Intervention de Jean-Louis Touraine

Séance en hémicycle du jeudi 26 septembre 2019 à 9h00
Bioéthique — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique :

Je le répète, il avait été décidé que nous aurions un débat serein et approfondi, dans le calme, et permettant d'analyser tous les arguments des uns et des autres. C'est ce que nous faisons.

Nous avions d'ailleurs été sollicités par le Conseil d'État qui nous demandait de compléter le texte par une disposition autorisant la poursuite du projet de procréation en cas de décès du mari.

Si le sujet est d'importance – et je remercie tous les collègues qui se sont exprimés – , ce n'est pas tant en raison du nombre de femmes concernées, à savoir une par an en moyenne, que par la haute valeur symbolique qu'aura notre décision.

La demande du Conseil d'État était motivée par deux raisons, l'une logique et l'autre pratique.

La première est que, lors des révisions antérieures des lois de bioéthique, le législateur avait d'abord accepté la PMA post mortem avant de revenir sur cette décision au motif que cela aurait ouvert la PMA aux femmes seules. Si nous étendons le bénéfice de la PMA aux femmes seules, nous revenons au souhait initial du législateur : autoriser la poursuite du projet parental même en cas du décès du mari.

Quant à la deuxième raison, pratique, elle est liée à une décision de justice récente, précédemment évoquée. En plusieurs circonstances, des femmes ont sollicité le droit d'utiliser des gamètes ou des embryons après le décès du mari. Récemment, l'une d'entre elles a obtenu du Conseil d'État que ses embryons lui soient restitués afin qu'elle aille effectuer la PMA en Espagne. De ce fait, à l'avenir, les femmes placées dans des circonstances comparables seront incitées à saisir le Conseil d'État afin de mener à bien leur PMA à l'étranger. La pérennisation de telles démarches mettrait notre pays dans l'inconfort sur le plan juridique et sur celui des droits de l'homme.

De plus, si nous récusions cette avancée, nous entraverions un choix parental formellement exprimé puisque, dans les couples concernés, la conservation des gamètes et plus encore celle des embryons avait pour objet un projet parental. Il faut laisser la femme décider si, à la lumière des discussions qu'elle a pu avoir avec son compagnon, elle souhaite le prolonger ou l'interrompre.

Quelles pourraient être les difficultés si nous adoptions cette mesure que j'appelle de mes voeux ? Celles tenant aux successions ont été aplanies puisqu'il est de tradition, dans ces cas, que la succession soit différée. Cela permet d'attendre un ou deux ans, et la succession est traitée secondairement.

La raison commande de ne pas prolonger ce délai outre mesure, et il est important que nous encadrions cette période. Un délai d'un ou deux ans après le décès paraît tout à fait raisonnable.

Faut-il accorder cette possibilité dès le décès du conjoint ? Il nous semble raisonnable de prévoir un délai minimum – de six mois par exemple – , permettant de traverser la phase de deuil et donc de s'assurer que l'enfant à venir ne soit pas celui du deuil, que la femme ne soit soumise à aucune pression d'aucune nature et qu'elle puisse décider par elle-même et sereinement la poursuite éventuelle de ce projet parental.

Permettez-moi, pour conclure, de dire pourquoi il me semble qu'il s'agit ici de l'importante question des droits de la femme. Il fut un temps, beaucoup trop prolongé dans l'histoire, où, dans une société patriarcale, les femmes n'étaient pas libres de disposer de leur corps, de décider pour elles-mêmes, pour leurs embryons.

En 1975, elles ont enfin pu conquérir la libre disposition de leur corps, accepter ou non une grossesse. Ne revenons pas en arrière. La liberté de choisir de maintenir ou pas le projet parental qu'elles ont formulé avec leur compagnon est de même nature : la femme est souveraine dans son choix. Certaines ne voudront pas prolonger le projet. C'est tout à fait respectable. D'autres voudront persévérer. C'est également respectable.

L'objet de cet amendement est de laisser à la femme le soin de décider par elle-même, hors de toute pression et après la phase de deuil, l'avenir qu'elle veut donner à son enfant et à elle-même. L'embryon congelé doit-il devenir son enfant, doit-il être donné à une autre famille pour devenir un jeune qui viendra voir cette femme lorsqu'il aura dix-huit ans, ou doit-il être détruit ? Faisons confiance à cette femme pour décider ce qui est mieux pour elle et pour son enfant.

Je pense ici à l'intérêt supérieur de l'enfant…

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