Je vais d'abord répondre sur les relations de l'Agence avec un certain nombre d'États comme la Hongrie et l'Espagne. En Hongrie, nous n'avons pas de réel déploiement mais huit personnes sont présentes sur 350 kilomètres de frontières. On ne peut donc pas vraiment considérer qu'il y a une activité en Hongrie.
De manière générale, l'Agence entretient des relations avec tous les États membres de l'Union européenne. Au-delà des déploiements terrestres sur le territoire ou aux frontières maritimes, d'autres éléments tels que l'analyse des risques ou l'activité du conseil d'administration permettent de les prolonger, y compris avec les États Schengen, c'est-à-dire la Suisse, la Norvège, le Liechtenstein et l'Islande, qui font partie du conseil d'administration.
L'Agence a augmenté sa présence sur le sol espagnol. Ces derniers jours, à peu près 300 garde-frontières ou garde-côtes étaient déployés en Espagne, un niveau qui n'a jamais été aussi élevé. Il s'agit de l'opération Indalo qui coexiste également avec l'opération Minerva. Indalo est plutôt centrée sur la surveillance du détroit de Gibraltar et remonte jusqu'à Malaga. Si la côte méditerranéenne est important, la côte atlantique est également concernée quasiment jusqu'à Cadix. L'opération Minerva est une opération de contrôle des ferries qui arrivent du Maroc. Nous aidons les collègues espagnols à contrôler les passagers lors d'entrées régulières. Il s'agit du fonctionnement tout à fait normal d'un poste-frontière maritime.
S'agissant des relations avec les bateaux d'ONG, nous avons des contacts avec certaines organisations dans le cadre d'un forum consultatif qui aide ou conseille l'Agence en matière de protection des droits fondamentaux, en particulier des personnes vulnérables.
De manière plus opérationnelle, en ce qui concerne la présence sur zone, la coordination du secours en mer appartient aux autorités nationales et aux autorités publiques. Lorsqu'il y a des opérations de cette nature, l'Agence se conforme toujours aux instructions des centres de coordination du secours en mer en cas de présence sur zone de bateaux d'ONG.
Nous sommes en train de préparer la première vague de recrutement du corps européen. Le règlement n'est pas encore formellement entré en vigueur mais il est en train d'être traduit dans les langues officielles. Il pourra ensuite être adopté formellement et, 20 jours après sa publication, entrer en vigueur. Nous avons déjà entamé des préparatifs, et, en particulier, une première vague de recrutements de 750 agents qui seront sous statut de la fonction publique européenne.
La question de la provenance de ces agents est une préoccupation partagée entre l'Agence et les États membres. Du point de vue de l'Agence, cette première vague doit nous permettent de recruter des personnels suffisamment expérimentés car la barre est assez haute. Il nous faut pouvoir faire aussi bien que des garde-frontières ou des garde-côtes nationaux. Il y a donc des critères de qualité et de formation. Il faut que ces personnels soient habitués à des missions comparables et à des actions de police. Ceux-ci vont porter un uniforme européen et des armes. Ils doivent donc être triés et sélectionnés avec des critères aussi exigeants que dans les services de police des frontières des États membres.
Une préoccupation que je ne peux pas vous cacher est celle de la rémunération. L'équilibre géographique ne pourra être assuré que si la rémunération offerte permet d'attirer des candidats de façon équilibrée en provenance de toute l'Union européenne. Sans entrer dans les détails techniques, la Commission européenne avait fait une proposition pour gommer les effets d'un coefficient correcteur qui est appliqué en fonction de l'État du déploiement, notamment en fonction du siège qui est à Varsovie. De ce fait, nos employés et nous-mêmes ne percevons que les deux tiers de la rémunération au motif que nous sommes à Varsovie et que le coefficient correcteur est de 70 %.
Le problème qui se pose est que l'Agence risque d'attirer excessivement des candidats venus plutôt des États membres de l'est de l'Union européenne, où les salaires sont inférieurs, voire très inférieurs, à la moyenne européenne. À l'autre extrémité du spectre, c'est à dire à l'ouest de l'Europe, les salaires que nous allons offrir ne seront pas satisfaisants. Je crains fort de ne pas attirer suffisamment de candidats venant de l'Europe de l'ouest.
