Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 2 octobre 2019 à 18h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je tiens tout d'abord à vous remercier de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui sur la catastrophe industrielle qui touche depuis jeudi les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà. Son déclenchement résulte de l'incendie qui s'est déclaré sur deux sites industriels, les entreprises Lubrizol et Normandie Logistique.

Nous comprenons l'émotion et l'inquiétude que vivent tous les habitants touchés par cette catastrophe. Il est de notre devoir d'y répondre. Le Premier ministre a pris à cette fin devant la représentation nationale un engagement de transparence absolue. En effet, notre rôle n'est pas, comme je l'entends parfois, de rassurer coûte que coûte, mais bien de dire la vérité. Toutes les informations, toutes les données scientifiques seront donc rendues publiques au fur et à mesure que nous en disposerons. La présente audition participe de cette volonté de transparence.

Je veux souligner la totale mobilisation du Gouvernement et de l'ensemble des services de l'État pour faire face à cette crise aux côtés des Rouennais : le ministère de l'intérieur, en charge de la gestion de crise ; le ministère de la santé, s'agissant des impacts sanitaires ; le ministère de l'agriculture, pour les impacts sur les productions agricoles ; le ministère de l'éducation nationale pour les écoles ; le ministère du travail s'agissant de la protection des travailleurs, en particulier de ceux qui interviennent en ce moment même sur le site. Quant au ministère de la transition écologique et solidaire, sur de telles installations, il est plus particulièrement chargé de la prévention des risques industriels et, en cas d'accident, il lui appartient de prévenir tout risque de suraccident, de contrôler la réalisation par l'exploitant des opérations de dépollution et de superviser l'évaluation à court, moyen et long termes de l'impact environnemental. Le ministère remplit ses missions en s'appuyant sur l'expertise des agences de l'État spécialisées et en s'assurant que les industriels assument toutes les responsabilités qui sont les leurs.

La mobilisation du Gouvernement s'est traduite dès le début de ce très grave incendie pour prévenir tout risque pour les populations pendant la crise. Permettez-moi de rappeler les faits : l'incendie s'est déclaré jeudi matin vers deux heures quarante à Rouen sur les sites des deux entreprises. L'une d'elles, Lubrizol, produit des additifs pour lubrifiants et est classée Seveso seuil haut. Dès la survenue de l'incendie, les sapeurs-pompiers sont intervenus et ont mobilisé des moyens extrêmement importants ; au total, 200 sapeurs-pompiers venus de six départements, renforcés par des moyens nationaux de la sécurité civile ont pris part aux opérations. Ils ont par ailleurs été appuyés par des moyens d'extinction supplémentaires mis à disposition par les principaux exploitants des sites Seveso du département. Je tiens à saluer ici l'engagement sans faille des services de secours malgré les risques et leur grand professionnalisme, qui ont permis de maîtriser le sinistre dès jeudi en début d'après-midi, et surtout d'écarter tout risque de suraccident. Je voudrais aussi rendre hommage aux équipes de mon ministère, en particulier à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de la région Normandie, qui est mobilisée jour et nuit depuis la survenue du sinistre.

En complément, des moyens exceptionnels, issus notamment du plan POLMAR, ont été mobilisés pour écarter le risque de pollution de la Seine lié au débordement des eaux fortement polluées, les eaux d'extinction du site. Des barrages flottants ont permis de les confiner avant qu'elles ne soient pompées.

La protection des populations a immédiatement été au coeur de l'attention des services de l'État. Très vite, et par précaution, un périmètre de sécurité a été mis en place dans un rayon de 500 mètres autour du site. Les établissements scolaires ont été fermés dans douze communes situées sous les fumées et des consignes ont été passées afin d'inviter chacun à limiter ses déplacements. Par précaution également, la qualité de l'air a été mesurée en urgence. Des prélèvements ont ainsi été réalisés en grand nombre par les services de secours dès le début de l'incendie. Ils ont porté sur les polluants habituellement produits lors de ce type d'incendies. Ces premières analyses ont été complétées par des mesures exceptionnelles réalisées par l'association agréée de surveillance de la qualité de l'air Atmo Normandie, association indépendante. Les résultats qui nous sont parvenus et qui ont été rendus publics vendredi et samedi derniers font apparaître un état habituel de la qualité de l'air sur le plan sanitaire en dehors du site. Des analyses plus poussées ont été menées pour détecter des polluants plus spécifiques et potentiellement dangereux, notamment les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et le benzène. Les résultats, eux aussi mis en ligne samedi dernier, démontrent que, hormis pour le benzène, les taux mesurés de ces polluants sont inférieurs aux seuils à l'intérieur du site même de Lubrizol. Enfin, s'agissant de l'amiante, les derniers résultats mis en ligne hier soir montrent qu'aucune fibre n'a été détectée dans les prélèvements de surface réalisés dans un rayon de 300 mètres autour du site ; pour l'heure, les concentrations sont inférieures au seuil de recherche dans les bâtiments. Le périmètre des analyses a été étendu à des zones plus éloignées. Des morceaux de la toiture ayant pu être éjectés en dehors du site, des consignes ont été passées sur les précautions à prendre pour les récupérer, c'est-à-dire en faisant appel à des entreprises spécialisées.

