Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification du traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle. Ce même jour, outre-Rhin, c'est le jour de l'Unité allemande, la fête nationale. Ce texte, qui a suscité des réactions tant favorables que défavorables, nous est désormais soumis.
Je l'ai dit il y a deux ans dans ce même hémicycle, aucune des grandes questions de notre temps ne peut trouver une solution seulement nationale. Changement climatique, migrations, défense, lutte contre le terrorisme et le crime organisé, développement économique, lutte contre les inégalités dans une économie mondialisée, aucun de ces thèmes n'échappe à cet impératif. La dimension européenne nous empêche de vivre seuls et enfermés dans nos frontières.
Ce que les États pris isolément ont perdu en efficacité au sein de leurs territoires, soumis à des décisions qui ne leur appartiennent plus seulement ou à des événements dont ils ne sont plus maîtres, ils peuvent le retrouver en agissant ensemble et le faire valoir hors de l'Europe face à des États plus puissants démographiquement, économiquement ou militairement.
Il faut un moteur politique à cette entité qu'est l'Europe. Le moteur, qui est littéralement ce qui met en mouvement, a été élaboré en grande partie à partir de la volonté partagée de l'Allemagne et de la France. Jean-Jacques Rousseau avait noté il y a deux siècles, appliquant une loi physique au monde moral, que l'eau n'agit jamais qu'au niveau de sa source. Et c'est parce que cet engagement a sa source dans la recherche d'une paix et d'une coopération durables qu'il faut y revenir.
Le Président de la République a employé l'expression « souveraineté européenne » pour désigner un pouvoir à affirmer et en devenir. Personnellement, je lui préférerai celle de « République européenne », associant ce qui nous est commun et affirmant un pouvoir nouveau. Le terme de souveraineté est en effet chargé d'un sens historique, lié aux États nations, et désigne plutôt le sommet. Toutefois, si le principe d'une souveraineté est que l'institution crée l'action et permet des progrès pour tous, alors elle sera comprise et acceptée.
En définitive, ce qui compte, c'est de savoir quelle direction nous donnerons à cet engagement commun. En tout état de cause, le présent traité revient à la source, le traité de l'Élysée de 1963, dont il actualise les modalités. Il lui redonne un cadre politique, notamment parlementaire.
Le traité d'Aix-la-Chapelle crée en effet une Assemblée parlementaire franco-allemande. Constituée de cent députés – cinquante Français et cinquante Allemands – , qui siégeront tous les six mois alternativement de part et d'autre du Rhin, cette assemblée sera coprésidée par les présidents de l'Assemblée nationale et du Bundestag. Elle constitue une innovation qu'il convient de saluer. Les groupes politiques en seront des composantes majeures ; il s'agira donc d'une assemblée politique, qui pourra être le creuset d'initiatives communes entre groupes.
Nos collègues allemands, très mobilisés sur les questions de subsidiarité et de coordination législative entre le Parlement européen et le Bundestag, disposent depuis 2007 d'une représentation permanente à Bruxelles ; l'Allemagne a investi dans le contrôle parlementaire aux niveaux national et européen. Grâce à nos échanges, nous pourrons bénéficier de cet investissement politique et du savoir-faire qui s'y attache. Monsieur le président, pourquoi ne pas envisager la création d'une véritable représentation permanente de l'Assemblée nationale à Bruxelles, sur le modèle de celle du Bundestag ?
Afin de jouer pleinement son rôle au niveau européen, notre assemblée devrait en effet se donner les moyens d'agir le plus en amont possible de la procédure législative européenne : mécanisme d'alerte rapide sur les textes sensibles, échange d'informations… Notre représentation pourrait s'inspirer de l'exemple allemand, tant du côté administratif que du côté politique.
On pourrait même proposer que les représentations parlementaires allemande et française, bien que distinctes, occupent les mêmes locaux, sur le modèle des représentations diplomatiques communes de certains pays de l'Union européenne. Ce serait une réelle avancée et un exemple en matière de coopération interparlementaire sur les sujets européens. Faisons vivre la volonté de travailler en commun en Europe !