Cet élément est regrettable car la Commission européenne avait fait une proposition qui permettait techniquement de gommer cet effet. Le Parlement européen avait appuyé et voté cette disposition. Malheureusement, le Conseil, à l'initiative d'États, en particulier de l'ouest, s'est opposé à cette mesure. Nous n'aurons donc probablement pas de représentation géographique équilibrée dans la première vague de recrutements.
Nous recherchons des personnels qui ont une expérience de garde-frontières ou de garde-côtes, mais aussi de policier ou de douanier en général, avec une prédilection pour ceux en fin de contrat dans leur pays d'origine, qui seraient des jeunes retraités. Dans certains États, des personnes, dans la quarantaine, sont à la retraite de leur premier poste. Il s'agit du premier vivier que nous cherchons à attirer.
En ce qui concerne l'outre-mer, la situation juridique est quelque peu complexe car l'outre-mer français ne fait pas partie de l'espace Schengen. Il s'agit d'une décision de la République française lorsqu'elle a adhéré à la convention de Schengen. Elle s'est ensuite perpétuée lorsque la coopération Schengen est devenue institutionnellement une politique de l'Union européenne.
L'agence Frontex n'est compétente que pour le développement de ce que l'on appelle « l'acquis de Schengen ». Aujourd'hui, je suis parfaitement conscient des enjeux migratoires à Mayotte, en Guyane et certainement dans d'autres territoires des départements et collectivités d'outre-mer. Malheureusement, l'agence Frontex ne peut pas intervenir sur ces territoires aujourd'hui.
En matière d'éloignement des étrangers en situation irrégulière ayant fait l'objet d'une décision dans ce sens, le rôle de l'Agence a beaucoup augmenté dans les dernières années, en particulier depuis 2015-2016. Aujourd'hui, nous effectuons 10 % des éloignements effectifs qui ont lieu de l'Union européenne vers l'extérieur de l'Union. La part de cette activité représentait à peu près 1,5 % au niveau européen en 2015, lorsque j'ai pris mes fonctions. Par exemple, l'année dernière, nous avons éloigné environ 14 000 personnes de façon effective. Pour le moment, en 2019, nous avons déjà dépassé la barre de 10 000 éloignements réalisés.
La décision d'éloignement est prise par les autorités nationales, y compris dans l'ordre administratif français. Nous aidons ces autorités à mettre en oeuvre l'éloignement, ce qui inclut l'identification des personnes, c'est-à-dire l'établissement de leur identité véritable et de leur nationalité et l'aide à l'acquisition des documents de voyage.
Pour vous donner un exemple, très récemment, pour la première fois, nous avons pu faire venir à Malte des autorités consulaires marocaines qui ont accepté de reconnaître comme ressortissants de leur pays un groupe de quarante migrants irréguliers. Ils avaient été débarqués par des bateaux humanitaires que Malte avait accueillis. Conséquemment, le Maroc a octroyé des laissez-passer consulaires et nous avons pu procéder à leur éloignement de Malte vers ce pays.
Nous coopérons également avec tous les États membres. En volume d'activité, la France est aujourd'hui le troisième État membre de l'Union européenne utilisateur de Frontex, le premier étant l'Allemagne et le deuxième l'Italie. Cela s'explique par les volumes de personnes à éloigner et par la taille des États. D'autres États comme la Belgique sont très actifs en termes d'activité.
Parmi nos moyens, nous avons la possibilité d'affréter nous-mêmes, par des contrats, des avions qui sont utilisés pour ces éloignements, ceux qui sont appelés charters. Nous avons aussi recours à des moyens nationaux d'avions qui sont parfois mis à disposition par les États. Depuis deux ans, nous avons également développé une politique qui consiste à mettre à disposition des places sur des vols commerciaux. Il s'agit d'un moyen très flexible qui est privilégié par certains États étrangers qui n'acceptent pas les vols charters, tout en étant prêts à coopérer et à recevoir leurs ressortissants à condition qu'ils arrivent sur des vols commerciaux habituels.
