Monsieur Ferrara, nous sommes en effet très attentifs au risque que vous évoquez. Nous avons adopté plusieurs mesures de prévention. D'abord, en multipliant les capacités de renseignement et en entretenant des liens étroits avec les acteurs du monde maritime ; cela se traduit par des pelotons de sécurité maritime et portuaire (PSMP), armées par les gendarmes maritimes, qui dépendent de la marine. Il y en a à Marseille, à Brest, au Havre, et bientôt à Dunkerque-Calais et Saint-Nazaire. Ensuite, nous embarquons régulièrement des équipes de protection sur les navires à passagers (EPNAP). Nous avons aussi une capacité d'intervention immédiate, avec plusieurs équipes très réactives de fusiliers marins postées dans les grands ports français. Enfin, il existe un niveau d'intervention supplémentaire, avec les commandos marine et le GIGN.
Sur la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée, on me dit que la durée du premier mariage dans la marine serait de 8 ans contre 13 ans en moyenne pour le reste de la population mais la moyenne d'âge des marins est de 30 ans ! La sociologie dans la marine est assez proche de la sociologie française, s'agissant des divorces ou de l'emploi du conjoint notamment. Il n'y a pas de différences majeures entre les marins et le reste des Français. Mais je constate, il est vrai, une tension croissante entre vie professionnelle et vie privée liée à l'éloignement, à la rupture numérique, aux changements de résidence, aux mutations fréquentes, etc. La mobilité est au coeur de notre modèle RH mais il est parfois difficile pour les conjoints de retrouver un emploi. Ainsi, le taux de chômage des conjoints de quartiers-maîtres et marins – c'est-à-dire de ceux qui sont en début de carrière, ceux qui gagnent le moins bien leur vie – est supérieur à 25 %. Je prends cela avec beaucoup de gravité. D'autres marines du monde se sont en effet « plantées » sur ces questions RH. J'ai évoqué tout à l'heure les mesures indemnitaires décidées récemment, qui contribueront à compenser les sujétions, mais j'ai aussi demandé une individualisation de la gestion des marins. Mon mot d'ordre, c'est que chaque marin compte. J'ai investi sur chacun d'entre eux, pour les recruter, pour les former. Je dois me battre pour qu'ils restent et j'ai besoin de leur adhésion pour partir dans des situations difficiles, en mer ou au combat. Donc chaque marin, quel que soit son grade, rencontre son gestionnaire à la fin de chaque affectation : tous les deux ou trois ans, pour faire un point sur sa carrière et ses objectifs. L'alternance terre-mer est aussi un objectif. Idéalement, un marin devrait avoir deux affectations embarquées et une affectation à terre pour se reposer, retrouver sa famille. Cela a un impact jusque dans l'emploi opérationnel de nos moyens. Comme vous l'avez compris, certains de nos bateaux sont vieux. En cas d'alerte, si celui qui devait partir est indisponible, il faut faire partir un autre bateau avec un ou deux jours de préavis. Je suis extrêmement vigilant sur ces modifications de programmes, parce que je dois donner de la visibilité aux marins. Ce qui les gêne, ce n'est pas de partir trois mois ; c'est de partir trois mois avec trois jours de préavis ! Aujourd'hui, dans un souci de fidélisation, nous faisons tout ce qui est possible pour éviter de rappeler nos marins de permission pour appareiller, y compris aménager certaines missions.
Après plusieurs années de bataille pour avoir des BATSIMAR outre-mer, j'ai proposé de différencier ce programme. J'avais initialement l'intention de remplacer les patrouilleurs métropolitains et les patrouilleurs outre-mer par une même classe de bateau. Je n'y parviens pas. Ce serait trop cher, me dit-on. Je propose donc de déployer outre-mer des bateaux deux à trois fois moins chers, pour les avoir plus vite. Je suis donc prêt à échanger du niveau de spécification contre un raccourcissement des délais. J'espère que cela va fonctionner. Ce sera l'un des objets du prochain conseil interministériel de la mer.
Sur le « paquet protection », 28 millions d'euros sont affectés à la marine pour la protection de ses emprises, notamment pour renforcer les enceintes ainsi que pour installer des caméras et des sonars de surveillance. Un quart de ces 28 millions d'euros seront consacrés aux équipements des marins qui protègent nos bases et qui supportent un nombre considérable d'heures de travail.
Que fait-on quand on n'a pas de porte-avions ? Nous sommes moins puissants mais sommes-nous démunis ? Non ! S'il fallait intervenir aujourd'hui, nous pourrions avoir recours à des missiles de croisière, d'une portée d'environ mille kilomètres, armant les frégates multi-missions. D'ailleurs, dans le projet de loi de finances pour 2018, il est prévu plusieurs réceptions de ces missiles de croisière. Cela permettrait de détruire un stock d'armes chimiques en Syrie, par exemple. Cela ne permet pas de renouveler des frappes pendant trois mois comme le fait un porte-avions mais cela permet d'envoyer des signaux politiques extrêmement forts. Deuxième moyen dans notre arsenal : les BPC, qui ont déjà servi de base de combat pour les hélicoptères de l'armée de terre pendant l'opération Harmattan en Libye. Les hélicoptères partaient chaque nuit faire des raids sur les forces du colonel Kadhafi. La portée des hélicoptères est évidemment beaucoup plus limitée que celle des Rafale du porte-avions ; il faut rester en zone côtière.
Peut-on mutualiser certaines actions avec les autres européens ? Nous avons eu des échanges avec les Britanniques dans les années 2000 sur la conception du porte-avions, à la suite desquels les Britanniques ont lancé la construction du Queen Elizabeth et du Prince of Wales. Ils auront donc deux porte-avions armés avec des F-35B. Je ne vois pas d'autre pays européen avec lequel on pourrait faire le même rapprochement. Mais toutes nos frégates de combat sont européennes, construites principalement avec les Italiens, qui sont nos grands partenaires en matière de construction navale. Nos pétroliers-ravitailleurs seront d'ailleurs bientôt conçus avec les Italiens. Avec les Britanniques, nous travaillons aujourd'hui sur la lutte contre les mines et, avec les Allemands, sur la patrouille maritime. La coopération européenne est donc dynamique. À part les sous-marins nucléaires, aucun domaine n'est a priori fermé à la coopération. Malheureusement, la fenêtre britannique sur le porte-avions me paraît fermée.