Monsieur le rapporteur général, je vous souhaite un joyeux anniversaire.
Nous voici réunis pour débattre du troisième budget de ce quinquennat. Avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, j'ai farouchement combattu les précédents. Cette opposition, certes intransigeante, n'était en rien sectaire – les événements l'ont démontré depuis. La profonde injustice qui découle de votre politique budgétaire et fiscale depuis plus de deux ans vous a d'ailleurs été vivement rappelée par nombre de nos concitoyens à l'automne dernier.
Le Gouvernement semble ignorer la défiance qui monte dans le pays. Il balaie d'un revers de main les nombreux avertissements émanant de l'opposition. Il ne veut pas voir le sentiment d'injustice fiscale qui monte, la demande forte de services publics de proximité efficaces et équitablement répartis sur l'ensemble du territoire ou encore l'aspiration à préserver notre planète afin d'assurer un avenir aux générations futures.
Les attentes étaient fortes et votre responsabilité immense au moment de la présentation de ce projet de loi de finances pour 2020. Mais voilà : nos espoirs comme les espérances de nos concitoyens se sont envolés avec la lecture du PLF mais aussi du PLFSS, les deux étant liés. Ce budget est celui du renoncement face aux attentes de nos concitoyens. Pour les collectivités territoriales, ce budget est celui de la désolation, pour notre planète celui de l'abandon.
Renoncement, car la baisse globale des impôts, à hauteur de 9 milliards d'euros, ne sera d'aucun bénéfice pour le pouvoir d'achat d'une grande partie de ceux qui ont déjà du mal à finir les fins de mois, ceux qui n'ont d'autre choix que de vivre avec des minima et qui ne paient pas d'impôt sur le revenu. Ils représentent 21,3 millions de foyers ! Ceux-là ne verront pas leur pouvoir d'achat progresser. Au contraire, en sous-revalorisant certaines allocations à hauteur de 0,3 % – prime d'activité, rente versée à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, allocation aux adultes handicapés, allocation logement par exemple – alors que ce budget est construit sur une hypothèse d'inflation de 1,2 %, vous baissez leur pouvoir d'achat !
Ce sera par exemple le cas de nombreuses familles monoparentales, de veuves d'agriculteurs, de travailleurs pauvres. Et que dire des 1,3 million de personnes, soit la moitié des demandeurs d'emploi, qui seront violemment touchées par la réforme de l'assurance chômage ? Le Gouvernement prévoit d'ailleurs une forte hausse du nombre de chômeurs en fin de droits en 2020. Au passage, l'étude d'impact ne dit rien de l'effet d'éviction vers le RSA – revenu de solidarité active – , à la charge des départements, dont vous réduisez le dynamisme des recettes avec la réforme de la taxe d'habitation.
Ce PLF consacre également les errements présidentiels. Le candidat En marche à l'élection présidentielle annonçait, dans son programme, la suppression de la taxe d'habitation pour les 80 % des foyers les plus modestes et la suppression de l'ISF – impôt de solidarité sur la fortune – pour les plus aisés. Remarquons que l'ISF a été supprimé dès le 1er janvier 2018 en une seule fois, alors que la taxe d'habitation le sera en trois ans. Mais finalement, celle-ci le sera aussi à partir de 2021 pour les plus aisés, ce qui représentera pour eux un gain fiscal moyen annuel de 1 158 euros, contre 555 pour les 80 % restants. Ce gain moyen sera même supérieur à 2 000 euros pour les foyers se situant sur la tranche à 45 % du barème de l'impôt sur le revenu. À cette situation grotesque et anti-redistributive s'ajoute le cas des 5 millions de foyers qui ne paient pas de taxe d'habitation : eux ne recevront aucun cadeau.
Ce qui fut perçu comme une promesse de campagne populaire n'était en réalité qu'un mirage électoraliste, pour ne pas dire populiste, afin de faire avaler la pilule de la suppression de l'ISF et de l'instauration de la flat tax au seul profit des 5 % les plus aisés de la population.
Mais ce PLF est également celui de la désolation pour les collectivités territoriales, parce qu'il entérine les tâtonnements de l'exécutif s'agissant de la compensation de la suppression de la taxe d'habitation, première recette fiscale des communes et des intercommunalités. En effet, afin de limiter le coût de cette compensation, deux mesures viennent les pénaliser. Celles qui ont augmenté leur taux en 2018 ou 2019 se verront priver du produit lié à cette hausse.