Nous assurons également un rôle de coordination car, sur certains vols, des éloignés et leurs escorteurs proviennent de plusieurs États membres. Ils sont parfois accompagnés par des personnels de l'Agence. Le corps européen permanent aura vocation à fournir, lui aussi, des escorteurs et des personnels qui feront des missions d'éloignement vers les pays d'origine.
Aujourd'hui, l'Agence est capable de couvrir une centaine de pays et de destinations, notamment grâce aux vols commerciaux. Ceux-ci ouvrent des niches plus rares où des États n'avaient aucun moyen d'éloigner certaines nationalités.
L'Agence compte 720 employés, contre un peu moins de 200 en 2015. Les effectifs ont plus que triplé. Nous sommes encore en train de recruter sur le contingent qui avait été décidé en 2016. Nos horizons de recrutements vont jusqu'en 2020 avec un objectif de 1 000 employés de l'Agence à la fin 2020 et de 250 pour le système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (ETIAS), une centrale européenne.
Il s'agira d'une autorisation pré-électronique de voyage que devront demander les 60, et bientôt 61 nationalités non européennes, qui ne sont pas soumises à visa, par exemple les Américains, les Australiens ou les Japonais. Après le Brexit, il est vraisemblable que les Britanniques entreront dans cette catégorie également. Il s'agit d'un système qui ressemble à ce que les États-Unis ont mis en place avec la demande d'autorisation de voyage (ESTA). L'Union européenne a décidé de se doter d'un système semblable. C'est l'agence Frontex qui gérera et accueillera l'unité centrale européenne. 250 personnes y seront affectées et travailleront en trois-huit, c'est-à-dire en permanence, sept jours sur sept.
À ce personnel, plus d'un millier, va venir s'ajouter celui du corps européen. Nous sommes en train de préparer la première vague de recrutements de 750 employés qui auront vocation à être déployés sur le terrain. Ils n'assureront pas de fonctions au siège de l'Agence mais des fonctions opérationnelles de policiers des frontières qui viendront en supplément des personnels de l'Agence.
À terme, nous pouvons envisager environ 3 000 agents de l'Union européenne dans le corps européen, en plus du millier au siège. L'Agence devrait compter 4 000 personnels à l'horizon 2027, sauf décision contraire que je ne connais pas à ce jour.
La relation de l'Agence avec Europol est très étroite. Depuis ma prise de fonction en 2015, j'ai eu à coeur de renforcer cette coopération, ainsi qu'avec les services de police des États. En effet, la gestion de la frontière extérieure de l'Union européenne, la frontière Schengen, ne se focalise pas uniquement sur les questions migratoires, mais implique aussi que l'on puisse utiliser la frontière extérieure, à l'entrée comme à la sortie, pour détecter des mouvements criminels ou terroristes et pour pouvoir les traiter comme il se doit.
La coopération avec Europol est cruciale. Depuis 2016, elle comprend des flux de données personnelles que nous sommes dûment habilités à collecter lors de nos activités aux frontières extérieures et que nous traitons et partageons avec Europol ainsi qu'avec Eurojust. La procédure avec Eurojust est en cours d'élaboration, elle répond à une mission qui nous a été confiée par le législateur européen. Elle implique également le partage de ces données avec les services de police.
La relation avec Europol s'effectue sur le terrain, là où l'Agence est présente et lorsqu'il y a des opérations coordonnées par Europol aux frontières extérieures. Elle s'établit sous l'angle de l'analyse des risques et de l'échange d'informations à caractère général et pas seulement des données personnelles. Elle est également plus stratégique concernant l'évolution de nos technologies que nous pouvons mettre à disposition d'Europol.
Comme nous avons l'habitude de le dire avec ma collègue Catherine de Bolle, la directrice exécutive d'Europol, la communauté des garde-frontières et des garde-côtes peut être les yeux et les oreilles du système d'information sur les visas (VIS). C'est en ce sens que tous les moyens supplémentaires techniques, je citais 2,2 milliards d'euros pour des moyens déployés aux frontières par le corps européen, indirectement, pourraient servir à la sécurité intérieure. Ils pourraient aussi contribuer à fournir de l'information utile pour Europol.
