C'est un terrible décompte qu'a rappelé notre rapporteur au début de nos travaux : cent dix-sept femmes – et même cent dix-huit, me glisse-t-on – ont été tuées depuis le début de l'année 2019 par leur conjoint ou par leur ex-conjoint. La question que je me pose à cette heure, et que se pose la représentation nationale, c'est celle du nombre de ces cas que nous aurions pu éviter.
Une proportion significative de ces cent dix-huit femmes avaient porté plainte, avaient déposé des mains courantes. Parmi ces cent dix-huit féminicides, il y a donc un nombre significatif de cas qui étaient prévisibles, mais qui n'ont pas été prévenus.
À cet instant, je pense, non sans émotion, à un cas particulier que nous avons connu à Lille, au printemps dernier : une mère de famille avait, en début d'année, porté plainte pour des menaces de mort à son encontre ; proférées par son ex-conjoint, elles lui avaient été rapportées par un tiers. Elle a porté plainte, mais rien ne s'est produit ; son agresseur lui-même, plus tard, est allé au commissariat pour porter plainte contre elle, pour harcèlement. Il n'a jamais été inquiété.
Au mois de mai, elle a complété sa plainte par une main courante : son ex-conjoint, qui n'avait a priori rien à faire là, rôdait à proximité de son lieu de travail.
Cinq jours plus tard, elle a été kidnappée sur son lieu de travail et amenée au domicile de son bourreau. Elle a été assassinée, arrachée à ses enfants, à ses proches, qui la savaient menacée. Sa famille me racontait qu'après les faits, la machine s'est évidemment déployée avec une efficacité redoutable ; très rapidement, l'assassin présumé a été interpellé. Aujourd'hui, lui et ses complices sont en prison, mais elle ne reviendra plus.
Elle fait partie de cas qui étaient prévisibles, et qui n'ont pas été prévenus. En étudiant le dossier, les enquêteurs sont convenus avec la famille qu'il y avait bien des signaux d'alerte – certes, au sens juridique, il s'agissait de signaux faibles, puisque les menaces ne lui avaient pas été directement adressées.