Aux trente glorieuses ont succédé les quarante laborieuses – la crise économique et sociale, la mondialisation, avec ses défauts et ses qualités, les enjeux géopolitiques et climatiques. Le parti communiste a laissé la place au communautarisme et au Front national, qui se sont nourris l'un l'autre et ont alimenté les préjugés et les fantasmes. L'ascenseur social s'est enrayé et l'immigration est devenue la loupe grossissante des difficultés de notre modèle économique.
Comme toute loupe, elle donne une vision déformée. Stéphanie Stantcheva, économiste française née en Bulgarie et qui brille aux États-Unis, a travaillé sur la perception de l'immigration par les Françaises et les Français. Voici ce qui ressort de ses travaux.
Parmi les personnes vivant en France, il y a aujourd'hui 12 % d'immigrés, moins qu'en Allemagne, moins qu'en Espagne, moins qu'au Canada, moins qu'aux États-Unis. Les Français pensent qu'il y en a trois fois plus. La majorité des Français pense que le taux de chômage des immigrés est deux fois plus élevé qu'il ne l'est en réalité. Et un quart des Français pensent que les immigrés touchent deux fois plus de prestations sociales qu'eux, sans y contribuer.
Des immigrés trop nombreux, des immigrés qui ne travaillent pas, des immigrés qui touchent trop de prestations sociales : ces images déformées ont été nourries par la classe politique. La gauche, au nom de l'universalisme, a rejeté l'idée d'immigration économique – M. Carvounas l'a rappelé. La droite, quant à elle, a fustigé l'incapacité des étrangers à s'intégrer – cela, c'était M. Ciotti – et stigmatisé le regroupement familial – pour M. Goasguen – alors que c'est elle qui en a eu l'initiative !