C'est un grand honneur pour moi d'être proposée par le Gouvernement pour occuper les fonctions de directrice générale de l'Agence de la biomédecine et un grand honneur aussi de me présenter devant vous ce matin. Cette présentation est l'occasion de dire comment j'envisage les missions de l'Agence de la biomédecine, ce que je perçois des enjeux auxquels elle est confrontée et comment il me paraît possible d'y faire face, si je suis nommée à la tête de cet établissement. Je le ferai avec modestie et prudence car, par définition, je ne connais l'Agence que de l'extérieur. Je vous dirai ensuite un mot de mon parcours professionnel et les raisons pour lesquelles je pense qu'il m'a préparée à assumer les responsabilités de directrice générale de l'Agence.
L'Agence de la biomédecine a été créée par la loi du 6 août 2004 dans la continuité de l'Établissement français des greffes, sous la forme d'un établissement public placé sous la tutelle du ministère de la santé. Ses activités se déploient dans quatre domaines qui ont en commun de requérir l'utilisation à des fins médicales ou scientifiques d'éléments ou de produits issus du corps humain. L'Agence de la biomédecine est ainsi compétente en matière de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus, de prélèvement et de greffe de cellules souches hématopoïétiques, c'est-à-dire de moelle osseuse, de procréation et enfin d'embryologie et de génétique humaines.
Les activités de l'Agence varient considérablement d'un domaine à l'autre, mais en termes simplifiés, elles consistent à assurer l'application concrète des principes issus des lois de bioéthique aux secteurs relevant de sa compétence.
En matière de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus, l'Agence est ainsi chargée de gérer la liste nationale des patients en attente d'une greffe, ainsi que le registre national des refus de prélèvement. Pour chaque prélèvement, elle détermine qui sera le receveur en appliquant des règles de répartition équitables, transparentes et opérationnelles. Elle est aussi chargée de promouvoir le don d'organes et de tissus auprès du grand public et organise à ce titre, la journée nationale de réflexion sur le don d'organes qui a lieu chaque année le 22 juin. Enfin, elle propose aux professionnels de santé des formations portant sur l'accueil des familles en deuil à l'hôpital.
Dans le domaine du prélèvement et de la greffe de moelle osseuse, l'Agence tient le registre France greffe de moelle, qui enregistre les donneurs volontaires et leurs caractéristiques individuelles de compatibilité. Parce que les chances de compatibilité sont seulement d'une sur quatre au sein d'une même fratrie et d'une sur un million en dehors d'une fratrie, l'Agence assure la connexion avec 73 autres registres dans le monde, susceptibles d'être interrogés lorsqu'aucun donneur compatible ne figure dans le registre national. En cas de succès, c'est elle qui organise la mise à disposition des greffons, au bénéfice des patients.
En matière d'assistance médicale à la procréation (AMP), l'Agence joue un rôle d'encadrement, de contrôle et de suivi. Elle désigne les centres autorisés à pratiquer ce type d'activité, élabore les règles de bonnes pratiques auxquelles ils doivent se conformer, et collecte l'ensemble des données relatives à leur activité. En particulier, elle tient le registre national des fécondations in vitro. En outre, il lui revient, au titre de sa mission de vigilance, de surveiller l'état de santé des personnes qui ont recours à l'AMP, ainsi que des enfants qui en sont issus. En 2017, un peu plus de 26 000 nouveau-nés étaient dans cette situation, soit une naissance sur trente.
Enfin dans le domaine de l'embryologie et de la génétique humaines, l'activité de l'Agence se déploie dans des directions multiples. C'est elle qui délivre les autorisations de recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires humaines, elle aussi qui statue sur les demandes tendant à la conservation, à l'importation ou à l'exportation de ces éléments. Elle est également chargée de délivrer les autorisations relatives à l'activité des centres de diagnostic préimplantatoire et de diagnostic prénatal, ainsi que de mettre à la disposition du public une information sur les tests génétiques.
Au-delà de ces missions sectorielles, l'Agence dispose de compétences générales qui s'exercent de manière plus transversale. En particulier, il lui revient de fournir aux pouvoirs publics, notamment au Parlement, une information permanente sur le développement des connaissances et des techniques dans les domaines relevant de sa compétence. Je n'ai pas besoin d'insister sur la contribution qu'elle a apportée dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique. À chaque fois que cela était nécessaire, l'Agence a répondu aux demandes d'information des parlementaires, ainsi d'ailleurs qu'à celles du Gouvernement et du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), en restant à chaque fois dans le rôle qui est le sien. Par ailleurs, elle a versé au débat plusieurs documents qui ont servi de référence, notamment un rapport sur l'application de la précédente loi de bioéthique.
Enfin, toujours au titre de ses missions transversales, l'Agence de la biomédecine a une mission légale de promotion des dons d'organes, de tissus, de cellules et de gamètes, qui l'amène à organiser de nombreuses campagnes de communication destinées à atteindre le grand public à travers toute la gamme des médias. La dernière campagne a eu lieu pas plus tard que samedi, sur internet, à l'occasion de la journée mondiale du don de moelle osseuse.
