C'est une préfète en effet, Mme Évelyne Decorps, ancienne ambassadrice de France au Mali.
En bas, vous avez les territoires des pôles, la Terre Adélie, avec la base Dumont d'Urville, également revendiquée par la France sur ce territoire administré par Mme la Préfète Évelyne Decorps. Elle délègue ses pouvoirs, en dehors des aspects de sécurité et de souveraineté, à l'IPEV, en charge de l'organisation logistique, de la gestion des infrastructures, et des transferts de matériel et de personnel. Au centre en bas, vous avez la station Concordia, située au Dôme C, gérée à parité de moyens avec l'Italie. En bas à droite, vous avez le Svalbard, avec la station AWIPEV que nous gérons avec l'Allemagne depuis 2003. C'est la seule station de recherche gérée par deux nations de manière conjointe en Arctique.
Nous gérons également des moyens logistiques lourds. Sur la photo centrale, ce sont les raids terrestres que nous mettons en place chaque année pour alimenter la station Concordia. Sur la carte de l'Antarctique en haut à gauche, vous voyez la station Dumont d'Urville sur la côte. La station Concordia est située à 1 100 kilomètres à l'intérieur des terres. Pour la ravitailler, nous nous appuyons sur ce cordon ombilical. Ce sont trois voyages de vingt jours aller-retour chacun qui servent à transporter le fret pour alimenter cette station. Sans ce cordon ombilical, la station ne pourrait pas exister. Par ailleurs, nous opérons le navire ravitailleur « Astrolabe », qui est en soutien à la logistique antarctique. Ce navire est une particularité dans l'organisation au niveau de l'État français puisqu'il est la propriété des TAAF. L'Institut polaire français est l'autorité d'emploi. Nous gérons ce navire pendant cent vingt jours par an lors de la mission de logistique en Antarctique. L'armement appartient à la Marine nationale, puisqu'en dehors des cent vingt jours, ce navire est chargé des missions de surveillance dans la zone économique exclusive française de l'océan Indien, autour des territoires que nous avons mentionnés auparavant. C'est donc un navire de guerre.
Des moyens logistiques, c'est une chose, mais il faut évidemment que cela serve. Il y a des résultats, heureusement, et je les illustre ici par ces deux graphiques qui ont été produits par les Norvégiens. On ne peut pas nous targuer de subjectivité dans leur analyse. À gauche, vous avez le nombre de publications scientifiques produites en Arctique et en Antarctique par les différentes nations. Vous voyez que les États-Unis dominent encore le monde en la matière. La France se situe au sixième rang mondial, juste derrière la Norvège. En revanche, quand on regarde les index de citation des articles scientifiques – ce n'est pas seulement le nombre de citations, mais leur impact au niveau de la communauté scientifique, ce qui est quand même plus important – la France se situe au deuxième rang mondial. Peu de gens le savent, et je pense que c'est important de le souligner. Nous sommes devant les États-Unis, devant l'Australie, et devant l'Allemagne.
Ces publications scientifiques, à quoi ont-elles trait ? Les grandes catégories de sujets scientifiques que nous soutenons sont variées. En dehors de la planète Terre, c'est d'abord l'astronomie. À Concordia, nous soutenons des travaux de recherche sur les exoplanètes. Il y a eu par exemple une publication il y a quinze jours dans Nature Astronomy sur la découverte d'une exoplanète autour de Beta Pictoris, qui repose en grande partie sur les observations que nous conduisons hiver après hiver dans cette station, au coeur du continent antarctique.
Ensuite, ce sont deux grandes catégories : d'une part, les sciences de la terre, d'autre part, les sciences du vivant. Les sciences de la terre, c'est la géophysique. Nous étudions la terre interne, les tremblements de terre, le magnétisme terrestre, avec des stations d'observation pérennes. Nous étudions également l'atmosphère, sa physique, sa chimie, son lien avec l'évolution du climat. Les terrains polaires étant des terrains couverts de neige et de glace, la glaciologie occupe une place prépondérante dans les sciences accompagnées par l'IPEV. Ensuite, les sciences du vivant, biologie et écologie. Nous avons affaire à des écosystèmes très particuliers, avec des aspects de biodiversité, des aspects d'adaptation des espèces, un environnement changeant, comme ailleurs dans le monde. Particularité, nous soutenons également des recherches en biomédecine puisque nous avons affaire à des milieux extrêmes où les hommes sont isolés dans des conditions qui se rapprochent des futures missions spatiales vers Mars. Nous avons, par exemple, un accord avec l'Agence spatiale européenne pour étudier les personnels que nous entretenons en hivernage dans la station Concordia sur un plan épidémiologique, toxicologique et psychologique.