Concernant la revalorisation des bases, vous changez la règle du jeu. Alors qu'il existe une règle claire – que le rapporteur général et moi-même avions votée – , prévoyant une revalorisation des bases en fonction de l'inflation constatée de novembre à novembre, vous annoncez arbitrairement une sous-revalorisation, certes moins importante que prévu grâce à la commission des finances. Que faites-vous de la libre administration des collectivités ? Ces mauvaises manières faites à ces dernières, outre qu'elles accentueront la défiance vis-à-vis du pouvoir, nous paraissent anticonstitutionnelles. Nous saisirons le Conseil constitutionnel à ce sujet.
Nous ne pouvons que souscrire à l'ambition d'augmenter la péréquation en faveur des territoires ultramarins ; mais que dire du financement ? Ce n'est pas l'État qui accordera 17 millions d'euros de plus à ces territoires : ce sont bien, une fois de plus, les collectivités de la métropole qui financeront intégralement cette mesure en lieu et place de la solidarité nationale.
Mais le cynisme ne s'arrête pas là. Vous prévoyez également une ponction sur les collectivités – via la minoration des variables d'ajustement – de 120 millions d'euros. À quoi servira cette somme ? À augmenter le prélèvement au profit de la collectivité territoriale de Corse, à financer les 10 millions d'euros destinés aux communes de moins de 1 000 habitants par le projet de loi engagement et proximité, à financer des exonérations d'impôts locaux sur les entreprises et – je voudrais, monsieur le ministre, que vous me confirmiez cette information qui figure dans le tableau qui m'a été fourni – au financement des conseillers aux décideurs locaux de la DGFiP – direction générale des finances publiques. Plus c'est gros, plus ça passe ! Quelle erreur politique pour quelques économies de bouts de chandelle ! Le Président de la République voulait rétablir la confiance : vous lui savonnez la planche en beauté !
Au total, trente-quatre pages du projet de loi de finances concernent la réforme de la fiscalité locale. Trente-quatre pages pour une seule ambition : diminuer les moyens financiers des collectivités et affaiblir les services rendus aux Français. Mais, non content d'accumuler les injustices au risque d'accroître toujours plus les inégalités, ce projet de loi de finances ne gomme en rien les erreurs du passé.
Au cours de ces deux dernières années, la suppression de l'ISF et l'instauration de la flat tax furent largement dénoncées sur les bancs de cet hémicycle. Le rapport d'évaluation remis par le comité de suivi de ces réformes nous a donné raison en dressant un constat très sévère sur les conséquences de ces mesures. En effet, le passage de l'ISF à l'IFI – impôt sur la fortune immobilière – a réduit le nombre d'assujettis de 360 000 à 130 000, altérant d'autant le consentement à l'impôt.
Pire encore, ce rapport démontre que 57 % des 3,1 milliards d'euros de cadeaux fiscaux sont perçus par les 5 % des ménages les plus aisés. Par ailleurs, la suppression de l'ISF a conduit à faire chuter significativement les dons aux associations, lesquelles ont vu leurs ressources diminuer de 150 millions d'euros tandis qu'en parallèle, comme le note le rapport, ces réformes sont à l'origine d'une forte progression des dividendes. Cela ne peut pas durer ainsi.
Cela ne devait d'ailleurs pas durer : en 2018, le porte-parole du gouvernement avait annoncé : « Il faudra voir si l'argent (... ) revient bien dans l'économie réelle (... ) et (... ) faire en sorte que, si ce n'est pas le cas, on modifie ce système (…) ». Pourtant, le projet de loi de finances pour 2020 ne modifie en rien l'injustice causée par la transformation de l'ISF en IFI et l'instauration de la flat tax.
Depuis le début de cette mandature, votre politique fiscale creuse les inégalités et ce PLF n'y déroge pas. En effet, vous diminuez les prélèvements obligatoires progressifs, dont le poids représente 5,5 % des revenus primaires des ménages, et en même temps, vous augmentez les prélèvements obligatoires non progressifs, qui représentent pourtant déjà 34,1 % des revenus. En d'autres termes, si le système fiscal français était déjà injuste avant l'accession au pouvoir d'Emmanuel Macron, il l'est encore davantage aujourd'hui. Faut-il vous rappeler qu'une fiscalité progressive est par essence équitable, juste, et qu'elle encourage le consentement à l'impôt, la solidarité et l'adhésion au projet national ?
