Intervention de Didier Quentin

Réunion du mardi 2 octobre 2018 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, suppléant le rapporteur d'information :

Je vais donc commencer par vous présenter les difficultés liées à la mise en oeuvre et aux modalités de la décentralisation. Comme il vient d'être rappelé, la gestion des FESI est marquée par le processus de décentralisation décidé en 2012 et mis en oeuvre au début de la période de programmation en cours. Cette décentralisation de la gestion des fonds européens a été source de nombreuses difficultés.

Une première série de difficultés tient au calendrier de mise en oeuvre de la décentralisation, qui a causé des retards importants. La décentralisation de la gestion des fonds européens n'a reçu sa consécration législative que le 27 janvier 2014, par l'adoption de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des Métropoles (la loi dite « MAPTAM »), c'est-à-dire trois semaines après le début officiel de la nouvelle période de programmation ! La réforme territoriale de 2015 – la « fusion des régions » – a également créé de la complexité et engendré des délais supplémentaires. Au total, il faudra attendre presque deux ans avant que soient validés tous les programmes relatifs à la mise en oeuvre des fonds structurels.

Une deuxième série de difficultés tient à l'insuffisance des moyens accordés aux régions pour compenser les nouvelles compétences dont elles ont bénéficié. Les besoins en ressources humaines pour la gestion des fonds ont en effet été grandement sous-estimés. Les régions ont eu du mal à pourvoir les postes nouvellement créés ou à conserver les agents qu'elles étaient parvenues à recruter. La gestion des fonds européens exige en effet une grande expertise technique dont seuls disposaient, en début de programmation, les personnels de l'État.

Les moyens techniques et informatiques mis à la disposition des régions se sont également révélés insuffisants, ou du moins inadaptés. Les différents systèmes d'information, conçus pour une gestion centralisée, ont causé des erreurs et finalement des retards dans la programmation des fonds. C'est notamment le cas du système Osiris, qui souffre encore de nombreux dysfonctionnements et qu'il faudra sans doute remplacer.

Mais surtout la décentralisation n'a été que partielle, ce qui a donné lieu à une répartition des compétences peu lisible et peu efficace. En réalité, le degré de décentralisation dépend de chaque fonds. Pour le Fonds européen de développement régional (FEDER), la décentralisation a été quasi complète. Pour le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), à l'inverse, le règlement européen impose une autorité de gestion unique au niveau national : les régions interviennent seulement comme « organismes intermédiaires » de gestion, c'est-à-dire qu'elles se voient déléguer par l'État des subventions globales. C'est pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et, dans une moindre mesure, pour le Fonds social européen (FSE), que l'architecture de gestion est la plus complexe et la moins satisfaisante.

Pour ce qui est du FEADER, la décentralisation semble davantage formelle que réelle – la Cour des Comptes n'hésite pas à parler de décentralisation « en trompe-l'oeil ». Les régions ont bien été désignées autorités de gestion des Programmes de développement rural, mais leurs marges de manoeuvre sont limitées par l'existence d'un cadre national et par le rôle joué dans l'instruction des dossiers par les services déconcentrés du ministère de l'Agriculture. La répartition des compétences entre l'État, les régions et l'Agence de services et de paiement n'est pas claire, ce qui entraîne une perte de temps et d'énergie. Autrement dit, la décentralisation n'a pas été conduite à son terme et il faudra soit aller au bout de la logique initiée en 2012, soit recentraliser.

Des réflexions analogues peuvent être faites à propos du FSE. Les régions gèrent les mesures « formation professionnelle et apprentissage », soit en gros un tiers du fonds, tandis que l'État gère les deux tiers restant, dont une partie significative est déléguée aux départements sous la forme de subventions globales. Or la partie dont les départements sont responsables en tant qu'organismes intermédiaires de gestion – la partie « insertion sociale » – est proche de la partie que les régions gèrent de plein droit, surtout depuis l'extension (avec la loi NOTRe) des compétences des régions en matière d'économie sociale et solidaire. Là encore, les doublons sont nombreux et l'architecture institutionnelle manque de rationalité.

À ces difficultés internes propres à la France, en particulier pour la programmation 2014-2020, s'ajoutent les difficultés bien connues liées à la complexité du cadre réglementaire européen. C'est presque un lieu commun de le dire : la technocratie européenne impose une réglementation lourde, difficile à comprendre et finalement contre-productive. Cette affirmation, que vos Rapporteurs ont beaucoup entendue, est sans doute excessive ; mais, dans le cas des fonds structurels européens, force est de constater que la règlementation européenne est particulièrement complexe.

Toutes les régions se plaignent des systèmes de gestion, de contrôle et d'audit, qui sont très contraignants, à la fois pour les autorités de gestion et pour les bénéficiaires. De nombreux porteurs de projet – par exemple pour le FEAMP, en Bretagne et en Normandie – semblent avoir renoncé à demander les aides auxquelles ils avaient droit tant les démarches à effectuer sont compliquées. Les contraintes administratives pèsent d'autant plus fort que les entreprises pouvant en bénéficier sont petites. Par suite, ces contraintes allongent les délais d'instruction des dossiers, encore une fois au détriment des petits bénéficiaires qui n'ont pas toujours la trésorerie pour attendre – parfois – plusieurs années avant que l'aide leur soit versée.

