Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 2 octobre 2019 à 18h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

Effectivement, madame Stéphanie Kerbarh, les autorités publiques ont accès à la liste des produits entreposés dans tous les sites Seveso. Les autorisations de ces installations comportent la liste des produits, de même que les quantités maximales, autorisés dans les sites.

Vous m'avez interrogée sur l'utilisation de ces informations. Les premières analyses, je l'ai dit, ont consisté à rechercher les produits que l'on trouve le plus couramment en cas d'incendie ; les recherches sont par ailleurs éclairées par l'étude de dangers qui incombe à l'industriel, en amont de l'autorisation des installations classées. Cette étude a pour but d'alerter sur les composants qui peuvent être rejetés dans l'atmosphère – le sulfure d'hydrogène, par exemple –, étant entendu qu'elle porte surtout sur le risque immédiat d'accident et de blessés. C'est sur la base de cette étude de dangers que les premières investigations et les premières analyses ont été réalisées. Au-delà, nous avons bien évidemment transmis la liste de l'ensemble des produits présents sur le site à l'INERIS et à l'ANSES, en leur demandant de nous indiquer s'il y a lieu de rechercher d'autres polluants qui ne font pas partie de ceux qui sont identifiés dans l'étude de dangers ou de ceux qui sont habituellement présents à la suite d'incendies de ce type.

S'agissant de la qualité de l'eau – M. Jean-Marie Sermier s'est également posé la question –, il a fallu traiter plusieurs sujets. Tout d'abord, les bassins de rétention prévus dans l'entreprise, notamment pour permettre que les eaux utilisées pour éteindre l'incendie ne polluent pas le fleuve et les nappes phréatiques, ont commencé à déborder au bout d'un certain temps. On a pu mobiliser très vite des barrages pour éviter que cette pollution, qui était arrivée jusqu'à la Seine, se propage dans le fleuve avant qu'on puisse organiser le pompage. Les précautions prises ont permis d'éviter des pollutions ; il y a eu quelques irisations qui ont pu être traitées grâce à des moyens de pompage. Voilà pour ce qui concerne la Seine. S'agissant des nappes phréatiques, la métropole de Rouen, sous le contrôle de l'ARS de Normandie, a pu rassurer les populations : la ville est alimentée par des nappes phréatiques profondes qui n'ont pas été affectées par la pollution de surface qui a pu se déposer à la suite du panache de fumée de plusieurs kilomètres. L'ARS va continuer à surveiller en permanence la qualité de l'eau. Néanmoins, compte tenu de l'origine de l'eau potable qui alimente la métropole de Rouen, on voit mal comment la pollution se diffuserait.

En ce qui concerne les dispositions prévues en cas d'accident, il y a les études de dangers et les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) sur les sites. Il existe aussi des plans d'organisation interne (POI), mis en oeuvre par l'exploitant : ce sont des mesures arrêtées à l'avance que l'exploitant doit appliquer en cas d'incident ou d'accident. Par ailleurs, un plan particulier d'intervention (PPI) est élaboré par le préfet pour anticiper et préparer la gestion de crise.

Je pense que nous devrons effectivement réfléchir, avec le ministère de l'intérieur, à la sensibilisation, à la mobilisation et à l'information des citoyens. Vous avez mentionné les comités locaux d'information et de concertation (CLIC) : ils permettent surtout de partager, à longueur d'année, une connaissance des sites et des produits qui s'y trouvent. Ce sont des lieux de concertation entre l'exploitant, les collectivités locales, les associations et l'État. Je ne suis pas sûre que la communication en direction des citoyens doit nécessairement passer par ces comités, mais on peut réfléchir à leur confier une mission de relais dans la mesure où ils réunissent autour d'une même table plusieurs partenaires qui connaissent les sites. Ces comités pourraient jouer un rôle : c'est un élément auquel on peut réfléchir quand on voit la difficulté à faire en sorte que l'information arrive bien aux citoyens et soit considérée comme crédible dans ce climat de suspicion généralisée – que certains d'ailleurs contribuent à alimenter.

Pour ce qui est des moyens mobilisés, je ne voudrais pas empiéter sur le champ de compétence du ministre de l'intérieur. Je ne pense pas que des camions NRBC aient été utilisés, mais j'ai vu sur le site des camions disposant d'équipements de mesure. Il faut souligner que cela est lié à un retour d'expérience consécutif à l'accident de 2013 : à l'époque, les services de secours ne disposaient pas d'autant de moyens de mesure. C'est une des premières crises où nous avons pu réaliser, dès le départ, des mesures de la qualité de l'air et des suies, des retombées du panache de fumée. Lors de précédents accidents, il avait fallu mobiliser des bureaux d'études, qui n'étaient pas forcément disponibles. Nous avons pu anticiper beaucoup plus largement que par le passé, grâce à des mesures effectuées dès le début de la crise.

