Ce débat nous offre l'occasion de faire le point sur les forces, mais aussi sur les fragilités de notre politique migratoire, et d'en tirer des enseignements pour penser l'avenir.
Il m'incombe d'aborder le contexte européen des politiques migratoires. Il n'est certes pas simple d'accueillir, mais nous en sommes capables. C'est d'ailleurs de notre aptitude à accueillir avec respect et dignité que dépendront notre humanité et notre modèle de société.
Ce temps de débat doit donc être un temps de réflexion sur ce que nous sommes aujourd'hui et sur ce que nous voulons être demain.
Compte tenu des évolutions de la démographie, de l'économie et de l'environnement à l'échelle mondiale, les migrations sont en effet un enjeu majeur et incontournable du XXIe siècle.
L'immigration tient depuis toujours une place importante dans notre pays. Grâce à elle, la France s'est développée et a grandi en tant que nation.
La question migratoire est avant tout une question de société, qu'il faut appréhender en toute objectivité, en s'appuyant sur la recherche, en sciences sociales notamment, pour apporter des réponses collectives, adaptées et partagées.
Nous devons veiller à ce que les données chiffrées ne soient pas instrumentalisées dans un sens comme dans l'autre. Alors que le nombre des demandes d'asile diminuait au niveau européen entre 2017 et 2018, il a augmenté en France, ce qui a fait de notre pays le deuxième pays européen d'accueil en valeur absolue, comme l'a rappelé M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Toutefois, je tiens à relativiser ce chiffre en le rapportant à la population totale de notre pays : la France se classe seulement au neuvième rang des pays européens à ce titre. Il n'y a pas de submersion !
Le phénomène d'accroissement de la demande d'asile dans notre pays est en outre lié à la question de l'immigration économique. Une meilleure politique en la matière limiterait immanquablement le nombre de demandes d'asile.
Nous devons, par ailleurs, faire attention aux raccourcis et aux amalgames : ne sous-estimons pas le pouvoir des mots.
Le programme d'En marche, sur la base duquel notre majorité a émergé, affirme la volonté de faire de la solidarité le coeur de notre politique. Renforcer la solidarité, c'est tenir bon sur les principes qui sont les nôtres. Je pense notamment à l'universalité de la protection sociale et à l'AME, régulièrement critiquée. Nous y sommes particulièrement attachés, comme l'a rappelé Mme la ministre des solidarités et de la santé : elle constitue un véritable enjeu de santé publique.
L'Union européenne s'est elle aussi construite avec la volonté d'instaurer une plus grande solidarité entre ses États membres. Une politique migratoire européenne globale et concertée est essentielle. Elle doit s'inscrire dans une perspective d'avenir et non d'urgence, afin de permettre un haut niveau de protection et des conditions d'accueil dignes partout en Europe.
Or les pays de l'Union peinent à trouver un consensus sur ces sujets. Les règlements de Dublin sur l'asile ont été signés dans les années 1990, en même temps que les accords Schengen. Leur objectif était d'assurer un équilibre entre la liberté de circulation et la gestion des migrations.
La règle est claire : l'État responsable de la demande d'asile est celui qui a « laissé entrer » la personne dans l'espace européen, même si cette personne ne souhaite pas solliciter l'asile auprès de cet État. De fait, l'Italie, l'Espagne, la Grèce, la Bulgarie et Malte sont les premiers pays responsables des demandes d'asile.
Malgré une application rigoureuse des règlements de Dublin par la France, ce système échoue à orienter et accueillir de manière digne et pragmatique les personnes qui demandent l'asile au sein de l'Union européenne. On peut aisément trouver trois causes à cet échec et à l'existence de mouvements secondaires au sein des États européens.
Premièrement, le système de Dublin ne tient pas compte du projet personnel des personnes demandant l'asile, de leurs attaches familiales, communautaires, culturelles ou linguistiques.
Deuxièmement, les demandeurs d'asile n'ont pas les mêmes chances d'obtenir une protection selon qu'ils déposent leur demande dans tel ou tel État européen.
Troisièmement, ce système est inéquitable, car il fait peser une très lourde charge sur les pays d'entrée de l'Union européenne.
Aussi la procédure Dublin constitue-t-elle un échec du point de vue des personnes exilées, qui sont précarisées, du point de vue des sociétés d'accueil, le système étant inutilement coûteux, et du point de vue de l'Union européenne, car il crée un déficit de confiance et de solidarité entre les États membres. Nous pensons donc nécessaire d'envisager une refonte profonde de la procédure de demande d'asile en Europe.
Notons que le pré-accord conclu à Malte sous la responsabilité de M. le ministre de l'intérieur contourne le traité de Dublin : c'est une avancée notable. Si cet accord était appliqué, les migrants sauvés en mer ne seraient plus à la charge du pays de première entrée, mais répartis entre les pays cosignataires de l'accord.
Sortir de Dublin nécessite une solidarité et une responsabilité pleinement partagées.
Comme l'a indiqué le Président de la République la semaine passée lors de son discours devant le Conseil de l'Europe, nous devons renforcer la responsabilité et la solidarité des États membres de l'espace Schengen et plaider pour une harmonisation des politiques migratoires au niveau de l'Union, en recherchant autant que possible une harmonisation par le haut.
Prenons l'exemple du statut des autorités chargées d'octroyer la protection aux demandeurs d'asile, qui, selon les pays, ne sont pas forcément indépendantes.
En France, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, est doté d'une indépendance fonctionnelle depuis 2015. Cette indépendance, garantie par la loi, est une pierre angulaire du respect du droit d'asile. Sa consécration législative a assuré une forme d'étanchéité des décisions d'asile au regard des impératifs de notre action diplomatique, protectrice de cette dernière.
Je suis donc totalement opposée à la mainmise politique d'un gouvernement sur l'asile, surtout après avoir entendu tout à l'heure les propos extrêmes du groupe Les Républicains !