Comme vient de l'expliquer Didier Quentin, nous avons donc identifié trois types de problèmes, qui appellent trois types de recommandations.
D'abord, il y a un problème général de complexité réglementaire et administrative, aussi bien pour les autorités de gestion que pour les bénéficiaires. Nous ne souhaitons pas insister sur ce point, car la Commission européenne, dans ses propositions en vue de la prochaine période de programmation, présente déjà des pistes de simplification significatives – concentration thématique, options de coûts simplifiés, proportionnalité et allégement des contrôles. Ces propositions sont exposées et commentées dans le rapport. Elles ne sont pas ambitieuses, certes, mais elles vont dans le sens de ce que demandent les régions et nous serions déjà suffisamment heureux si elles étaient adoptées telles quelles après les négociations avec le Conseil.
Ensuite, se pose un problème lié à la gestion financière des flux provenant de l'Union européenne. Par les mécanismes du préfinancement et de la mise en réserve, les régions sont susceptibles – parfois sans même s'en rendre compte – de détourner provisoirement les fonds européens au détriment – comme toujours – des porteurs de projet. Nous n'insistons pas non plus sur ce point technique qui a été mis en évidence par la Cour des comptes. Il nous semble néanmoins que, pour des raisons de transparence et de traçabilité, il serait sain que les financements européens « en attente » soient affectés à un budget annexe et que, d'autre part, le mandat de l'autorité d'audit des fonds européens, la CICC, soit étendu à l'ensemble des fonds reçus par les régions – et pas seulement à la partie d'entre eux qui est effectivement reversée aux bénéficiaires finaux – comme ils devraient tous l'être.
Une façon plus radicale de régler la question des réserves serait d'aligner le taux d'intervention de l'Union européenne sur le taux des régions – « paiement au taux réel » –, ce qui rendrait impossible la constitution de réserves. En contrepartie, la Commission aurait accepté d'assouplir le mécanisme des corrections financières et de relever le niveau d'erreur toléré, comme le demandent les régions. Mais nous attirons l'attention sur le fait que ce sont les États, y compris la France, qui s'opposent jusqu'à présent au paiement des autorités de gestion au taux réel, parce qu'ils sont les premiers à bénéficier de cette faille.
Le troisième problème est strictement national et il concerne les moyens mis à la disposition des régions – compétences institutionnelles, systèmes d'information, ressources humaines – pour gérer les fonds européens. C'est pour ce type d'obstacles que nous avons pensé apporter les solutions les plus utiles et défendre une voix, celle de la représentation nationale, qui n'est pas toujours en concordance avec celle du Gouvernement, mais qui correspond à ce que nous avons entendu sur le terrain. Je vais donc détailler, fonds par fonds, nos recommandations en vue d'améliorer de façon structurelle et durable la gestion par les régions françaises des fonds européens.
Le FEADER est le fonds dont l'architecture pose aujourd'hui le plus de difficultés. Les difficultés générales constatées pour le FEADER – architecture complexe, peu lisible, système d'information inadapté – sont décuplées dans le cas du LEADER, parce qu'il s'agit d'un petit programme saupoudré entre un grand nombre de bénéficiaires. Pour s'attaquer au problème du saupoudrage, il faudrait définir des seuils en deçà desquels les dossiers ne seraient pas éligibles. On constate encore – c'est assez absurde – des cas où les demandes de subvention sont inférieures aux coûts d'instruction du dossier ! Mais notre recommandation principale est claire : revoir la répartition des compétences, entre l'État, les régions et l'Agence de services et de paiement (ASP), et aller au bout de la logique de décentralisation. La décentralisation n'a en réalité jamais été plébiscitée par le ministère de l'agriculture, qui a négocié pour conserver l'essentiel de ses prérogatives. L'équilibre trouvé est un équilibre bancal et en tous points insatisfaisants. Nous recommandons donc une décentralisation complète des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) ainsi que des mesures en faveur de l'agriculture biologique, c'est-à-dire une suppression du cadre national de gestion. Une telle réforme serait plus cohérente d'un point de vue institutionnel et plus appropriée à la nature des mesures en question, puisqu'il est clair que chaque région a ses spécificités locales ou, pour le dire autrement, l'agriculture en Bretagne n'a rien à voir avec l'agriculture en PACA – sans aucun jugement de valeur de ma part. Pour donner des garanties à l'État à la place du cadre national, chaque région pourrait s'engager par un Contrat d'objectifs et de moyens : cela permettrait de fixer des priorités nationales tout en respectant le « droit à la différenciation » des régions. En parallèle, il faudrait réorganiser l'ASP pour lui permettre d'assurer correctement ses nouvelles missions. Malheureusement, le Gouvernement semble plutôt s'orienter vers une recentralisation de la totalité des mesures surfaciques, MAEC comprises, ce qui va à contre-courant de la volonté décentralisatrice affichée par ailleurs.
