Intervention de Fabrice Leggeri

Réunion du mercredi 25 septembre 2019 à 11h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) :

Je vous remercie de me donner la possibilité de m'adresser devant vous aujourd'hui pour vous présenter le travail de Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, ses missions actuelles et ses défis futurs.

La première question qui se pose très souvent est de savoir pourquoi l'Union européenne s'est dotée d'une agence de ce type et quelles sont ses missions essentielles ?

L'Union européenne est constituée d'un espace de liberté, de sécurité et de justice : l'espace Schengen. La liberté de circulation est au coeur du projet de l'Union européenne et le rôle de l'agence Frontex est de contribuer à maintenir des frontières extérieures qui fonctionnent correctement. Ce rôle est nécessaire pour que la liberté de circulation à l'intérieur de l'Europe et de l'espace Schengen fonctionne correctement.

Trois types de grandes missions peuvent servir de cadre général.

Tout d'abord, des frontières extérieures de l'Union européenne qui fonctionnent correctement impliquent – en lien avec le sujet qui vous réunit aujourd'hui – d'être capables de gérer correctement les flux migratoires, notamment les flux d'immigration irrégulière. Cela implique la capacité de reconduire dans leur pays d'origine les personnes qui n'ont pas vocation à recevoir de protection internationale ou de titre de séjour quelque part dans l'Union européenne.

Les frontières extérieures doivent également constituer un filtre contre la criminalité internationale et contribuer à prévenir le risque de terrorisme. Il s'agit d'un domaine dans lequel les missions de l'Agence sont croissantes.

Les frontières extérieures doivent enfin être modernes et équipées d'outils et de technologies d'avenir. En effet, franchir légalement la frontière extérieure, que ce soit à l'entrée comme à la sortie, doit s'avérer être une expérience positive pour les centaines de millions de voyageurs réguliers qui franchissent tous les ans les frontières extérieures de l'Union européenne.

Je souhaite maintenant en venir à la crise migratoire et de l'asile à laquelle a été confrontée l'Union européenne pendant les années 2015 et 2016. Celle-ci a provoqué une importante réforme de l'Agence et l'augmentation de ses missions et de ses moyens.

En 2016, une première extension du mandat de l'Agence – renommée Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes – a permis d'affirmer que la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne est une responsabilité partagée entre l'Union et ses États membres.

Dans ce cadre, l'Agence et, demain, le corps européen permanent, sont le bras opérationnel de l'Union européenne pour soutenir les États membres, et, dans certains domaines, pour faire en sorte que les évolutions soient mieux coordonnées et aillent vers davantage d'interopérabilité.

En termes de flux, la situation s'est caractérisée par des entrées irrégulières massives en 2015. Il faut bien comprendre que cela a été, d'une certaine manière, un traumatisme au niveau européen : ont été dénombrées 1,8 million d'entrées ou tentatives d'entrées irrégulières en 2015 et 1,2 million de personnes arrivées illégalement dans l'Union. La situation s'est améliorée puisqu'en 2018, 150 000 entrées irrégulières ont été constatées. Pour le moment, cette année, 70 000 entrées irrégulières ont été relevées, ce qui correspond à une diminution de 26 % par rapport à la même période l'année dernière.

Nous avons observé une diminution très importante des flux irréguliers de la Libye vers l'Europe, en particulier de la Libye vers l'Italie, au cours des deux dernières années. Nous avons également observé une diminution des flux sur la route de la Méditerranée de l'est, mais la Grèce, et en particulier ses îles, se trouve de nouveau sous une pression croissante depuis quelques semaines. Dans les 18 derniers mois, l'Espagne a également fait face à une pression migratoire extrêmement forte, qui semble désormais diminuer, notamment grâce à une coopération très étroite et très efficace avec le Maroc.

Aujourd'hui, l'Agence déploie entre 1 300 et 1 500 garde-frontières et garde-côtes aux frontières extérieures. Ils sont principalement mobilisés dans le cadre des importantes opérations que sont Poséidon en Grèce, Themis en Italie, Indalo en Espagne, et depuis le printemps, une opération est menée en Albanie pour la première fois en dehors du territoire de l'Union européenne. D'autres déploiements dans des postes frontières, moins importants, doivent également être signalés.

À chaque instant, nous déployons en moyenne 25 navires, une dizaine de moyens aériens de surveillance, qu'il s'agisse d'avions ou d'hélicoptères, et une centaine de voitures qui patrouillent aux frontières extérieures terrestres de l'Union européenne. Pour le moment, la plupart de ces moyens sont nationaux et sont mis à la disposition de l'Agence dans le cadre de ses activités. Ce modèle va cependant changer. Nous y reviendrons en parlant du corps permanent.