Je voudrais insister sur trois points.
Premier point : la défense et la sécurité commune. Le traité d'Aix-la-Chapelle fixe comme principal domaine de coopération renforcée une politique étrangère et de sécurité commune tant au plan européen qu'entre les deux États. Rappeler le sens initial du projet européen et redonner du sens à l'Europe vont de pair. La paix et la sécurité sont au coeur du projet européen : l'Union européenne, avant la lettre, faisait partie des idées de la résistance européenne aux régimes totalitaires, notamment au national-socialisme. Les solutions à l'échelle européenne ont alors été considérées comme une condition essentielle pour assurer la paix et le développement économique.
Je le répète, tous les grands défis auxquels nos pays et l'humanité sont confrontés ont une dimension européenne – y compris la lutte contre les inégalités, trop souvent perçue comme un sujet de politique nationale. Nous soutenons le principe d'une Europe qui défend la paix et qui sait se défendre ; la sécurité à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières est au coeur des préoccupations de nos concitoyens, alors que le monde change rapidement sans que l'on puisse toujours appréhender ce qui s'y passe. Notre défense suppose des moyens communs, mais il lui faut d'abord de vraies orientations partagées se fondant sur une évaluation des priorités et des enjeux, une méthodologie et un dialogue opérationnel, auxquels notre assemblée commune peut contribuer. Et n'oublions pas que la sécurité a également une dimension économique.
Deuxième point : la question des migrations. Ne pas l'évoquer serait un non-sens. Au-delà de la sécurité, le défi migratoire doit être traité de façon raisonnable et efficace par nos deux pays, qui ont chacun une tradition d'ouverture et d'échange. S'agissant des migrations humanitaires, une solidarité accrue est nécessaire pour que les pays les plus exposés, notamment au sud de l'Europe, aient réellement le sentiment qu'ils participent à une frontière commune. Concernant les migrations à dominante économique, aucune règle commune n'est fixée au niveau de l'Union européenne. Il faudra bien y venir, et nous pouvons, là encore, contribuer à l'élaboration de ce cadre commun. Notre nouvelle assemblée constitue donc à la fois un lieu d'échanges et un creuset où élaborer les principes futurs.
Troisième point : le travail commun que nous envisageons en matière d'intelligence artificielle. Celle-ci peut être définie comme un ensemble de techniques permettant à des machines d'accomplir des tâches et de résoudre des problèmes normalement réservés aux humains et à certains animaux.
Dans ce domaine, trois défis nous attendent : celui de la recherche, qui comprend un volet relevant des sciences humaines ; celui des machines – il s'agit de savoir à quoi elles ressembleront, dans quels secteurs économiques elles seront développées et quelles seront les conséquences ; celui de la nécessaire conciliation de la valeur des machines avec les valeurs humaines, pour aboutir, en quelque sorte, à une intelligence artificielle éthique.
Nous devrions réfléchir aux moyens d'assurer une véritable formation en matière d'intelligence artificielle, à une compensation des inégalités et à une évolution progressive de la réglementation. À cette fin, nous pourrions envisager un cycle d'auditions, y compris par visioconférence, une cartographie des secteurs et des salariés concernés, une étude des enjeux juridiques. L'ensemble de ces travaux pourrait déboucher sur des propositions budgétaires et législatives que nous adresserions à nos deux parlements et aux institutions européennes. Nous pourrions aussi proposer une activité de veille sur tel ou tel aspect.
Ne nous trompons pas de débat : nous souhaitons bâtir une nouvelle puissance publique, démocratique et sociale, capable de réguler et de mieux répondre aux défis de la mondialisation. La coopération franco-allemande y contribuera, car nous sommes plus intelligents ensemble qu'isolés dans nos États respectifs. Espérons parvenir un jour à une République européenne qui comptera plus de deux membres.