Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du mercredi 25 septembre 2019 à 21h30
Bioéthique — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Mesdames les ministres, vous avez fait le choix d'introduire l'AMP pour couples de femmes et l'AMP pour femmes seules au sein d'un même article, en faisant l'amalgame entre les deux au nom de l'égalité d'accès à une technologie.

Il est rare que l'on construise un article autour d'une technologie et non autour d'un projet de société. Ce sont pourtant deux situations totalement différentes.

Si l'on s'en tient à l'AMP pour couples de femmes, les diverses enquêtes menées depuis 1986, notamment aux États-Unis, sur des adolescents de 17 ans et de jeunes adultes de 25 ans, sont rassurantes. Menées dans de nombreuses familles et sur le long terme, elles concluent que la scolarité de ces enfants se déroule de manière satisfaisante. Ils ont un réseau d'amis riche et sont très proches de leurs parents.

Et surtout, il est important de le souligner, aucun d'entre eux n'a souffert d'agressions sexuelles ou de violences de la part d'un parent ou d'un proche, alors que 8 % des adolescents américains de 17 ans ont été victimes d'abus sexuels de la part d'un parent ou d'un proche, et 26 % d'entre eux de violences commises par leur entourage.

Il n'y a jamais de certitudes mais, quitte à choquer certains et certaines d'entre vous, ces éléments me font penser que l'AMP pour couples de femmes a l'intérêt de bousculer le mythe d'une société patriarcale qui serait, par nature, bonne pour l'équilibre de l'enfant.

Ces femmes sont fort loin d'être majoritaires. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir. Un peu de matriarcat ne peut pas faire de mal !

La levée de l'anonymat, en revanche, me paraît fondamentale, pour toutes les raisons que mon collègue Joachim Son-Forget a évoquées.

En ce qui concerne l'AMP pour femmes seules, le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis du 15 juin 2017, a reconnu que l'absence de double lignage parental consécutive à ce modèle familial soulevait des interrogations éthiques spécifiques. L'enfant à venir sera volontairement, d'emblée, privé d'une double filiation.

Dans cet avis, le CCNE souligne le manque d'études sérieuses sur les conséquences induites par cette particularité sur les jeunes enfants.

On pourrait dire, comme Aurore Bergé, que l'on n'a pas besoin des études. En tout cas, on ne peut affirmer qu'elles existent.

Enfin, les pédopsychiatres auditionnés par la commission spéciale ont unanimement exprimé leurs préoccupations quant aux conséquences de l'AMP pour femmes seules sur les enfants.

Mon collègue Olivier Faure a mentionné tout à l'heure Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et spécialiste de l'attachement, mais il n'a cité qu'une partie de ses propos. Boris Cyrulnik est favorable à l'AMP pour couples de femmes et déclare : « Ce qui compte, c'est qu'il y ait deux. S'il y a deux, l'enfant a d'abord une base de sécurité, qui est le corps de sa mère, et très rapidement, il apprend à aimer quelqu'un d'autre. Son monde natal s'ouvre. »

Il ajoute, et cette partie a été oubliée par mon collègue : « S'il y a un, l'enfant est prisonnier de l'affection de sa mère. »

Il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause l'éducation donnée par des femmes seules à leurs enfants lorsqu'elles sont confrontées à cette situation du fait d'un accident de la vie. Évidemment, les enfants élevés par ces femmes peuvent se construire. Il convient cependant de distinguer une situation subie d'une situation créée volontairement.

Certains collègues ont souligné que l'adoption pour les femmes seules existait, ce qui suffisait à justifier l'AMP pour femmes seules. Les deux situations sont pourtant très différentes. Dans le cas de l'adoption, les enfants sont déjà là et n'ont pas de parents. Il est bien entendu préférable pour eux d'avoir un parent que pas du tout.

Enfin, madame la ministre, il est possible juridiquement, sans mettre à mal la notion d'égalité, d'ouvrir l'AMP aux seuls couples de femmes. C'est ce qu'a indiqué le Conseil d'État : « Rien ne s'oppose à faire une éventuelle distinction entre ces deux publics. »

Cette position est celle qu'ont adoptée les pays nordiques, la Norvège, la Finlande et la Suède, souvent cités pour leur modèle sociétal avancé. Que ces pays autorisent uniquement l'AMP pour couples de femmes, et non l'AMP pour femmes seules, devrait nous faire réfléchir.

Tel est le sens de l'amendement que j'ai déposé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.