Alors que l'on osait à peine parler de nos valeurs et les revendiquer, ou chanter notre hymne national, je me suis engagé très jeune en politique et j'ai essayé, durant tout mon parcours, de rester fidèle à la devise de notre République : liberté, égalité, fraternité. Petit-fils d'immigré italien du côté de ma mère, j'ai souvent entendu les récits d'une époque où les migrants n'étaient pas les bienvenus. Au début du siècle dernier, ils étaient victimes d'agressions et d'insultes, exerçaient de durs métiers, ne parlaient pas français et se regroupaient en communautés. Un préfet du département du Nord avait ainsi envoyé une note au ministre de l'intérieur pour lui expliquer qu'ils étaient parfaitement inassimilables.
Quelques années plus tard, lors du premier conflit mondial, ces hommes que l'on avait tant de difficulté à intégrer furent mobilisés pour aller combattre et se faire tuer au nom de notre pays. « Alors que sa situation de famille pouvait le faire maintenir à l'arrière, il a demandé à repartir au feu et a fait preuve du plus parfait mépris du danger » : tel est le texte de la citation qui figure sur le carnet militaire de mon grand-père, migrant italien inassimilable. Lorrain, j'ai connu des histoires similaires sur les Portugais, sur les Espagnols, puis sur les Yougoslaves venus travailler dans nos mines de fer et de charbon. Avec les Maghrébins, et les Africains en général, on a entretenu cette logique malsaine de non-intégration en reproduisant les mêmes clichés et en y ajoutant – pour bien enraciner les défiances – les différences de religion et en faisant des amalgames troublants entre l'intégrisme radical et les migrations.
Nous avons laissé le racisme prospérer et nous avons été gangrenés par le refus de l'étranger. Grandes gueules, idées courtes : plutôt que d'incarner notre héritage républicain, notre culture et nos valeurs tant respectées de par le monde, plutôt que de parier sur la richesse de nos différences, de faire du codéveloppement une chance et de comprendre les opportunités d'un monde inéluctablement ouvert, nous avons laissé prospérer la farce de la théorie de l'envahissement !
Aujourd'hui, il est temps de rétablir enfin des vérités éludées par des débats stériles : si l'on rapporte le nombre de demandes d'asile au nombre d'habitants, la France se place au onzième rang en Europe. Et nous nous évertuons à regarder l'Afrique, premier continent francophone du monde et disposant de richesses extraordinaires, avec de plus en plus de méfiance, sans prendre conscience de la présence de 400 millions de personnes qui n'y mangent pas à leur faim, à moins de 15 kilomètres du détroit de Gibraltar ! Quelle stupidité !
Cessons de nous cacher derrière notre petit doigt. Cessons l'hypocrisie. Trois cent mille personnes vivant sur notre territoire ne disposent pas de papiers et une grande partie d'entre elles ne sera jamais expulsée – ne nous voilons pas la face : tout le monde le sait ! Malgré cet état de fait, le Gouvernement a envisagé de réduire l'aide médicale dont ces personnes bénéficient.
On nous a dit que vous vouliez restreindre l'accès aux soins pour les demandeurs d'asile, par l'instauration d'un délai de carence de trois mois avant l'ouverture des droits. Quelle politique de santé digne de ce nom consisterait à laisser sciemment la santé de ces personnes se dégrader avant de les prendre en charge, à des stades aggravés, dans les services d'urgences ? Où est passée la patrie des droits de l'homme, si l'on accepte de laisser mourir des personnes sur nos trottoirs, sous prétexte qu'elles sont étrangères ? Ce serait aux antipodes du principe de prévention en matière de santé que vous venez encore de prôner, madame la ministre des solidarités et de la santé. Nous condamnons cette mesure aussi inhumaine qu'irréaliste et qui, comme nous le savons tous, n'a aucune rationalité en termes de santé publique.
Mes propositions sont donc claires. Régularisons enfin toutes celles et tous ceux que l'on n'expulsera jamais : cela fera tomber, mécaniquement, le coût de l'AME. Revenons à l'universalité de notre système de santé. Sécurisons la Méditerranée, en finançant enfin les secours et en nous répartissant les migrants. S'il faut saluer des avancées, je déplore que l'on se lave les mains en sous-traitant la chasse aux migrants à des pays comme la Libye dont on renforce les capacités des garde-côtes alors que ceux-ci se livrent à des exactions documentées.
Le 09/10/2019 à 19:25, Laïc1 a dit :
"plutôt que d'incarner notre héritage républicain, notre culture et nos valeurs tant respectées de par le monde,"
La laïcité est bafouée partout où elle devrait se trouver, où est l'héritage républicain français ?
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