À cela s'ajoute le fait que l'exécutif se présente comme le chantre de la transparence et de la moralité en politique. Il est vrai que cela a bien des vertus. Que de décalage toutefois entre les efforts des uns et les largesses des autres ! Pendant que nos concitoyens se serrent la ceinture et que l'Assemblée nationale a pris bien justement sa part en la matière au cours des dernières années, le budget de la Présidence de la République va, lui, augmenter de plus de 2,3 millions d'euros. À l'intérieur de ce joli pactole, 600 000 euros permettront de changer les voitures. En somme, avec ce PLF, la prime à la casse a de beaux jours devant elle !
Mais il est inquiétant que cela ne soit pas qu'une boutade. En effet, si les mesures d'urgence en faveur du pouvoir d'achat ont été une réponse nécessaire, quoique insuffisante, aux difficultés que traversent nos concitoyens, le Gouvernement choisit de façon cynique de faire supporter le financement de ces mesures à la sécurité sociale. Ce jeu de vases communicants ne fait que creuser le « trou de la sécu », que l'on pensait pourtant avoir comblé selon les dernières prévisions. Le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Olivier Véran, ne dit d'ailleurs pas autre chose.
Et pour cause : pour la deuxième année consécutive, les exonérations de cotisations sociales décidées par l'État ne seront pas compensées dans le budget de la sécurité sociale. En 2019, elles représentent 4 milliards d'euros au total, en complète contradiction avec la loi Veil de 1994. Pour 2020, plus de 4 milliards d'euros, de nouveau, ne seront pas compensés. La stratégie du Gouvernement semble claire : provoquer sciemment un déficit de la sécurité sociale pour justifier ensuite la réduction de notre modèle social, à l'image de la future réforme des retraites ou de la progression de l'Ondam – objectif national de dépenses d'assurance maladie – prévue pour 2020, qui ne permet pas de répondre à la crise de l'hôpital.
Troisièmement, ce projet de loi de finances ne prépare en rien l'avenir de la France et des Français. Tout d'abord parce qu'il abandonne notre planète. En effet, la hausse prévue de 2,6 % du budget du ministère de la transition écologique et solidaire est dérisoire. Ce n'est guère suffisant pour à la fois répondre à l'urgence climatique et suivre le modèle engagé par nos voisins européens. À titre d'exemple, l'Allemagne a adopté un plan de 100 milliards d'euros sur dix ans afin de protéger notre planète. Mais pire encore, le Gouvernement a prévu de supprimer près de 5 000 postes au ministère de la transition écologique et solidaire, dont plus de 1 000 dès 2020. C'est l'administration la plus touchée par les suppressions de postes dans la fonction publique avec le ministère de la santé, la direction générale des douanes et la DGFiP.
Les faits sont têtus, et ils ne sont pas à la hauteur de la communication gouvernementale. Ce projet de loi ne prépare pas l'avenir, car le Gouvernement ne profite pas des taux bas pour investir massivement dans la transition énergétique et écologique susceptible de préparer une croissance sûre et soutenable pour les décennies à venir.
Enfin, ce projet de loi de finances n'anticipe pas les risques liés au Brexit. En effet, dans son dernier avis, le Haut Conseil des finances publiques, HCFP, affirme que la prévision de croissance pour 2020 « ne prend pas en compte l'éventualité d'un Brexit sans accord et ses conséquences sur la croissance française ». Ce PLF pourrait donc devenir, en cours d'exécution budgétaire, totalement inadapté et incapable de répondre aux bouleversements à venir, même si ceux-ci sont déjà sensibles.
Plus encore, le HCFP dénonce l'écart croissant, en matière de solde structurel, entre les chiffres contenus dans le PLF et la trajectoire définie par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Ce budget consacre donc l'incapacité du Gouvernement à respecter les objectifs financiers qu'il s'était lui-même fixés. Souvenez-vous, monsieur le ministre de l'économie, de ces objectifs déclinés en 5-3-1 : une baisse de cinq points pour la dette publique, de trois points pour les dépenses publiques et d'un point pour les prélèvements obligatoires. En 2017, la dette s'élevait à 96,7 % du PIB ; en 2022, elle devait tomber à 91,4 %, soit cinq points de moins ; les dépenses publiques devaient passer de 54,6 à 51,1 % du PIB, soit trois points de moins, et les prélèvements obligatoires, de 44,7 à 43,7 %, soit un point de moins. Or on prévoit pour 2020 une dette à 98,7 %, des dépenses publiques à 53,4 % et des prélèvements obligatoires à 44,3 % – et non 44 %, monsieur le rapporteur général, si j'en crois la page 10 du PLF !