Intervention de Adrien Taquet

Séance en hémicycle du mercredi 25 septembre 2019 à 15h00
Bioéthique — Article 1er

Adrien Taquet, secrétaire d'état auprès de la ministre des solidarités et de la santé :

Sans grande surprise, dans la lignée des échanges que vous avez eus avec la ministre Agnès Buzyn, nous émettons un avis défavorable aux demandes de suppression de l'article 1er. Je voudrais revenir sur quelques éléments qui ont été avancés pour défendre ces amendements : les conséquences psychologiques pour les enfants à naître, la notion souvent convoquée de l'intérêt supérieur de l'enfant, et la question du droit à l'enfant qu'a abordée M. le rapporteur.

Mais avant tout, je voudrais redire une fois encore qu'il n'y aura pas de glissement vers la GPA. La ministre et moi-même l'avons dit à de nombreuses reprises en commission, et la ministre l'a réaffirmé tout à l'heure : l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation sera sans incidence sur l'interdiction de la gestation pour autrui. Je rappelle que cette loi relative à la bioéthique n'est pas une loi d'égalité ni de lutte contre les discriminations ; même si elle peut avoir pour conséquence de rétablir certaines formes d'égalité, elle scrute avant tout les techniques médicales au prisme des principes éthiques. Monsieur Di Filippo, vous connaissez la jurisprudence constante du Conseil d'État : à situation différente, régime différent. La GPA met immédiatement en tension des principes fondamentaux de notre droit, à commencer par celui qui exclut la marchandisation du corps humain, donc le glissement que ce projet de loi vous semble laisser augurer ne pourra arriver – je l'affirme politiquement et juridiquement.

De la même façon, il n'y a jamais eu et il n'y aura aucun droit à l'enfant. Celui-ci n'existait pas hier pour les couples hétérosexuels, il n'existera pas davantage demain pour les couples de femmes ou pour les femmes seules. Il n'y a que des désirs d'enfant, et fort heureusement puisque l'amour – terme prononcé à plusieurs reprises dans cet hémicycle – est déterminant dans la construction de l'enfant. L'enfant est un sujet, non un objet de droit, et il le reste alors que nous ouvrons l'assistance médicale à la procréation à l'ensemble des femmes. Le rapporteur l'a redit : l'AMP est une démarche complexe et longue qui ne garantit en rien la naissance d'un enfant. Une équipe pluridisciplinaire accompagnera les personnes dans leur désir d'enfant d'un point de vue médical, social et psychologique, mais sans garantir qu'une naissance pourra se produire.

J'en viens à l'intérêt supérieur de l'enfant, que plusieurs d'entre vous ont convoqué. Il y a trois ans, le docteur Marie-Paule Martin-Blachais a mené une démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant, qui a montré qu'il existe un méta-besoin pour l'enfant sans lequel aucun autre besoin ne peut être comblé. Ce méta-besoin est celui de sécurité : matérielle ou physique – nous devons protéger les enfants contre toute forme de violence physique, psychologique ou verbale, d'où la proposition de loi de Maud Petit contre les violences éducatives ordinaires que vous avez votée il y a quelques mois – , mais également affective car l'enfant a besoin de stabilité relationnelle. Le besoin de stabilité affective n'est ni genré ni exclusivement biologique. Ce qui compte c'est l'altérité ; c'est d'être entouré de gens qui vous ont désiré, qui vous aiment, qui vous servent de repères.

Mesdames et messieurs les députés, je ne connais pas vos histoires personnelles, même si, comme le disait la ministre, nous avons probablement tous un rapport personnel avec ce texte et les questions qu'il soulève ; vous ne connaissez pas non plus mon histoire à moi. Mais chacun d'entre nous s'est construit avec des figures d'attachement multiples : le père, la mère, mais aussi parfois un grand-père ou une grand-mère. Le président Faure l'a bien dit : les figures d'attachement vont bien au-delà du cercle familial restreint, voire du cercle familial tout court. C'est ainsi que les enfants se construisent, et l'article 1er que nous nous apprêtons à adopter ne remet pas en cause cette réalité. Il n'altère en rien l'intérêt supérieur de l'enfant ni sa faculté à se construire. Il n'est pas question de nier la place et le rôle du père dans la construction de l'enfant – vous avez raison, monsieur le rapporteur, il n'y a pas d'« exit le père » – , mais de reconnaître l'existence d'autres modèles familiaux, tout aussi respectables, au sein desquels un enfant pourra s'épanouir.

Aujourd'hui, les grossesses résultant d'une procréation initiée hors du territoire national par des femmes en couple ou célibataires sont suivies en France ; les enfants naissent en France et leur filiation est légalement établie dans notre pays. Mais le passage des frontières est actuellement réservé aux femmes les plus aisées, ce qui aboutit à une situation d'inégalité. Des femmes se mettent en danger simplement pour fonder une famille, en recourant à des donneurs trouvés sur internet.

Oui, mesdames et messieurs les députés, la société française a évolué vers un modèle familial qui ne se réduit plus à une configuration conjugale unique ; nos concitoyens sont prêts à entériner ce changement et il nous faut accueillir ces nouvelles formes familiales et non les stigmatiser. Notre devoir est d'apporter la sécurité, y compris médicale, à ces familles, femmes et enfants, en permettant l'accès à l'AMP, en France, aux couples de femmes et aux femmes seules ; c'est pourquoi nous sommes défavorables à ces amendements qui visent à supprimer une des mesures majeures du projet de loi.

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