Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 14 octobre 2019 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Je serai moins agréable, vous vous en doutez, avec MM. les ministres, car je considère que ce projet de loi de finances est celui des inégalités, celui de l'affaiblissement de l'État et celui d'une mauvaise affaire économique pour le pays.

J'ai compris, M. Darmanin, qu'avec la collecte à la source de l'impôt sur le revenu sur douze mois cette année, vos baisses d'impôts ne se verraient pas dans le montant des recettes. Il n'empêche que dans les chiffres bruts, il y aura bien une baisse des ressources de l'État.

Surtout, vous touchez une nouvelle fois à l'égalité devant l'impôt en portant atteinte au caractère redistributif par excellence de l'impôt sur le revenu, et ce afin de réserver toujours plus de cadeaux fiscaux aux plus riches, ou du moins pour préserver ceux qui vous leur avez déjà donnés au cours des dernières années, masqués sous des lignes de communication.

Le cas de la taxe d'habitation est à cet égard typique : vous voulez nous faire voter sa suppression pour les 20 % des ménages les plus aisés. Présentée comme une baisse d'impôts, cette mesure sonne, à l'oreille, comme la meilleure nouvelle du monde. Mais comme je viens de le souligner, elle ne concerne que les 20 % des contribuables les plus aisés et représentera un manque à percevoir de 8 milliards d'euros, nuisible à l'intérêt général ainsi qu'à l'autonomie des collectivités, qui pouvaient jouer sur cette taxe. Vous auriez pu régler le problème de l'inégalité de la taxe d'habitation et révisant les bases locatives. À la place, vous jetez le bébé avec l'eau du bain. À l'avenir, cette réforme mal ficelée et bâclée – nous manquons d'ailleurs d'informations pour juger dans le détail de sa qualité – risque de peser lourd sur le budget de l'État et des collectivités.

La baisse de l'impôt sur le revenu, autre grande mesure phare, pose les mêmes problèmes. Au lieu de s'attaquer à la TVA, taxe injuste qui frappe de façon égale le surendetté et le milliardaire, le Gouvernement affaiblit l'impôt sur le revenu, présentant sa décision comme une mesure de justice fiscale destinée aux classes moyennes. Cela représentera toutefois un coût de 5 milliards d'euros pour la collectivité alors que la moitié des Français n'en bénéficiera pas.

Je ferai d'ailleurs remarquer à M. Le Maire, qui nous expliquait plus tôt, pour une raison qui m'échappe, que baisser l'impôt sur le revenu revient à favoriser les revenus du travail, que la moitié des Français n'acquittent pas cet impôt, même s'ils disposent d'un emploi.

Plus généralement, au sein des deux tranches concernées par cette baisse d'impôt figurent des célibataires percevant jusqu'à 6 700 euros par mois, et des couples avec trois enfants percevant 27 000 euros par mois. Je ne pense donc pas que cette baisse était l'urgence fiscale la plus cruciale du pays. Il aurait mieux valu, comme nous le proposons depuis des années, baser l'impôt sur le revenu sur quatorze tranches : en plus d'être plus juste, cela permettrait de réduire la charge pesant sur les classes moyennes et de générer 10 milliards d'euros de recettes supplémentaires.

Et comment justifiez-vous que cette baisse de l'impôt sur le revenu vienne s'ajouter aux nombreux autres milliards de cadeaux aux plus riches et aux grandes entreprises, accordés depuis le début du quinquennat et dont le montant ne cesse d'augmenter ? Au total, la suppression de l'ISF, la flat tax et la baisse de l'impôt sur les sociétés auront coûté, d'ici à la fin 2019, 30 milliards d'euros à l'État. Ce coût n'est même pas compensé par des mesures plus justes socialement ou par la suppression de niches fiscales inutiles, voire nocives, alors même que vous l'annonciez à grand renfort de publicité : seulement 600 millions d'euros en effet devraient être récupérés sur les 100 milliards que représentent les niches fiscales. Quant au crédit d'impôt recherche, j'invite M. Le Maire, qui en a vanté les mérites, à se référer aux excellentes réflexions de Joël Giraud, plus critiques encore que celles de la Cour des comptes.

Ainsi affaiblissez-vous l'État de manière importante. M. Le Maire a fanfaronné, disant sa fierté qu'aucun gouvernement n'ait autant réduit les dépenses publiques, tandis que M. Darmanin se félicitait d'avoir évité 40 milliards d'euros de dépenses. Mais cette économie aura une incidence négative pour la protection du climat et l'intérêt général. Le bon sens élémentaire aurait dû vous conduire à épargner au moins les capacités des plus modestes à investir et la transition écologique.

Votre projet de loi de finances prévoit en effet la suppression de 1 073 postes équivalents temps plein en 2020, et de 5 000 d'ici à la fin du quinquennat, au ministère de la transition écologique et solidaire. Les syndicats, que j'ai auditionnés il y a peu pour mon rapport et qui ont créé un « conseil de défense » du ministère de l'écologie, le qualifient tous de ministère en voie de disparition et s'inquiètent de l'écart grandissant entre les objectifs affichés et les moyens alloués pour les atteindre.

Aussi, monsieur Darmanin, si vous voulez bien m'écouter – je n'ai pu le dire à Mme Borne lors des dernières questions au Gouvernement – je vous demande d'arrêter les entourloupes, pour utiliser un mot gentil, ou, pour utiliser un mot méchant, les mensonges. L'écologie ne se voit pas doter de 800 millions d'euros de crédits supplémentaires : cette augmentation est due pour 400 millions à la reprise de la dette de la SNCF – ce qui ne constitue pas un apport au budget – et pour 400 millions au transfert de la prime aux véhicules propres – qui apparaît, cette année, au programme 174 « Énergie, climat et après-mines ». Pas un centime d'euro supplémentaire n'est donc prévu : il s'agit, comme d'habitude, d'un enfumage.

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