Concernant les suies, des préconisations ont également été formulées par les autorités sanitaires sans attendre le résultat des analyses ; il convient de manipuler ces dépôts avec des gants et de nettoyer les surfaces touchées. Les analyses réalisées visent à rechercher les polluants dangereux les plus habituellement produits par ce type d'incendies ; métaux et HAP. Leurs résultats, mis en ligne samedi, ne mettent pas en évidence de pollution particulière hormis des traces de plomb qu'il n'est pas possible de différencier de la pollution de fond ni d'imputer à l'accident. Je tiens à souligner devant vous que les analyses ont été réalisées le plus précocement possible pour déterminer les impacts environnementaux et sanitaires de cet accident ; ces prélèvements et analyses se poursuivront aussi longtemps que nécessaire.

Nous n'ignorons pas les odeurs incommodantes qui perdurent et avons conscience qu'elles gênent et inquiètent les populations. Les résultats connus des mesures d'air permettent néanmoins aux autorités sanitaires d'indiquer que les odeurs ne présentent pas de risque pour la santé. Les services de l'État ont fixé deux priorités claires à l'exploitant dès l'extinction de l'incendie : mettre en sécurité le site pour éviter tout risque de suraccident et traiter les sources d'odeurs. Cela passe par le nettoyage des résidus de combustion sur le site – ces derniers sont sans doute à l'origine de cette impression de vivre dans une station-service, relatée par un certain nombre d'habitants – et par l'évacuation des 1 000 fûts endommagés, dont 160 susceptibles d'être à l'origine d'émanations. Le préfet a validé hier soir le protocole de traitement, qui prévoit notamment le confinement de cette pollution sous une tente, et nous avons demandé très fermement à l'exploitant de le mettre en oeuvre dans les meilleurs délais.

Nous procéderons pour la phase post-accidentelle qui vient de débuter avec le même niveau d'exigence et de transparence. L'objectif de cette phase est clair : procéder à l'évaluation la plus précise possible des conséquences de cette catastrophe, dans la durée, sur l'environnement et sur la santé. Le protocole suivi par les services de l'État est très rigoureux. Il faut d'abord affiner le recensement des substances susceptibles d'avoir été émises dans l'environnement. Alors que nous avons ciblé dans la phase de crise les principaux polluants, nous recherchons dès à présent des polluants émis en plus petite quantité ou ayant des effets potentiels à plus long terme. Comme nous nous y étions engagés, les substances stockées sur le site ont été rendues publiques. Nous avons saisi l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) afin qu'ils nous aident à identifier les polluants formés lors de la combustion de ces substances, les plus pertinents à rechercher dans le cadre de la surveillance de l'environnement. Ces données approfondies permettront d'affiner la surveillance de l'ensemble des impacts environnementaux dans l'eau, l'air, les sols et les produits agricoles. Cette surveillance qui a été prescrite à l'exploitant Lubrizol s'appuiera également sur les résultats des analyses déjà engagées. Enfin, cette cartographie de la pollution de l'environnement permettra la réalisation de l'étude de risques sanitaires demandée par les autorités sanitaires. Le Gouvernement est par ailleurs favorable à la mise en place d'un suivi médical de long terme qui sera engagé par les autorités sanitaires locales.

Nous portons également une très grande attention au transfert des contaminants potentiels vers la chaîne alimentaire. C'est pourquoi, dans le même esprit de responsabilité, les préfets et le ministère de l'agriculture ont pris très rapidement des mesures de précaution consistant à édicter le confinement des productions agricoles dans l'attente des résultats d'analyses. Le Gouvernement, bien conscient que la consignation de leur production constitue une épreuve difficile pour les agriculteurs et les éleveurs, qui sont attachés à la qualité sanitaire de leurs produits, les accompagnera.

Si nous sommes déterminés à faire la pleine lumière sur les conséquences de cet accident, nous souhaitons également une transparence totale sur ses causes. Dès jeudi dernier, j'ai annoncé le lancement d'une enquête administrative qui complétera l'enquête pénale en cours. Aujourd'hui, de nombreuses zones d'ombre demeurent, à commencer par l'origine même de l'incendie. Le site faisait en effet l'objet d'une surveillance rigoureuse des services de l'inspection des installations classées de la DREAL : depuis le précédent accident survenu en 2013, près de trente-neuf inspections ont été réalisées, les dernières datant de juin et septembre 2019. Un plan de prévention des risques technologiques a en outre été approuvé en 2014. Nous ne disposerons d'une analyse plus précise des causes que d'ici à quelques semaines, mais j'ai d'ores et déjà saisi l'ensemble des préfets afin qu'ils demandent aux exploitants des sites Seveso de renforcer leur vigilance et d'interroger leurs propres systèmes et procédures de gestion des risques au regard de cet incendie.

Parmi les retours d'expérience, madame la présidente, vous avez mentionné l'insuffisante information des citoyens. Alors que de nombreuses fausses informations sont diffusées depuis jeudi, nous devons travailler à renforcer l'information des populations en amont de la crise pour développer une culture du risque, mais aussi pendant et après la crise. Je souhaite que nous travaillions sur ce sujet avec le ministère de l'intérieur en nous appuyant sur les enseignements de cette catastrophe.

Vous l'aurez donc constaté : le Gouvernement et les services de l'État sont depuis les premières heures pleinement mobilisés pour protéger les Rouennais, et plus généralement les Français. Ils continueront d'oeuvrer avec une transparence totale, et la lumière sera faite, y compris sur les causes de cette catastrophe, car c'est ce que nous devons aux Français et à la représentation nationale.

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