Ce point précis a fait l'objet d'une réflexion assez longue entre les Insoumis ; il a été débattu. La conclusion est contradictoire, puisque nous ne voyons pas tous les choses de la même manière ; nous verrons ce que chacun d'entre nous aura retenu du débat au moment du vote. Cependant, une majorité d'entre nous a émis le point de vue que je vais vous présenter et qui rejoint la position de Pierre Dharréville.
Vous avez compris le principe dont nous nous réclamons et que j'ai résumé au début de la discussion du texte : nous croyons que la filiation est de nature « déclarative », grand mot pour dire qu'à nos yeux, elle n'a pas de vérité biologique, elle n'a de vérité que sociale et culturelle. Si nous approuvons le projet de loi, tel que nous le comprenons – après tout, chacun le comprend comme il le souhaite – , c'est parce qu'il ne contient rien qui contredise cette vision des choses.
Nous nous sommes opposés à ceux qui disaient qu'il existe une vérité biologique dont procède la filiation – ils le disaient avec une conviction égale à la nôtre et, peut-être, avec autant ou aussi peu de préjugés, si l'on admet que nos échanges relèvent de libres délibérations et que tous les points de vue y ont leur valeur. Nous voyons une étroite liaison entre cette idée et celle que les sociétés humaines procèdent, elles aussi, d'une vérité biologique. J'ai dit devant vous la semaine dernière qu'il y avait un rapport entre cette conception et le droit du sang, alors que nous considérons, pour notre part, que la filiation n'est que sociale et culturelle.
Je sais qu'il s'agit d'une idée choquante, car nous vivons dans un autre contexte : dans cette salle, chacun a, peu ou prou, une mère et un père, et il est difficile d'entendre qu'il puisse en être autrement. Cela dit, nous plaidons pour que l'on ne contourne pas la vérité de ce que nous sommes en train de faire : nous établissons une filiation de type nouveau. Elle sera minoritaire dans la société, parce que, de fait, ce ne sera pas le cas qui se présentera le plus fréquemment, mais nous posons une filiation nouvelle, que nous reconnaissons entièrement et totalement, non pas à moitié, en partie ou par petits morceaux ! Je pense évidemment aux couples homosexuels – j'évoquerai ultérieurement les couples hétérosexuels, qui sont également engagés, collègues, par la décision que vous aurez à prendre. Ne tournons pas autour du pot : nous reconnaissons la filiation d'un enfant qui a deux parents du même sexe !
Une première préoccupation est exprimée par certaines associations d'enfants issus d'une PMA, qui font état de la souffrance que représente pour eux l'ignorance de leurs origines. Il n'est nullement dans mes intentions ni dans celles de mes amis de discuter cette souffrance, de la soupeser ou de la comparer à d'autres choses. Cependant, elle ne constitue pas, pour nous, un argument fondant des droits.
Les souffrances de l'identité humaine sont innombrables. Elles provoquent parfois des situations dramatiques. J'ai le souvenir de ces situations affreuses, en Argentine, d'enfants enlevés à leurs parents assassinés et élevés par d'autres familles. Quand leurs grands-mères finissaient par les retrouver, certains, bouleversés par la situation, révisaient l'histoire de leur vie ; d'autres le refusaient absolument, ne voulant rien savoir de cette histoire et affirmant que leurs parents étaient ceux qui les avaient élevés. La décision de ces derniers provoquait une terrible souffrance pour eux-mêmes, mais aussi une souffrance presque aussi violente pour leurs grands-mères, puisqu'elle réduisait à néant un parcours de vie, à savoir tous les efforts qu'elles avaient consacrés à rechercher leurs petits-enfants. Je ne donne cet exemple que pour montrer à quel point la vie peut faire survenir des situations incroyables et pourtant bien réelles, comme est réelle la violence des rapports humains ainsi pris dans certains angles morts.
Avec tout le respect possible, je veux dire que, si je comprends la souffrance liée à l'ignorance des origines, je pense qu'elle repose sur une illusion, celle que les parents seraient autre chose que ceux qui nous aiment et nous élèvent. C'est une illusion que la vérité biologique ; elle n'a pas de réalité. Cependant, elle peut avoir une incidence concrète, et c'est pourquoi je rejoins mon camarade Dharréville.
La connaissance des données non identifiantes peut effectivement être un atout scientifique considérable en cas de transplantation ou pour connaître les maladies dont pourrait éventuellement souffrir l'enfant. Sur ce point, je pense que Pierre Dharréville a raison, comme mes camarades qui se sont exprimés dans le même sens en commission. Son amendement, qui mérite notre soutien, vise à supprimer la possibilité pour les personnes issues d'une PMA d'avoir accès aux données identifiantes du donneur, tout en permettant la transmission des données non identifiantes, celles qui concourent au bien-être de la personne concernée. Autrement dit, nous sommes favorables à la transmission de données non identifiantes, et défavorables à celles des données identifiantes, pour les raisons philosophiques que je viens de présenter.
Qu'il me soit permis de souligner que, dès lors que l'on admettrait la transmission des données identifiantes, nous intercalerions un parent supplémentaire – et cela vaut aussi bien pourles couples hétérosexuels que pour les couples homosexuels ; je ne veux pas me réfugier derrière le couple hétérosexuel pour souligner quelque chose qui ne vaudrait pas pour les couples homosexuels. Dans le cas du couple homosexuel, ce serait réduire la filiation nouvelle que nous venons de créer à un arrangement de circonstance : la vie aurait fait que les choses sont ainsi, mais il y aurait une vérité, et un parent surgirait tout à coup.
Pierre Dharréville a évoqué les situations cocasses que la mesure pourrait provoquer. Si l'on fonde notre raisonnement sur la demande de ceux qui cherchent à savoir, alors toutes les demandes peuvent être considérées comme légitimes. La semaine dernière, certains collègues m'ont opposé un raisonnement purement formel, de déduction en déduction ; j'avoue que le mien, à cet instant, procède du même esprit. Néanmoins, si l'on accepte de répondre à certaines demandes, pourquoi ne pas répondre à d'autres, par exemple à celle d'un enfant issu d'une PMA qui voudrait connaître ses frères et soeurs ? Nous risquons de nous retrouver dans des situations de plus en plus invraisemblables.
Je m'adresse d'abord à ceux qui ont voulu aller au bout des choses avec ce projet de loi. Les votes ont montré qu'ils étaient les plus nombreux dans l'hémicycle. Premièrement, n'inventons pas quelque chose qui contourne la filiation nouvelle que nous venons de créer ! Deuxièmement, n'ouvrons pas la porte à un processus sans fin et à des situations cocasses ! Si nous reconnaissons que la souffrance fonde un droit, alors celui-ci pourra être étendu à des dizaines de situations, et nous n'arrivions plus à rien maîtriser.
Je veux ensuite parler aux conservateurs, pour essayer de les convaincre. Je comprends bien que, de leur point de vue, le droit aux origines est une manière de rétablir une vérité dont ils n'ont pas démordu jusqu'à présent.