Vous nous expliquez, monsieur le ministre, que l'administration fiscale met déjà au point depuis 2013 ce genre de procédés dénommés « Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes », et qu'il ne s'agit ici que de poursuivre dans la même voie.
C'est faux, comme l'explique la CNIL dans son avis du 12 septembre, selon lequel nous sommes en effet confrontés à un véritable « renversement de méthode ». Jusqu'à présent, il ne s'agissait d'« aspirer » – selon le terme employé en matière de traitement de données – que des données issues des fichiers et des données internes aux administrations. Le nouveau traitement proposé reposera « sur une collecte générale préalable de données relatives à l'ensemble des personnes (…) et non sur une logique de traitement ciblé de telles données lorsqu'un doute ou des suspicions de commission d'une infraction préexistent ».
Avouez que la différence est de taille !
Pour atteindre votre objectif, vous souhaitez utiliser des techniques du big data et de l'exploration de données. Vous les désignez comme des « méthodes statistiques innovantes », alors qu'elles sont en réalité fortement controversées et souvent interdites dans nombre de pays, notamment aux États-Unis où elles sont pourtant nées.
Pour promouvoir cette mesure, monsieur le ministre, vous faites valoir que les informations et les photographies publiées sur les réseaux sociaux sont accessibles à tout le monde et qu'il n'y a pas de raison que l'administration fiscale soit la seule à ne pas pouvoir les prendre en compte. En réalité, le fait que des données soient accessibles sur internet ne signifie pas qu'elles puissent être librement aspirées dans un but autre que celui dans lequel elles ont été publiées. C'est d'ailleurs le sens de l'avis très critique rendu par la CNIL à l'égard de ce projet, que j'ai déjà cité.
Plus inquiétant encore, les ordinateurs de Bercy ne se contenteront pas de récolter les données des personnes concernées, puisqu'ils capteront également celles publiées par des tiers dans des avis et des commentaires : cela contribuera à instituer un système généralisé d'indicateurs fiscaux via les réseaux sociaux – pour parler clair, des mouchards.
Outre ces risques, la CNIL a également averti, et c'est probablement le plus grave, que la mise en oeuvre d'un tel mécanisme était « susceptible de porter atteinte à la liberté d'opinion et d'expression » des personnes concernées. Et pour cause, puisque ce que publient les contribuables sera enregistré et analysé par des algorithmes, et potentiellement conservé pendant un an, voire davantage si une procédure est lancée contre eux. Un risque d'autant plus sérieux que seront touchés non seulement les plateformes commerciales, mais également l'ensemble des réseaux sociaux, y compris les réseaux de communication de type YouTube, Facebook ou autres Twitter, ce que la CNIL a trouvé particulièrement critiquable et très au-delà de ce qui serait pertinent au regard de la lutte contre la fraude.
Et vous ne manquez pas d'humour, monsieur le ministre,...