Plusieurs de vos amendements, monsieur Ruffin, avaient été accueillis favorablement, notamment ceux qui visaient à améliorer l'information relative à l'ordonnance de protection dans les commissariats et les gendarmeries, mais ce n'est pas moi qui tranche et fais le tri entre ce qui est recevable et ce qui ne l'est pas. Cette question de la recevabilité des amendements pose, je crois, un vrai problème pour le fonctionnement serein de nos débats et de notre démocratie parlementaire.
Tout l'édifice de cette première proposition de loi repose sur ce qui existe déjà dans l'architecture de notre droit, à savoir l'ordonnance de protection. Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais je veux déjà en dire quelques mots à ce stade. Lorsque j'ai élaboré cette proposition avec les collègues de mon groupe, la question s'est posée de savoir si nous devions nous appuyer sur ladite ordonnance, cadre dans lequel le juge civil peut prendre des décisions parfois privatives de liberté mais, en tout cas, protectrices de la victime, ou s'il fallait imaginer une tout autre architecture, un tout autre modèle.
Ma conviction intime me portait plutôt vers cette dernière option, celle des juridictions spécialisées. Ce modèle, choisi par l'Espagne, permet de placer entre les mêmes mains la force civile et la force pénale. Mais, si nous l'avions intégré dans cette proposition de loi, celle-ci aurait sûrement eu un sort beaucoup moins heureux, et nous n'aurions pas fait avancer d'un millimètre la cause.
C'est pourquoi, je l'affirme, le présent texte n'est qu'une étape. Ma conviction intime est qu'il faudra aller bien au-delà. Notre responsabilité, aujourd'hui, est de poser les premiers pavés d'un chemin qui doit conduire à la protection immédiate des femmes.
L'ordonnance de protection, telle qu'elle existe actuellement, vous l'avez reconnu vous-même, madame la garde des sceaux, est un outil prometteur mais encore insuffisant. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 10 % des juridictions compétentes n'ont jamais délivré une ordonnance de protection – j'ai bien dit 10 % ! Or personne ne peut croire ici ni ailleurs qu'il n'y ait pas de problème de violences conjugales et que pas une seule femme n'ait besoin de protection par le biais de ladite ordonnance dans 10 % des ressorts des tribunaux. Cela signifie que cet outil n'est pas utilisé comme il le devrait.
Autre chiffre : 3 100 ordonnances sont délivrées, mais 40 % des demandes sont rejetées.