Dans chacun de ses domaines de compétence, l'Agence s'est imposée ces quinze dernières années comme un acteur incontournable. Cette réussite tient à la combinaison de trois facteurs-clés, dont la préservation sera ma préoccupation quotidienne si je suis nommée dans les fonctions de directrice générale.
Premièrement, l'Agence dispose d'une expertise médicale, scientifique, juridique et éthique de premier rang. Elle le doit bien sûr à ses équipes dont la compétence est unanimement reconnue. Je tiens ici à souligner l'engagement des personnels de l'Agence, qui partagent, entretiennent et développent l'expertise dont l'établissement a besoin. L'Agence doit aussi cette expertise aux liens tissés avec les 800 experts qui participent à ses travaux, apportant à sa réflexion un enrichissement incomparable.
Deuxièmement, l'Agence de la biomédecine a réussi à incarner pleinement les valeurs d'équité, de transparence et de solidarité qui reflètent la conception française de l'éthique, fondée sur la gratuité, l'anonymat et le volontariat en matière de don. Ce faisant, elle est parvenue à créer le socle de confiance qui est nécessaire pour que le don de produits et d'éléments du corps humain puisse se développer dans notre pays. L'implication des directrices générales qui se sont succédé à la tête de l'établissement depuis sa création y est pour beaucoup. Je veux saluer la contribution apportée en dernier lieu par Anne Courrèges.
Troisièmement, l'Agence est un établissement qui joue collectif et qui associe à sa démarche l'ensemble des parties prenantes. Je pense aux professionnels de santé qui interviennent directement dans les activités de prélèvement, de greffe ou d'AMP, ainsi qu'aux agences régionales de santé, aux autres agences sanitaires et aux organismes de recherche. Je pense aussi aux associations de patients, d'usagers et de promotion du don, aux sociétés savantes et aux médias. Parce qu'elle est à l'écoute de l'ensemble de ces acteurs et qu'elle veille à ce que chacun puisse jouer son rôle, l'Agence apporte une contribution unique dans les domaines de compétence qui sont les siens.
C'est donc avec beaucoup d'atouts que l'Agence aborde les années à venir et à bien des égards, elle devra surtout se préoccuper de préserver ses acquis. Pour autant, elle ne pourra pas se contenter de faire le pari de la continuité : il lui faudra en effet faire face à des défis importants, qui exigent d'amplifier les efforts et parfois de rechercher des réponses nouvelles.
Le premier de ces défis est posé par les trois plans ministériels élaborés pour la période 2017-2021 dans les domaines relevant de la compétence de l'Agence. Pour chacun d'entre eux, les objectifs fixés sont ambitieux et il reste beaucoup à faire pour tenter de les atteindre. Dans le domaine de la greffe d'organes et de tissus, il s'agit de parvenir au nombre de 7 800 greffes d'organes ou de tissus par an, dont 1 000 à partir de donneurs vivants, afin de faire baisser le nombre de personnes en attente d'une greffe – 24 000 à ce jour.
Pour répondre à ces besoins, l'Agence devra développer les dons croisés, en exploitant notamment les possibilités que prévoient certaines dispositions du projet de loi relatif à la bioéthique, si elles sont adoptées. Il lui appartiendra également d'encourager les prélèvements multiorganes et de soutenir le déploiement du protocole Maastricht III, qui autorise le prélèvement d'organes sur des personnes décédées d'un arrêt circulatoire contrôlé à la suite d'une décision d'arrêt de soins. Ce programme, mis en oeuvre par une quinzaine d'équipes, a permis la réalisation de plus de 290 greffes depuis le début de l'année. Il est sans doute possible d'aller plus loin, à condition bien sûr de maintenir un très haut degré de vigilance sur la bonne application du protocole, en particulier de garantir une parfaite étanchéité entre la procédure d'arrêt des soins et celle de prélèvement. En outre, l'Agence devra rester attentive aux progrès des nouvelles techniques susceptibles de constituer des alternatives à la greffe, telles que les dispositifs artificiels pouvant tenir lieu d'organes, la thérapie cellulaire ou encore la xénogreffe. Enfin, il n'y aura de succès possible dans ce domaine éminemment collectif qu'avec la mobilisation de tous : les professionnels, autour de l'idée que la greffe reste une priorité nationale dans le domaine de la santé, et le grand public, autour de celle que le don d'organes et de tissus est un acte fort de solidarité qui bénéficie indirectement à tous.
Dans le domaine de la greffe de cellules souches hématopoïétiques, le plan ministériel adopté en 2017 fixe pour objectif d'amplifier la mobilisation des donneurs, afin d'atteindre le nombre de 310 000 personnes inscrites au registre France greffe de moelle. Il s'agit en particulier de mobiliser des hommes jeunes, qui offrent les plus grandes possibilités de compatibilité. Pour ce faire, l'Agence devra poursuivre les campagnes de communication ciblées vers les publics recherchés et développer les possibilités d'inscription en ligne au registre. Elle devra aussi exploiter les possibilités offertes par la greffe haplo-identique, qui permet de transplanter les cellules souches d'un proche à moitié compatible avec le receveur et qui donne de bons résultats.