L'architecture actuelle du FSE est, quant à elle, encore une fois assise sur un compromis complexe et peu soutenable. Il y a deux autorités de gestion, l'État et les régions, plus les départements qui interviennent comme organismes intermédiaires de gestion. La séparation thématique des compétences est artificielle et, bien souvent, les projets relèvent à la fois de la compétence des départements et de la compétence des régions, ce qui crée des doublons administratifs voire des doublons dans les demandes de subventions. Nous recommandons donc que les régions deviennent l'autorité de gestion de la totalité du FSE « territorialisé », c'est-à-dire qu'elles aient la responsabilité de coordonner les fonds dédiés à l'insertion et à la formation professionnelle, sans remettre en cause la délégation de gestion dont bénéficient les départements : en fait, les régions seraient chargées de verser aux départements les subventions globales à la place du préfet ; elles pourraient ainsi élaborer une véritable politique d'investissement intégrée englobant l'emploi et le développement économique. Là encore, les régions sont dans l'attente de l'arbitrage du gouvernement.
Le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche – FEAMP – est un fonds auquel les élus du littoral comme moi sont particulièrement attachés. Il s'agit d'un petit fonds qui, en raison de sa taille – 588 millions d'euros –, intéresse moins que les autres. La Bretagne est le premier bénéficiaire de ce fonds et, en tant que députée du Finistère, je dois dire que son mode de gestion ne fait pas l'unanimité. D'ailleurs, c'est le seul fonds dont les performances en termes de taux de programmation sont aussi basses – 33% – et, comme par hasard, le seul fonds dont la gestion n'a pu être décentralisée en raison de la réglementation européenne. Actuellement, il existe donc un Programme opérationnel national unique, bien que l'État ait délégué aux régions une partie de la gestion du FEAMP. Notre première recommandation serait d'étendre la part des mesures du FEAMP dont la gestion a été déléguée aux régions – actuellement, autour de 40 % –, en particulier en matière économique. Surtout, il faudrait que les régions deviennent les autorités de gestion de plein droit du FEAMP, sur le modèle de ce qui s'est fait pour le FEADER. À terme, il pourrait même être envisagé de confier aux régions la responsabilité du paiement. Les modifications réglementaires nécessaires au niveau européen pourraient être portées par les autorités françaises – à moins qu'elles ne préfèrent continuer à gérer elles-mêmes ce fonds avec le succès que tout le monde connaît –, la France étant le deuxième bénéficiaire du FEAMP au niveau européen derrière l'Espagne.
À côté de ces propositions relatives à l'architecture de chaque fonds, nous avons identifié des recommandations générales de bonne gestion à partir des pratiques observées dans les différentes régions. Ces recommandations sont détaillées dans le rapport. Nous rappelons par ailleurs que l'efficacité de gestion des FESI ne dépend pas seulement des régions, mais aussi de la qualité générale des relations entre tous les acteurs intéressés : régions, État, services déconcentrés, Agence de services et de paiement, Commissariat général à l'égalité des territoires, et que l'État doit contribuer activement au succès de la décentralisation.
En conclusion, la programmation 2014-2020 aura été en quelque sorte une période de rodage, de transition, marquée par une réforme de décentralisation mal anticipée et peu cohérente. Nous manquons encore de recul : parce que les performances des régions, nouvelles autorités de gestion, ont été affectées par des obstacles conjoncturels (réforme territoriale, acquisition des ressources humaines et de l'expertise technique, coûts généraux d'adaptation…), et parce que les chiffres définitifs ne seront connus qu'à la fin de l'année 2023. Ce rapport est donc, mes chers collègues, un rapport d'étape : je vous invite à nous retrouver dans quelques années pour l'acte II.
En attendant, il est crucial de préparer dès maintenant les réformes qui s'imposent en vue de la prochaine période de programmation, et d'éviter ainsi de répéter les erreurs qui avaient été faites en 2014. Nous avons pris position, Pierre-Henri Dumont et moi-même, en faveur d'une décentralisation accrue de la gestion des fonds européens. Mais quels que soient les choix retenus par le gouvernement, il est impératif qu'il rende dès maintenant ses arbitrages publics : cela fait un an que les régions attendent les arbitrages du gouvernement sur le FSE et le FEADER. Il est crucial de ne pas prendre encore du retard dans le lancement de la future programmation, car ce serait au détriment des bénéficiaires.
Je vous remercie.