Mesdames et messieurs les députés, c'est certainement la question éthique du projet de loi la plus difficile à trancher – même s'il y en eut d'autres qui furent compliquées.
À l'échelon individuel, je pense que l'argumentaire de M. Berta et des auteurs des autres amendements en discussion commune est tout à fait valable. Des couples qui ont un enfant avec une maladie génétique grave et qui ont de ce fait accès à un diagnostic préimplantatoire pour éviter d'implanter un embryon malade courent un risque non nul que, lors de la technique de fécondation in vitro, des anomalies chromosomiques touchent cet embryon, aboutissant soit à des fausses couches précoces, soit à des trisomies 13, 18 ou 21 – qui sont, quant à elles, viables.
La question qui nous est posée est la suivante : en raison de la souffrance liée à ces parcours individuels, souhaitons-nous autoriser la technique de la numération des autosomes ? J'avais refusé tout à l'heure de prendre part à la discussion sur la question du DPI-HLA et émis un avis de sagesse parce que j'estimais avoir un rapport trop émotif à cette technique et ne pas disposer d'assez de recul pour pouvoir donner un avis indépendant. Là, de toute évidence, tous les médecins sont favorables à l'emploi de la technique – et j'entends leurs arguments : ils suivent ces patientes, ils veulent faire au mieux pour elles, ils sont face à des couples qui sont engagés dans une démarche longue et difficile de fécondation in vitro et qui ont déjà un enfant malade ; ils veulent leur éviter soit une fausse couche, soit un autre enfant avec une maladie de type trisomie.
La question n'est pas de savoir si les médecins ou ces familles sont légitimes à poser cette question : ils le sont, c'est évident. La question est de savoir quelle garantie nous avons, si nous passons ce cap, que l'on n'ira pas au-delà. C'est la seule question que doit se poser le législateur, s'agissant d'une loi de bioéthique.
On propose à travers ces amendements que les embryons soumis à une recherche de maladies génétiques fassent en sus l'objet d'une numération des autosomes et d'une recherche d'anomalies chromosomiques.
D'abord, comme l'a souligné le rapporteur, il peut y avoir des faux positifs et des faux négatifs, c'est-à-dire que les cellules étudiées peuvent paraître saines alors que les cellules restantes sont malades. Il s'agit donc d'une fausse sécurité.
Surtout, cela reviendrait, pour toutes les trisomies et surtout pour la trisomie 21, à un diagnostic prénatal préimplantatoire. Aujourd'hui, monsieur Berta, le DPNI ne concerne que la trisomie 21 ; il n'est pas validé pour les autres trisomies. Il se fait en fonction du niveau de risque de la mère, lequel est évalué par une prise de sang : il n'est donc pas proposé à toutes les femmes. C'est en fonction d'une probabilité. Si la prise de sang est proposée à toutes les femmes, le DPNI, lui, dépend du niveau de risque et ne concerne que la trisomie 21. Par rapport au dépistage prénatal actuel, on chercherait donc de nouvelles choses ; surtout, le diagnostic serait préimplantatoire.
Comment faire en sorte que cette technique ne soit pas proposée à tous les couples en démarche de fécondation in vitro ? On passerait dans ce cas d'une moyenne de 250 couples par an qui font un DPI à 150 000 PMA. Or si l'on autorisait cette technique dans le cadre d'une recherche de maladies génétiques au motif que cela permettrait d'éviter des fausses couches, l'étape suivante – et c'est déjà la demande des professionnels du secteur – serait de faire une recherche d'aneuploïdie pour toutes les fécondations in vitro, indépendamment de l'existence d'une maladie génétique antérieure dans le couple concerné, et cela pour éviter les fausses couches à répétition. Or la recherche d'aneuploïdie donne forcément des informations sur les trisomies. Cela reviendrait donc à disposer d'une information relative aux trisomies pour tous les couples engagés dans une telle démarche ; on serait obligé de leur donner l'information et de leur dire d'éviter l'implantation d'un embryon porteur d'une trisomie. C'est ce glissement qui me pose problème.
Comment imaginer que nous n'allons pas automatiquement aboutir à ce que, dans le cadre d'une PMA, toutes les fécondations in vitro feront l'objet d'une recherche d'aneuploïdie et seront « indemnes » de trisomie ? On aboutit ainsi au mythe de l'enfant « sain ». Reprenons en effet le cas du couple qui a un enfant avec une maladie génétique. On va d'abord lui dire : on va vous éviter les fausses couches à répétition et un enfant atteint de trisomie parce qu'on ne veut pas pour vous de double peine – pardonnez-moi si j'emploie cette expression qui risque de choquer tous ceux qui, sur ces bancs, accompagnent ou ont dans leur famille un enfant atteint de trisomie ; mais, en réalité, si l'on veut leur éviter la double peine pour ce qui est de la trisomie, on ne leur promet pas pour autant qu'ils auront un enfant indemne de maladies génétiques. On trierait l'embryon sur le seul critère de la maladie génétique dont est atteint le premier enfant malade et sur celui de la trisomie. L'étape suivante, le glissement naturel, c'est d'aller rechercher d'autres maladies génétiques fréquentes. Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Si l'objectif est d'éviter que ces couples n'aient un deuxième enfant malade, pourquoi se contenter de diagnostiquer la trisomie 13, 18 ou 21, et pas toute maladie génétique ?