En ce qui concerne les questions sanitaires, ma collègue Mme Agnès Buzyn a mis en place, par l'intermédiaire de l'ARS et avec Santé publique France, un dispositif de surveillance épidémiologique qui permet en particulier d'identifier les éventuels pics de consultation dans les hôpitaux et auprès de SOS Médecins. Ce système permet une évaluation rapide de l'impact sur les soins d'urgence. À plus long terme, Santé publique France étudie plusieurs scénarios de suivi sanitaire de la population. Ils pourront être ciblés en fonction de l'évaluation des impacts environnementaux à laquelle nous avons procédé sans attendre, mais qui va se prolonger dans le cadre de recherches dans tous les milieux, comme je l'ai indiqué.

Je me garderai bien, monsieur Jean-Marie Sermier, de tenir des propos définitifs et de dire qu'il n'y a strictement aucun polluant, d'aucune nature, dans l'air. Ce que l'on peut indiquer aujourd'hui est que toutes les mesures réalisées dans l'air et au sol sur les polluants qui ont pu être recherchés en fonction de ce qu'on trouve habituellement à la suite des incendies et de ce qui est signalé dans l'étude de dangers n'ont pas fait apparaître, jusqu'à présent, de teneurs anormales, voire mesurables. Nous continuons évidemment les prélèvements et nous mènerons, en partant de l'analyse de l'ANSES et de l'INERIS, le cas échéant, une recherche d'autres types de polluants. À ce stade, ni dans l'eau – j'ai répondu en ce qui concerne l'eau potable et la Seine –, ni dans l'air, ni dans les suies, on n'a identifié de teneurs anormales pour tous les produits qui ont été recherchés.

Nous n'avons pas encore les résultats en ce qui concerne les dioxines, qui constituent un sujet important pour l'agriculture. Nous disposons de premiers éléments, très partiels, sur quelques points de mesure, mais dont il n'est pas possible de tirer des conclusions à ce stade : on se retrouve en fait avec des teneurs proches du prélèvement témoin. Par ailleurs, les services compétents sont en train de consulter toute la bibliographie sur le sujet : il existe des valeurs limites pour les dioxines dans les aliments, mais il n'y a pas de valeurs de référence dans l'environnement. À ce stade, les premiers éléments n'ont pas permis d'identifier de risque en la matière, mais ils sont trop partiels. Ils méritent d'être confortés par d'autres analyses, notamment celles qui portent spécifiquement sur les productions de lait et de miel ou sur le fourrage.

Pour ce qui est de l'impact sur les acteurs économiques, je n'ai pas connaissance d'acteurs qui auraient dû interrompre leur activité après que leurs véhicules ont été souillés par des retombées de suies. Des recommandations, et même des prescriptions, ont été émises dès le départ, notamment par l'ARS, sur la façon de nettoyer les suies. Un certain nombre d'entreprises ont arrêté leur activité, en particulier sur le site lui-même. Le ministère du travail a mis en place des mesures de chômage partiel qui permettent d'accompagner les entreprises concernées. Le secteur dont l'activité est la plus affectée est évidemment l'agriculture, compte tenu des précautions très larges qui ont été prises non seulement en Seine-Maritime mais aussi dans plusieurs départements des Hauts-de-France. M. Didier Guillaume verra, selon les résultats des analyses, si l'on peut restreindre les interdictions de commercialisation qui ont été adoptées pour l'instant. Une indemnisation sera clairement assurée, mais, rappelons-le, ce n'est pas à l'État mais à l'industriel qu'il reviendra de payer toutes les indemnisations qui résulteront de ce qui s'est passé sur son site.

En ce qui concerne la communication de crise, je redis que c'est un sujet qu'il faut examiner en lien avec le ministère de l'intérieur. Je pense qu'on peut retenir l'idée qu'on doit pouvoir faire mieux. La priorité pour les services de l'État a été d'assurer la sécurité dans le cadre d'une crise très grave : il y a eu la période de l'incendie et il a aussi fallu gérer le risque de suraccident – le préfet a eu l'occasion de dire qu'il y a 1 000 fûts sur le site, dont 160 peuvent produire des émanations, notamment très pénibles en termes d'odeur. La priorité très claire a été que l'industriel assure la sécurisation du site, prépare le traitement et l'évacuation de tous les polluants et s'occupe de résorber les hydrocarbures qui se sont diffusés dans le site. On pourra peut-être retenir, en effet, que l'on aurait pu, ou dû, mieux associer les élus ou des associations environnementales. Il faudra réfléchir à cette question et peut-être prendre appui sur les commissions locales d'information et de concertation.