Sur ce type de sujet, je pense qu'il est important de mettre en place un benchmarking international. Ma conclusion est assez lapidaire. La France fait beaucoup avec peu. Ce diagramme en barre vous montre en bleu le budget en millions d'euros consolidé, mis en place par différentes nations pour soutenir cette logistique dans les régions polaires. Je vous rappelle qu'avec la France, représentée par l'IPEV, nous disposons d'un budget d'environ 18 millions d'euros. Le budget de l'Italie est un peu au-dessus de 20 millions d'euros. La Corée du Sud se situe à 45 millions d'euros pour la même mission. L'Allemagne dépasse les 50 millions d'euros, et les Australiens sont également à 45 millions d'euros. Quand on regarde ce montant par rapport au nombre de personnels permanents gérant cette mission logistique – les personnels de l'IPEV – aujourd'hui, nous avons trente-huit permanents. Comparons avec l'Australie, qui a pratiquement soixante-quinze permanents. Nous amenons sur ces terres à peu près autant de scientifiques pour des missions que la Corée du Sud, avec un budget deux fois et demie inférieur. Nous pouvons appeler cela un miracle. Je ne vous cache pas que le miracle arrive à ses limites. Aujourd'hui, en tant que directeur de l'Institut polaire, je dois gérer des ressources humaines qui sont à bout, avec des personnes qui craquent et qui commencent à se mettre en disponibilité. Le miracle ne va pas se prolonger très longtemps avec les moyens dont nous disposons.
Quand on parle d'Antarctique – ma collègue Anne Choquet l'a évoqué – il y a les aspects de revendications territoriales, des enjeux stratégiques de présence des nations, d'influence des États sur ces régions. J'illustre le propos par quelques exemples très récents. Les États-Unis ont voté la modernisation de leur station de recherche côtière McMurdo pour un budget de 315 millions d'euros. L'Australie investit très fortement. Je rappelle que ce pays revendique 42 % du territoire antarctique. Il vient d'engager plus d'un milliard d'euros sur trente ans dans un nouveau brise-glace et pour son opération de recherche. Il s'est lancé dans la modernisation de ses trois stations côtières pour un budget de 275 millions d'euros. Le Royaume-Uni lance un nouveau brise-glace pour 180 millions d'euros et vient de rénover sa station côtière, Halley. L'Italie est en train de construire une piste en dur pour permettre à leurs avions d'atterrir sur la côte de l'Antarctique. La Russie bénéficie de fonds privés, ceux du milliardaire Leonid Mikhelson, patron de Novatek, deuxième producteur de gaz naturel en Russie, qui investit son argent personnel pour reconstruire la station historique Vostok au coeur du continent antarctique pour un budget de 56 millions d'euros. La Pologne possède une station en péninsule Antarctique, la station Arctowski, et son gouvernement vient de voter 21 millions d'euros pour la rénover. Où se situe la France dans tout cela ? Je rappelle que la France revendique la Terre Adélie et dispose d'une station historique, la station Dumont d'Urville, construite en 1955, qui attend une rénovation. La station Concordia a été inaugurée avec les Italiens en 2005, pour une durée de trente ans ; elle se trouve à mi-vie. La France est la seule nation du G7 à ne pas posséder de navire à capacité océanographique polaire. Nos chercheurs qui veulent conduire des recherches dans les milieux polaires sont obligés de se tourner vers des partenaires qui veulent bien leur laisser de la place à bord de leur bateau.
Pour l'Arctique, nous sommes dans un domaine où la France n'est pas possessionnée. Il faut s'articuler avec les nations possessionnées de l'Arctique. Je vous présente un panorama des projets que soutient l'IPEV avec ces différents pays. Au Svalbard, nous sommes évidemment très présents puisque nous avons une station de recherche, mais nous collaborons avec les Canadiens, les Américains, les Russes, les Danois et les Groenlandais, avec les Islandais également. Il va falloir renforcer ces actions de partenariat.