Du côté des régions, l'intensification des contrôles européens sur la période en cours (2014-2020) par rapport à la période précédente (2007-2013) génère des coûts de gestion importants, souvent disproportionnés par rapport au montant des subventions demandées – surtout pour les petits programmes comme le programme LEADER, rattaché au FEADER. D'autre part, la crainte que les dépenses engagées au titre des fonds européens ne soient pas certifiées par l'Union européenne – occasionnant des corrections financières – a pu entraîner une sur-règlementation nationale ou régionale (un comme peu comme la sur-transposition des directives que nous connaissons bien ici) dans le but de se prémunir contre les risques d'erreur. La réglementation régionale se superpose à la réglementation nationale, multipliant les niveaux de contrôle ; c'est un cercle vicieux dont il faut sortir pour se concentrer plutôt sur la réalisation des projets.

Mais à l'inverse, vos Rapporteurs regrettent que les régions ne se saisissent pas pleinement des dispositifs souples mis à leur disposition par l'Union européenne. C'est le cas notamment des Options de coûts simplifiés (OCS) et du mécanisme de préfinancement, qui doit permettre aux régions d'octroyer une avance aux porteurs de projet fragiles. Non seulement les régions n'utilisent pas ce mécanisme à pleine capacité, mais l'argent qu'elles perçoivent de façon automatique à ce titre est subrepticement détourné de son objet pour financer à taux zéro leurs frais de fonctionnement. Il en va de même pour l'usage des « réserves » résultant de la différence entre le taux sur lequel se basent les régions pour payer les bénéficiaires et le taux « de l'axe » qui détermine les remboursements européens qu'elles percevront. Ces pratiques dénoncées par le rapport de la Cour des comptes constituent un dysfonctionnement majeur auquel il faudra remédier.

J'en viens à la consommation des fonds européens, que nous avons essayé d'analyser aussi objectivement que possible. Je serais tenté d'employer la formule bien connue : « Quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on se console ! » C'est au regard de ces difficultés et du contexte particulier de la programmation 2014-2020 – réforme de décentralisation, réforme territoriale – qu'il faut évaluer la performance des régions et l'avancée de la programmation. Un autre lieu commun consiste à dire : les taux de programmation sont très faibles, les régions ne savent pas consommer les fonds européens. Qu'en est-il en réalité ? Comment expliquer que les taux de programmation soient si bas, les régions seraient-elles riches à ce point qu'elles se permettent de refuser ce qu'on leur donne ?

À cet égard, vos rapporteurs aimeraient nuancer l'idée selon laquelle la France ne parviendrait pas à utiliser les fonds structurels européens. Certes, les taux d'engagement sont en apparence peu élevés. Au printemps 2019, ils s'élèvent à 65 % pour le FEADER, 82 % pour le FSE et 78 % pour le FEDER. Mais il faut bien voir que la période de programmation des fonds européens s'étend en réalité jusqu'à la fin de l'année 2023. Ces chiffres sont donc provisoires et peu significatifs : ils doivent être remis en perspective.

En comparant ses performances à celles des autres États membres, on s'aperçoit d'ailleurs que la France est dans la moyenne européenne. Les pays de l'Est se distinguent certes par des taux d'engagement élevés, mais qui s'expliquent par des règles d'éligibilité plus souples – ils peuvent par exemple utiliser les fonds européens pour financer des infrastructures – ou par des choix de spécialisation agricole.

Les difficultés de programmation et les retards de paiement que connaît la France sont en fait concentrés sur des petits instruments, qui connaissent des problèmes de gestion liés à leur taille, à l'éclatement des fonds et à l'obsolescence des systèmes de gestion. Il s'agit surtout du FEAMP, qui a un taux de programmation très bas – 33 % ! –, comme le signalait déjà le rapport sur la Pêche durable pour l'Union européenne présenté ici même il y a deux mois. Le programme LEADER, rattaché au FEADER, connaît aussi des retards très importants, mais ces instruments – FEAMP et LEADER – sont de petite taille, si bien que les montants en question ne sont pas si élevés. En outre, le FEAMP est le seul fonds pour lequel la gestion n'ait pas été décentralisée : par conséquent, les défaillances éventuelles seraient plutôt imputables à l'État… Vos rapporteurs ont donc globalement confiance dans la capacité des régions à atteindre en 2023 des taux de programmation proches de 100 %. Ils n'en expriment pas moins des recommandations qui visent à améliorer et à rationaliser l'architecture de gestion des FESI pour la prochaine période de programmation.

Avant de passer la parole à Mme Liliana Tanguy, je tiens à indiquer que le Sénat a remis hier le rapport de la mission d'information sur la sous-utilisation des fonds européens. J'espère que leurs recommandations convergent avec les nôtres.

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