Aujourd'hui, pour vous donner un autre éclairage sur nos activités, nos moyens de surveillance aérienne sont capables, en temps réel, d'observer la situation à nos frontières extérieures. En particulier, nous avons des moyens déployés en Méditerranée centrale – mais pas seulement – au-dessus des frontières maritimes ainsi qu'au-dessus de certaines frontières terrestres.

Dans les situations de détresse en mer, nous pouvons détecter des cas qui nécessitent un secours en mer. Nous contribuons aussi, très fréquemment, à la saisie de tonnes de drogue, à l'arrestation de mouvements criminels liés aux trafics d'armes, de drogue ou d'autres activités illégales comme des infractions pénales aux réglementations sur l'environnement, pour ne donner que quelques exemples. Voilà à quoi nos moyens déployés peuvent aussi contribuer.

À ce jour, nos missions plus stratégiques peuvent être illustrées par la stratégie de gestion intégrée des frontières extérieures. Il s'agit d'une stratégie européenne, dont l'Agence est gardienne, qui a pour objectif de faire travailler ensemble les États membres et de faire en sorte que tous les services qui contribuent à la surveillance et au contrôle des frontières puissent être mieux coordonnés et harmonisés dans leurs moyens.

Nous assurons, à ce titre, une fonction de prospective, d'anticipation de programmation, de coordination et d'aide à une meilleure cohérence entre les moyens nationaux et les moyens déployés au niveau européen.

Nous asssurons également une fonction de surveillance 24 heures sur 24, avec une capacité à échanger des informations en temps réel avec les services nationaux de contrôle des frontières, des services de police, de douane, mais aussi avec d'autres agences, en particulier Europol, en ce qui concerne la lutte contre la criminalité organisée. Nous travaillons aussi étroitement avec le Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO), en particulier pour évaluer les mouvements secondaires.

Nous avons réalisé ensemble une étude sur ces mouvements concernant les demandeurs d'asile, enregistrés, qui se déplacent à l'intérieur de l'espace Schengen et vont déposer des demandes récurrentes dans plusieurs États membres.

Au titre de notre fonction stratégique, nous jouons également un rôle en matière d'étude de vulnérabilité. Il s'agit d'une mission d'audit des capacités en place pour le contrôle et la gestion des frontières qui se traduit par des recommandations, obligatoires, faites par l'Agence aux États membres. Le directeur exécutif de l'Agence peut relayer au niveau politique européen les éventuelles persistances de difficultés, soit parce que certains États ne sont pas en mesure de mettre en oeuvre les recommandations, soit parce que certains États ne souhaitent pas le faire et donc ne sont pas dans l'application correcte du droit Schengen qui est notre code commun pour les frontières extérieures.

Le contrôle des frontières contribue également, de manière cruciale, à la sécurité intérieure, même si je ne confonds pas cette mission avec les problématiques migratoires. Il existe des groupes criminels et des trafiquants d'êtres humains qui sont à la charnière entre les problématiques d'immigration irrégulière et celles de criminalité.

L'Agence a aussi pour rôle de collecter des données personnelles à des fins d'enquêtes pénales et partage ces informations avec Europol.

Sa coopération est également croissante avec les missions de politique, de sécurité et de défense communes. En matière migratoire, je pense notamment à la coopération avec la mission EUNAVFOR MED Sophia en Méditerranée centrale ou aux coopérations avec d'autres missions moins connues, notamment au Sahel.

Une coopération existe aussi avec d'autres agences européennes que sont l'Agence européenne de contrôle des pêches et l'Agence européenne de sûreté maritime. Avec ces agences et les différentes composantes maritimes des États membres, nous développons des fonctions qui sont à la fois des missions de surveillance des frontières, qui peuvent aboutir à du secours en mer, mais aussi des missions relatives à l'action de l'État en mer, ainsi qu'on les appelle en France.

Les moyens de l'Agence sont en augmentation. Le nouveau mandat et les nouvelles ressources de l'Agence ont fait l'objet d'un accord politique au printemps 2019. À partir vraisemblablement du mois de novembre entrera en vigueur le nouveau règlement relatif aux corps des garde-frontières et garde-côtes européens qui constituera un changement d'échelle par rapport à ce qui existait depuis 2016.

Pour vous donner quelques chiffres, avant la crise migratoire, le budget de l'agence Frontex voté pour l'année 2015 était de 94 millions d'euros. Aujourd'hui, le budget annuel est en moyenne de 330 millions d'euros. Le budget proposé par la Commission européenne sera, en rythme de croisière, d'à peu près un milliard d'euros par an.