Une particularité en Arctique est que nous possédons une station qui s'appelle la station Corbel. Elle est sur le sol norvégien, au Svalbard, mais a été construite par Jean Corbel en 1963. Depuis, c'est une propriété française. Il se trouve que c'est une station qui fonctionne en site propre, avec de l'énergie propre, avec éoliennes et panneaux solaires. Elle a le potentiel de soutenir des recherches particulières qui ont besoin de conditions particulièrement propres, comme l'observation des aurores boréales sans pollution lumineuse ou comme la chimie de la neige. En 2016, le nouveau gouvernement norvégien a publié un livre blanc, qui rappelle notamment que le traité du Svalbard, signé en 1920, ne concernait pas la recherche, et donc qu'aucun État partie de ce traité n'a de droit pour mener des activités de recherche dans l'archipel. Les Norvégiens contestent donc notre droit à conduire notre propre recherche là-bas. Il appartient aux autorités norvégiennes, en vertu de la souveraineté de la Norvège, de réglementer l'activité de recherche. Nous sommes aujourd'hui, je ne vous le cache pas, dans un contexte diplomatique compliqué avec ce pays, qui rend la conduite de nos recherches au Svalbard un peu plus difficile qu'elle ne l'était avant 2016.
À mon sens, le point infrastructurel polaire français est clairement au sud, il ne faut pas l'oublier. La France revendique la Terre Adélie. Elle possède les terres subantarctiques. Cela implique évidemment un poids important dans cet hémisphère sud. Il y a des enjeux stratégiques, mais également scientifiques dans ces régions, notamment sur les questions du niveau des mers, l'adaptabilité des espèces, la question des aires marines protégées. Vous savez qu'à travers la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR), la France défend notamment la création de nouvelles aires marines protégées en Antarctique de l'Est, position à laquelle la Chine et la Russie s'opposent pour l'instant. Il existe des enjeux de téléconnexion climatique. Nous parlons beaucoup du climat en ce moment, et pour cause. L'Antarctique vous paraît très lointain, et pourtant, il est connecté également au climat que nous vivons ici.
La maintenance des stations de recherche en Antarctique, à mon sens, doit faire, à court terme, l'objet d'une stratégie commune entre, d'une part, le ministère de la recherche et, d'autre part, le ministère des affaires étrangères. Il ne faut pas oublier le subantarctique. Je rappelle que, depuis le mois de juillet, les îles subantarctiques et les mers australes françaises sont inscrites au patrimoine mondial naturel de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).
Au nord, je vous ai présenté très rapidement le contexte norvégien compliqué au Svalbard. J'espère que le ministère des affaires étrangères va pouvoir nous appuyer sur ce point délicat.
Globalement, au sujet de l'Arctique, il faut développer nos collaborations bilatérales et explorer notamment les possibilités d'échanges de services entre Arctique et Antarctique. Je prends l'exemple du Canada, qui est partie non consultative du traité sur l'Antarctique et ne possède pas de station de recherche. Nous en possédons. Nous pouvons faire en sorte que les chercheurs canadiens accèdent à nos moyens et, en échange, les Canadiens nous facilitent l'accès à l'Arctique, où ils disposent d'une présence technique et logistique très importante.
Se pose la question de l'autonomie offerte par un brise-glace à capacité océanographique. À mon sens, la France n'a pas vraiment les moyens de s'engager dans cette voie. Je serai plus en faveur de la création d'un outil européen, au sein duquel une quote-part française importante serait créée.
En conclusion, l'innovation est un maître mot en milieu polaire. Ce sont des lieux exigeants, où nous avons besoin d'énergies renouvelables. Nous avons besoin de transmettre des données, là où les satellites sont pratiquement inexistants. Nous avons besoin d'automatisation pour limiter la présence humaine – la présence humaine est risquée, nous jouons avec des vies là-bas –, de robotique, de manière à remplacer l'humain dans l'acquisition des données, de capteurs intelligents mis en réseau, de nouveaux vecteurs. Romain Troublé en parlera à propos des capacités de Tara à mettre en place de la recherche dans des conditions un peu nouvelles. Je pense que la France peut être un fer de lance en la matière. On disait, en 1973, que « la France n'a pas de pétrole, mais elle a des idées ». Je pense que c'est toujours valable. Nous pourrions être très actifs en la matière en développant des partenariats académiques et industriels. Je terminerai mon propos en reprenant les termes de Michel Rocard pour la feuille de route 2016 pour l'Arctique : « L'ensemble de ces initiatives requiert une valorisation de la recherche française sous la forme d'un soutien fort des tutelles institutionnelles et scientifiques. » Je pense que ces propos sont toujours d'actualité.