L'enquête administrative ne pourra pas aboutir indépendamment de l'enquête judiciaire, monsieur Christophe Bouillon. Ce que je peux dire, c'est que ce qui s'est passé n'est pas normal : c'était un site extrêmement surveillé, où des inspections réalisées en 2017 avaient conduit à mettre en demeure l'industriel de renforcer son système de protection contre les incendies. On avait pu constater en 2018 que cela avait été fait et le site a de nouveau été inspecté en 2019. Ce hangar était équipé de dispositifs de protection contre les incendies a priori très puissants, des « sprinklers ». On ne comprend pas, à l'heure actuelle, pourquoi ces dispositifs n'ont pas permis d'éviter l'incendie alors qu'ils sont dimensionnés pour le faire. Il existe toutes sortes d'hypothèses sur l'origine de l'incendie dans lesquelles je n'entrerai pas ; mais pour que l'enquête administrative puisse avancer et que l'on en tire les conséquences, éventuellement en renforçant les prescriptions en vigueur, il faut commencer par comprendre ce qui s'est passé. L'enquête judiciaire permettra sans doute de nous éclairer sur l'origine et les causes de l'incendie.

S'agissant de l'état de catastrophe technologique, je comprends très bien que les Rouennais, les populations de la métropole et au-delà, ont vécu une catastrophe industrielle. On peut donc se dire qu'il faut déclarer l'état de catastrophe technologique. Or cela renvoie à la situation que l'on avait connue après l'explosion du site d'AZF : je crois qu'il y avait alors 26 000 logements endommagés, dont les vitres étaient brisées et les toits abîmés, et 1 200 totalement inutilisables. Malgré ce que le terme utilisé peut laisser penser, l'état de catastrophe technologique donne seulement la possibilité de lever les franchises des assurances pour le type de dommages que je viens d'évoquer ; en aucun cas il ne permet d'assurer une prise en charge pour des activités telles que celle des agriculteurs. Il faudra évaluer les dommages causés par l'incendie, pour lesquels je répète que le principe pollueur-payeur s'applique totalement dès aujourd'hui. Tous les nettoyages réalisés peuvent être mis à la charge de l'exploitant, de même que les prélèvements et l'intervention des entreprises chargées de s'occuper des morceaux de toit amiantés. On pourra regarder s'il y a des dommages qui ne sont pas bien couverts aujourd'hui, mais le principe pollueur-payeur est ce qui guide la législation sur les installations classées. L'état de catastrophe technologique, tel qu'il est actuellement défini, ne semble pas la réponse adaptée à la situation, même si je suis bien consciente que les populations touchées vivent une catastrophe industrielle.

Je partage totalement l'idée, monsieur Matthieu Orphelin, qu'il y a une forte dissonance entre les messages et la perception qu'en ont les citoyens. On ne cherche pas à rassurer coûte que coûte : on dit la vérité, on essaie de la dire au mieux, en l'état des informations dont on dispose, avec les scientifiques. Il se trouve que les analyses réalisées à ce jour ne font pas apparaître de polluants au-delà des seuils habituels ; pour la plupart des polluants, les quantités ne sont pas mesurables. Et dans le même temps, nos concitoyens ont vu un énorme panache de fumée et respirent une odeur épouvantable… Je suis parfaitement consciente que cela crée une dissonance qui peut conduire, en effet, à un doute sur la parole publique. Je pense qu'on aura à réfléchir, peut-être d'une manière approfondie, à la question de savoir qui peut s'exprimer et délivrer l'information. On pourra aussi réfléchir à la manière dont on pourrait mieux acter les difficultés que nos concitoyens sont en train de vivre. En tout cas, je peux vous assurer que le Gouvernement est parfaitement conscient du paradoxe qui peut exister quand on dit à des gens qui respirent une odeur épouvantable qu'il n'y a pas de pollution dans l'air. Je n'ai pas de réponse à vous apporter à ce stade, mais je pense qu'il faudra qu'on réfléchisse à ces sujets.

On pourra aussi regarder la question des moyens humains dans le cadre de votre mission d'information. Je voudrais juste souligner qu'il y a eu trente-neuf inspections sur ce site depuis 2013, dont dix au cours des deux dernières années : je ne pense pas qu'il y ait eu une insuffisance de contrôles. En tout cas, rien ne me permet de le penser à ce stade.

En ce qui concerne les évolutions récentes de la législation, la philosophie n'est absolument pas de revenir sur les études de dangers ou les règles de sécurité. Ce sont surtout les modalités de consultation en vue de la délivrance des autorisations qui ont pu évoluer. On constate parfois que les procédures d'enquête publique mobilisent assez peu nos concitoyens et que l'exploitant et les fonctionnaires chargés de surveiller les installations classées passent davantage de temps dans les procédures que dans l'instruction de fond des dossiers. Ce sont des sujets dont on peut débattre.

S'agissant de l'état de catastrophe technologique et de la responsabilité de l'industriel, je redis que celle-ci est pleine et entière, conformément à la législation en vigueur.

Je vais maintenant répondre à Mme Caroline Fiat et à M. Hubert Wulfranc…

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