Pour le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne 2021-2027, la Commission européenne a proposé 5,5 milliards d'euros afin de permettre à l'Agence de financer les salaires du corps européen de garde-frontières et garde-côtes et 2,2 milliards d'euros pour qu'elle puisse acquérir des moyens techniques qui seront directement utilisés par le corps permanent. Il s'agit de bateaux, d'avions, de drones et de moyens de patrouilles terrestres déjà acquis en partie et qui sont en train d'être déployés.

Avec le nouveau règlement, le nouveau mandat et surtout la mise en oeuvre du corps européen, ce dernier devrait compter à terme jusqu'à 10 000 membres, avec une composante tout à fait particulière qui est celle des agents directement employés par l'Agence et qui seront des agents publics européens sous statut de l'Union européenne.

L'objectif est de compter 3 000 personnes qui seront directement employées par l'Agence et qui seront des personnels régis par le statut de la fonction publique de l'Union européenne. Les autres resteront des employés nationaux mis à disposition par les États. La plus grande partie le sera pour une durée allant de deux à quatre ans. Dans la réalité, il s'agira de détachements puisque l'Agence paiera leurs salaires.

En ce qui concerne les équipements, nous devons arriver progressivement à une situation dans laquelle tous les moyens techniques, de surveillance et de patrouille seront mis à disposition par l'Agence pour être utilisés par le corps européen. Les États membres ne seront plus sollicités pour mettre à disposition ces moyens. Le commandement tactique des États membres, celui des autorités nationales, sera cependant préservé. Ce corps européen est respectueux de la souveraineté et des prérogatives nationales grâce a un plan opérationnel, sorte de contrat convenu entre l'État qui va accueillir des activités et l'Agence.

Dans le commandement quotidien, ce seront évidemment les autorités nationales qui auront le dernier mot sur les instructions qui seront données à tous ces effectifs déployés. Il s'agit d'un défi pour l'Agence qui va devoir mettre en place une chaîne de commandement pour le corps européen avec des commandants qui seront les interlocuteurs des commandements nationaux.

Pour conclure, l'Agence propose d'utiliser trois de ses objectifs stratégiques pour le corps européen.

Tout d'abord – cela fait partie de la stratégie de gestion intégrée des frontières européennes –, il y a la réduction de la vulnérabilité de nos frontières extérieures par le développement d'une information et d'une connaissance approfondie de la situation, y compris en temps réel. Je me réfère ici à l'analyse de risques, à la capacité à mieux anticiper et à mieux prévoir et à l'obtention de renseignements à court terme et à long terme, y compris avec l'étude de vulnérabilité qui est l'audit des frontières extérieures et des capacités en place. Ces éléments recoupent un premier objectif stratégique.

Un deuxième grand objectif est de faire en sorte que le fonctionnement de nos frontières extérieures soit plus fiable, plus sûr, plus sécurisé et plus opérationnel. Cela tient directement de la capacité à déployer sur place, en temps réel, là où il le faut, des personnels et des équipements pour éviter d'avoir des lacunes dans le fonctionnement des frontières, que ce soit pour maîtriser les flux d'immigration irrégulière, qui sont parfois difficilement contrôlés, ou pour mieux gérer des flux de voyageurs qui sont en augmentation constante et qui, parfois, conduisent à des files d'attente et donc à des dysfonctionnements dans les aéroports ou les frontières terrestres.

Le troisième grand objectif stratégique est de permettre un développement durable et soutenable des capacités européennes de garde-frontières et de garde-côtes. Les capacités européennes sont les capacités propres de l'Agence et les capacités nationales des différents États membres puisque la gestion des frontières extérieures est une mission et une responsabilité partagées entre l'Union et ses États membres. Il nous appartient, ensemble, au niveau européen, avec les acteurs nationaux, de faire en sorte que les capacités soient durables, à la fois en termes de développement technologique ou d'équipements en état de fonctionner correctement.

La question de la formation de nos agents, des recrutements et des stratégies pour le remplacement des matériels obsolètes doit également être posée. Il faut réfléchir à ce qui se passe dans certains États où, soudainement, on se rend compte qu'un tiers des équipements devraient ne plus être en service parce qu'ils ont atteint la durée de fonctionnement initialement prévue.

Voilà le cadre des missions et du mandat de l'Agence. Je suis prêt à répondre à des questions sur ce sujet, ainsi que sur celui des migrations qui constitue l'essentiel des préoccupations de l'Assemblée nationale en ce moment.

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