Depuis le début de l'année 2019, 16 000 personnes ont été sauvées en mer par l'agence Frontex et ses opérations, en Italie, en Grèce et en Espagne. En 2016, année de très fortes pressions migratoires avec de nombreux drames en mer, nous avions sauvé 90 000 personnes dans le cadre de nos activités et de nos opérations dans les principales zones géographiques que sont la Grèce, la mer Égée, la Méditerranée centrale et la Méditerranée occidentale, mais aussi l'Atlantique entre le Maroc et l'Espagne.
Frontex a un mandat pour développer la coopération avec des pays non-membres de l'Union européenne. La Turquie fait partie des États avec lesquels l'Agence a noué, de manière opérationnelle, des accords de coopération, et depuis 2012, un mémorandum d'entente. Les relations sont permanentes et constantes, y compris sur le plan opérationnel, avec la mise en oeuvre des opérations de réadmission que nous effectuons entre les îles grecques et la Turquie dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie qui a été établi en 2016.
Des officiers de liaison sont déployés au sein des délégations de l'Union européenne. Il s'agit en quelque sorte du même modèle que les attachés de police qui sont déployés dans des ambassades. Dans ce cas, un officier de liaison de l'agence Frontex est présent dans une délégation. Le premier a été déployé en 2016 à Ankara.
Notre activité est évidemment très intense en Grèce. Nous avons également une présence en Bulgarie. En effet, la frontière terrestre entre la Turquie et la Bulgarie, ainsi que celle entre la Turquie et la Grèce, sont des lieux sous pression migratoire avec également des problématiques de sécurité concernant de possibles retours de revenants du Proche-Orient.
Depuis quelques mois, nous sommes également présents à Chypre pour soutenir les autorités du pays dans la gestion de flux migratoires de plus en plus importants, qui soit arrivent par mer, soit sont détectés à Chypre en provenance vraisemblablement de la partie du territoire chypriote qui n'est pas sous le contrôle effectif du gouvernement. Il s'agit d'un élément nouveau. Nous aidons à l'enregistrement et à la prise d'empreintes digitales et nous offrons également des solutions pour l'éloignement de ces migrants irréguliers. Il y a une partie de Syriens, mais la plus grande partie provient, comme en Grèce et dans les Balkans, de l'Afghanistan, d'Iran, du Pakistan et du Bangladesh.
La coopération est excellente avec la France pour la mise en oeuvre du corps européen. Les services de la police des frontières et des douanes participent à nos activités. Notre relation s'est aussi beaucoup développée depuis 2016 avec la police nationale.
En effet, les profils des personnels déployés se sont diversifiés, au-delà de la police aux frontières. Par exemple, il y a eu des déploiements de gendarmes pour effectuer des missions d'éloignement d'étrangers en situation irrégulière. Très récemment, j'ai rencontré le directeur général de la gendarmerie nationale, preuve qu'il y a un intérêt très grand à coopérer. La coopération avec les autorités opérationnelles ou politiques de l'exécutif en France est très dense, très forte et très positive.
Sur la mise en oeuvre du futur mandat, le défi sera que les autorités françaises puissent réussir à détacher suffisamment de leurs agents nationaux dans le corps européen. Il consistera peut-être à convaincre un certain nombre de Français à être candidats à des postes de catégorie 1 sous statut européen. En termes budgétaires, il n'y a pas de contribution attendue puisque l'ensemble de notre budget vient du budget de l'Union européenne.
En ce qui concerne l'idée d'une surtaxe sur les visas, je crois que l'autorité budgétaire européenne, comme généralement l'autorité budgétaire nationale, est toujours attentive au principe d'universalité budgétaire et se méfie des surtaxes, bien que la question puisse se poser légitimement. La question de l'affectation de la recette budgétaire européenne consécutive à la mise en place d'ETIAS a pu se poser, puisque les ressortissants non européens qui demanderont une autorisation ETIAS devront payer. Cette recette reviendra vraisemblablement dans le pot commun du budget de l'Union européenne. La question pourrait se poser de l'affecter au contrôle des frontières et peut-être, aussi, à la remise en état de notre réseau consulaire.