande auprès de la commission consacrée, pourront accéder aux informations non identifiantes ou identifiantes relatives à leur donneur.
Pour cette raison, ce texte est fondamentalement généreux. Il incarne l'ambition collective de dispenser la protection et l'accompagnement auxquels tous les enfants ont droit. Je me félicite – je nous félicite – des considérables avancées que nous avons obtenues lors de l'examen en commission. Citons la suppression du mécanisme de déclaration anticipée de volonté comme moyen d'établissement de la filiation pour les enfants issus de couples de femmes, l'introduction d'un professionnel de la santé psychique dans l'équipe clinicobiologique chargée d'autoriser la PMA, ou encore la suppression de l'évaluation psychologique, qui laissait croire que l'ouverture de la PMA aux femmes seules ou aux couples de femmes justifiait une telle mesure.
Peut-être pourrions-nous aller encore plus loin. Comme cela a été précisé à de nombreuses reprises, l'accès aux origines n'est pas un droit à la rencontre, encore moins une réécriture de la filiation. J'ai eu l'occasion de le dire : nous n'irons pas au bout de cette belle volonté si nous ne permettons pas aux enfants issus d'une AMP au sein d'un couple composé d'une femme et d'un homme de savoir qu'ils sont nés d'un don. J'espère que les débats dans l'hémicycle nous permettront d'avancer dans cette voie. Une fois encore, cela n'enlèverait rien aux parents, cela ferait simplement du dialogue et de l'information des enfants les objectifs ultimes.
Durant ma vie de psychiatre, j'ai vu la douleur d'enfants de couples divorcés, d'enfants ayant grandi sans père ou sans mère, ou encore d'enfants ayant grandi avec un père et une mère dans un mal-être indicible enfoui sous le silence des origines. On pourra mobiliser toutes les études empiriques possibles, je resterai convaincue d'une chose : l'amour et la confiance contribuent à l'équilibre ; personne ne peut hiérarchiser les douleurs. La vérité, lorsqu'elle est érigée comme ciment de la cellule familiale, est le début de la solution.
Jean-Paul Sartre disait : « Il est beaucoup plus facile pour un philosophe d'expliquer un nouveau concept à un autre philosophe qu'à un enfant. Pourquoi ? Parce que l'enfant pose les vraies questions. » Mesdames les ministres, chers collègues, n'ayons pas peur d'apporter de vraies réponses à tous les enfants ; c'est le moins que nous puissions faire, et c'est l'ambition de ce texte généreux et historique auquel je suis sincèrement heureuse de contribuer avec vous.
Le 03/10/2019 à 17:49, Emmanuel Bernard (Citoyen engagé) a dit :
Madame la députée, vous n'êtes pas en train d'utiliser le très précieux temps de parole de l'hémicycle pour, je vous cite "des dizaines d'autres Françaises et Français"?
Sérieusement, Madame la députée.
Il y a 70 millions de Français, plus de 8 sous le seuil de pauvreté et vous nous parlez de "dizaines"?
Ne vous laissez pas submerger par vos émotions, et pensez, je vous prie, pensez!
Emmanuel Bernard
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