Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du mardi 1er octobre 2019 à 21h30
Bioéthique — Article 3

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Nous abordons de nouveau une question sensible. Je peux comprendre les questions d'enfants nés de procréation médicalement assistée – PMA – avec donneur ; je peux comprendre une quête qui est celle, sans doute, de chacun d'entre nous, une quête au cours de laquelle nul n'obtient toutes les réponses qu'il attend et qui peut être un moteur puissant d'histoires personnelles, une quête qui peut s'assouvir de tant de façons. Mais cela soulève pour nous de nombreuses interrogations.

Je tiens à redire mon attachement à l'anonymat du don en tant qu'une des garanties de la gratuité de l'acte, de son désintéressement, de son caractère entier – y compris, et peut-être même a fortiori, pour les gamètes. Faut-il que ce don-là déroge aux règles ? Nous craignons que votre choix ne conduise à trop de raccourcis et qu'il soit susceptible de fragiliser tout l'édifice du don. Gratuité, anonymat, volontariat, finalement, nous préservent tous.

Vous nous dites que l'anonymat serait préservé puisque l'identité du donneur ne serait pas révélée aux parents de l'enfant. Mais elle serait révélée quand même… Et les démonstrations juridiques n'y changeront rien. Au passage, les parents revendiqueront bientôt la possibilité de connaître a priori le donneur, parce qu'il n'y a rien de plus intime, parce que celui-ci pourra être en contact avec l'enfant à sa majorité.

On invoque comme justification le droit de l'enfant, alors même que le droit en question s'appliquera à sa majorité. Nous nous interrogeons sur les effets de cette possibilité sur les enfants dans leur développement, sur l'attente qu'elle va faire grandir en eux et sur les illusions qu'ils seront susceptibles de nourrir. Où est vraiment, ici, au bout du compte, l'intérêt supérieur de l'enfant ? On ne sait pas bien, finalement, jusqu'où nous conduit cet argument du droit d'accès aux origines, qui reçoit bien des acceptions. Il nous semble entraîner plus de conséquences qu'il n'y paraît, et c'est peut-être la grande incohérence du texte.

Il nous semble en effet que cette mesure modifiera profondément l'esprit de la PMA et, d'une certaine façon, accentuera la différence entre couples, ou entre enfants, selon qu'ils seront nés ou non d'une PMA avec donneur. Et l'on ne peut que s'interroger sur le fait que cette disposition soit adoptée au moment même où la PMA est étendue aux couples de femmes et aux femmes seules.

On peut craindre également qu'elle ne modifie les relations familiales, au risque de la confusion, comme le montrent les demandes, formulées au cours du débat, de permettre la rencontre entre enfants issus d'un même donneur, ou même entre les enfants nés du don et les enfants du donneur, sans qu'il existe aucun autre lien entre eux. Cela créera des relations qui pourront être belles, mais qui pourront aussi devenir problématiques en raison de ce lien particulier, issu d'un don, pouvant créer un sentiment de dette et de culpabilité. Ainsi, dans l'ombre de la loi, pourront s'insinuer des formes de reconnaissance, voire de rétribution, ne serait-ce que symboliques.

On parle de l'attente de l'enfant, mais quelle sera celle du donneur, sachant qu'il peut être retrouvé ? Comment croire que cette possible irruption du donneur ne changera rien pour un couple, pour une femme seule ? On pourrait d'ailleurs discuter, d'un point de vue éthique, du caractère universalisable de cette disposition et se demander, par exemple, s'il est juste de créer une obligation pour le donneur d'accepter la levée de son anonymat sans contrepartie – contreparties que, du reste, nous ne souhaitons pas.

Enfin, cela nous conduit à nous interroger sur la notion d'origines, ainsi ramenées, paradoxalement, à leur dimension biologique ou, plus exactement, génétique – du côté du sang – , mais aussi sur la notion d'identité qui, ainsi comprise, renvoie à des débats beaucoup plus larges.

À mes yeux, nous sommes façonnés par notre histoire familiale, nos rencontres, nos lectures, notre travail, par notre effort biographique, par nos efforts d'amarrage ou de détachement. Nous sommes également façonnés par ce que nous savons de notre histoire – par exemple, être né de la générosité d'un don. Mais qui sait vraiment tout des conditions de sa conception ?

Les origines, en l'occurrence, ce sont les parents, leur désir, leur projet, leurs propres parents, leurs grands-parents, et sans doute bien au-delà. Nous intégrons, inconsciemment et consciemment, le bagage de l'humanité. L'essence humaine, c'est bien le monde de la personne humaine, et ce monde de relations, c'est l'ensemble des rapports sociaux. C'est notre capacité individuelle à nous y inscrire, notre capacité collective à le permettre qui nous façonnent et nous humanisent.

Dès lors, ce que nous allons trouver dans les gènes mérite-t-il les risques que nous allons prendre ? Nous nous demandons quelles sont les véritables réponses que recèle la génétique, hormis celles contenues dans les données non identifiantes. Quel est, en définitive, le sens du don ? S'il est bien effectué par une personne, il revêt une dimension sociale, car la personne qui donne, si elle a des motivations propres, le fait au nom de ce que nous avons décidé de rendre possible comme un droit, grâce à la technique, au nom de la société.

C'est pourquoi notre réflexion ne nous conduit pas à en revenir au culte de la vraisemblance, bien au contraire : nous discutons de l'établissement de ce nouveau lien dans l'ordre de la famille. Nos réserves sont donc grandes sur cette disposition, qui mérite à nos yeux de bien plus amples réflexions. Et il nous semble qu'elle risque in fine d'affaiblir le droit à une assistance médicale à la procréation – AMP – et son extension aux couples de femmes et aux femmes seules. Sommes-nous vraiment allés au bout du questionnement éthique ?

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