Ce sera mon unique intervention, monsieur le président. Je me réjouis de la sérénité de ce débat dont témoigne l'écoute dont nous venons de faire preuve en entendant le plaidoyer de Mme Wonner.
Je me souviens d'un autre débat, à l'époque du gouvernement que dirigeait M. Manuel Valls, durant lequel ce dernier ainsi que tous les ministres présents niaient avec la plus farouche détermination l'éventualité que l'Assemblée puisse un jour discuter de la PMA ou de la gestation pour autrui – GPA. Combien de fois avons-nous entendu ces dénégations ? Cela montre bien que les engagements pris aujourd'hui pour apaiser nos craintes n'empêcheront pas qu'elles deviennent une réalité dans moins de trois ans.
Tout le monde est amené, comme moi, à se poser la question suivante : jusqu'où irons-nous dans notre défi à la nature ? N'avons-nous pas payé suffisamment cher certains débordements qui paraissaient anodins ? Sommes-nous dans une société tellement heureuse qu'elle puisse se permettre de semblables expériences ?
J'ai beaucoup aimé ce qu'a dit notre collègue Le Fur. Quand il ou elle s'en est allé, on aime ce qu'il faisait, ce qu'elle faisait. Le souvenir est une chose essentielle, mais elle ou il est mort, et avec ce décès tous les projets élaborés ensemble ont disparu. Bien sûr, le projet de faire un enfant est supérieur à tous les autres, mais, comme les autres, il est mort.
Du fait de ma très longue expérience de conseiller départemental chargé des problèmes d'adoption, je me suis passionné pour l'évolution de l'attitude des enfants adoptés au cours de ces dix dernières années, notamment sous l'influence des réseaux sociaux. Hier, l'enfant adopté était synonyme de bonheur – il le reste encore quelquefois – , mais il est devenu, bien des fois, synonyme de malheur. Après avoir discuté avec d'autres enfants et surfé sur la toile, il finit par dire un soir à son papa et à sa maman adoptifs : « pourquoi m'avez-vous arraché aux rues d'Hanoï, de Saïgon ou d'Alger ? C'était là qu'était ma vie ; c'est un projet égoïste de votre part ! »
Il reste que l'adoption a fait ses preuves au cours de tant de guerres et tant de malheurs. Au fond, il n'y avait pas d'autre choix. Aujourd'hui, vous le savez, il y a des centaines de milliers d'enfants qui ne sont à personne. Si l'on faisait les mêmes recherches que celles que l'on a heureusement faites à propos des femmes qui tombent sous les coups de leurs maris, on découvrirait le nombre incalculable d'enfants qui ne sont à personne, même en France. Ne serait-il tellement mieux, tellement plus fort, tellement plus éthique, tellement en phase avec la longue histoire anthropologique de l'homme, qu'ils soient adoptés ?
Je souhaite de tout mon coeur me tromper, mais le jour vient où après le bonheur, arrivent les interrogations. J'ai vu des familles s'abîmer et se détruire parce qu'elles avaient tout sacrifié, des années durant, pour adopter. Mais lorsque l'enfant saura que papa était mort, ou qu'un inconnu a donné son sperme, s'il ne l'a pas vendu, qu'il a eu une maman porteuse – je parle de demain, mais la GPA est inévitable – , quelle sera sa réaction ? Je pense que l'enfant est lui-même, et que nous n'avons pas de droits sur lui qui n'a rien demandé.