Enfin, dans le domaine de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines, le plan ministériel adopté en 2017 prévoit l'autosuffisance nationale en matière de don de gamètes. Pour les ovocytes, c'est un objectif dont nous sommes encore loin et l'Agence devra poursuivre les campagnes de promotion déjà engagées afin d'accroître le nombre de donneuses. Elle devra également continuer à soutenir les activités de préservation de la fertilité pour les personnes qui font l'objet d'un traitement susceptible d'y porter atteinte et à développer la vigilance dans le domaine de l'AMP.
À côté de cet effort pour atteindre les objectifs fixés par les plans ministériels, l'Agence devra conduire un autre chantier d'envergure : il consistera à mettre en oeuvre les dispositions de la loi relative à la bioéthique lorsque celles-ci auront été adoptées par le Parlement. Vous l'avez dit, madame la présidente, ce texte prévoit de nouvelles compétences pour l'Agence de la biomédecine. Il est trop tôt pour dire quelles seront exactement ses compétences – c'est tout l'enjeu du débat parlementaire qui a commencé – mais il est certain que je veillerai, si je suis nommée à la tête de l'Agence, à ce qu'elles prennent effet le plus vite possible et à ce qu'elles soient appliquées d'une manière parfaitement fidèle à l'intention du législateur.
Je m'y attacherai en particulier si, comme c'est envisagé à ce stade, le Parlement décide de confier à l'Agence de la biomédecine la mise en place et la tenue d'un registre relatif aux donneurs de gamètes, de manière à permettre l'exercice d'un droit d'accès aux origines pour les enfants conçus dans le cadre de l'AMP avec recours à un tiers donneur.
Enfin, l'Agence devra continuer dans les prochaines années à évaluer l'efficacité de ses propres procédures et à développer les interactions avec les autres agences sanitaires sur les sujets d'intérêt commun. Cette orientation devra être poursuivie, sans que soit menacée l'attractivité des métiers de l'Agence et en veillant à maintenir la qualité de vie au travail de ses personnels.
Je me présente aujourd'hui devant vous en ayant conscience de ne pas être une spécialiste de la biomédecine, mais avec la conviction que mon expérience et les compétences que j'ai acquises peuvent être utiles à l'Agence. Membre du Conseil d'État depuis 2004, j'ai d'abord été affectée à la section du contentieux, puis à la section des finances en qualité de rapporteure. En 2007, j'ai rejoint le cabinet du ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, pour exercer les fonctions de conseillère juridique et diplomatique. À mon retour au Conseil d'État, j'ai été nommée dans les fonctions de rapporteur public auprès de l'assemblée du contentieux, puis de rapporteur public auprès du Tribunal des conflits et de rapporteur adjoint auprès du Conseil constitutionnel. Ces diverses expériences ont développé chez moi la capacité à prendre des décisions dans des situations complexes, l'impartialité et le sens du travail en équipe.
Ces compétences seront utiles à l'Agence de la biomédecine si je suis nommée à la tête de celle-ci. L'Agence est chargée en effet d'une mission particulièrement sensible : parce qu'il lui revient d'appliquer certaines dispositions des lois de bioéthique, elle est amenée à prendre des décisions dont les applications sont très lourdes pour les personnes intéressées, soit qu'elles touchent à leur survie, soit qu'elles concernent leur projet parental, soit qu'elles aient trait à des maladies génétiques dont leur descendance pourrait être affectée.
La gravité de ces enjeux fait de la légalité et de l'impartialité des décisions de l'Agence une exigence de premier ordre. Compte tenu des fonctions juridictionnelles que j'ai exercées au Conseil d'État, je crois avoir été bien préparé à y répondre. Par ailleurs, je peux compter sur une bonne connaissance de l'administration centrale, acquise notamment au cours de mon passage en cabinet ministériel, qui est nécessaire pour que l'Agence puisse jouer son rôle auprès des différents services du ministère de la santé et de l'ensemble des parties prenantes.
Enfin, si j'ai fait du droit ma profession, le socle de ma formation et de ma culture est scientifique. Après des classes préparatoires aux concours scientifiques, j'ai intégré l'École polytechnique, au sein de laquelle j'ai suivi notamment un enseignement approfondi en biologie cellulaire. Cette expérience m'a fortement sensibilisée aux enjeux de la recherche scientifique, en particulier dans le domaine de la génétique. Elle est de nature à me permettre de nouer un dialogue fructueux avec les personnels de l'Agence, de même qu'avec ses partenaires extérieurs.
Pour ces diverses raisons, je crois disposer d'une expérience professionnelle et d'une formation académique qui peuvent aider l'Agence de la biomédecine à répondre aux enjeux qu'elle devra relever dans les années à venir. Je veux vous dire que si je suis nommée à sa tête, mon engagement au service des missions qu'elle assure sera total.