Intervention de François Gemenne

Réunion du mardi 17 septembre 2019 à 17h00
Commission des affaires étrangères

François Gemenne, directeur de l'Observatoire Hugo sur l'environnement et les migrations de l'Université de Liège :

Il y a deux questions auxquelles je voudrais répondre.

D'abord celle des liens entre la dégradation du climat et les migrations. Il faut savoir que la distribution géographique de la population mondiale a toujours été largement déterminée par des facteurs environnementaux. Comme nous sommes à l'aube d'une autre transformation environnementale majeure, cela va induire des redistributions de la population. Ce seront d'abord des redistributions internes, c'est-à-dire que l'essentiel des flux migratoires liés aux dégradations de climat seront des flux à l'intérieur des frontières de certains pays. Il va également y avoir toute une série de déplacements internationaux. Pour le moment, nous les estimons encore assez mal. Différents chiffres que vous avez cités circulent dans le débat public. La réalité est qu'il est aujourd'hui très difficile d'estimer le futur de ces flux migratoires, parce que cela dépendra largement des politiques que nous allons mener aujourd'hui, notamment des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre et des politiques d'adaptation.

Je veux remercier le député Alain David d'avoir rappelé que la France avait pour le moment la présidence de l'organisation internationale en charge de ces questions, la plateforme sur les déplacements liés aux catastrophes, qu'elle assume depuis le 1er juillet et jusqu'au 31 décembre de l'année prochaine. Je m'étonne que cette question fasse si peu l'objet d'un débat public et de l'attention des médias en France. Je serais curieux de savoir combien parmi les membres de l'Assemblée nationale savent que la France est aux manettes sur ces questions pour le moment.

Effectivement, il y a toute une série de politiques que nous pouvons développer. Autant je ne suis pas sûr qu'un statut de réfugié serait le plus approprié pour les migrants climatiques – il serait de toute façon politiquement très difficile à négocier –, autant je pense qu'il faut pouvoir apporter des protections complémentaires, notamment aux personnes victimes de catastrophes naturelles devant fuir et tout abandonner d'un coup. Toute une série d'autres mesures peuvent être prise au niveau local, en coopération avec les gouvernements, notamment des accords régionaux ou bilatéraux qui fonctionnent déjà très bien. Il ne faut pas croire du tout que nous sommes démunis face à cette situation. Toute une série d'instruments existe. Il faut maintenant pouvoir les mobiliser. La France est aux manettes pour dix-huit mois et il en reste quatorze ou quinze. C'est une opportunité unique, précisément pour se saisir de ces questions.

Je vais dire un mot de la première question posée, qui est importante, à savoir : pourquoi ces questions divisent-elles autant les citoyens, font à ce point peur et mobilisent à ce point les passions ? Je crois qu'il faut se méfier du décalage entre le ressenti de la population et les données statistiques. Très souvent, ces données ne correspondent pas du tout au ressenti des populations, notamment parce qu'il y a une très forte concentration des populations étrangères à certains endroits du territoire.

Plus fondamentalement, la question des migrations nous renvoie à la question de notre identité collective. En d'autres termes, comment allons-nous nous définir en tant que groupe ? Allons-nous considérer ceux qui viennent d'ailleurs comme une partie de nous-mêmes ou comme des étrangers ? Cette question de l'identité collective fait forcément appel à des ressorts psychologiques qui touchent à certaines peurs profondément ancrées en nous. Je crois que c'est pour cela qu'il est aussi important que l'Assemblée nationale puisse débattre de ces questions. C'est au fond la plus formidable des questions que puisse traiter une assemblée de représentants de la nation : qui sommes-nous collectivement ?

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