Intervention de Edouard Philippe

Séance en hémicycle du mardi 15 octobre 2019 à 15h00
Questions au gouvernement — Offensive turque en syrie et situation des kurdes

Edouard Philippe, Premier ministre :

Permettez-moi d'abord de revenir sur les faits car, si vous les connaissez, je veux néanmoins les exposer clairement. Le 9 octobre dernier, la Turquie a lancé une offensive en Syrie à l'encontre des Forces démocratiques syriennes. Elle est de grande ampleur, tant par les moyens mobilisés, qu'ils soient terrestres ou aériens avec un recours massif à l'artillerie ; que par son périmètre avec, au-delà de l'offensive terrestre menée entre Tall Abyad et Ras al-Aïn, des frappes aériennes sur l'ensemble de la frontière syrienne, y compris à l'extrême nord-est ; et que par sa profondeur, avec des incursions terrestres au-delà de la zone de sécurité convenue au préalable – d'après ce que nous comprenons – entre les Américains et les Turcs.

La Turquie s'appuie par ailleurs massivement – ça n'est pas neutre – sur les supplétifs de l'armée nationale syrienne. La situation est très mobile et évolutive : nous la suivons heure par heure.

Le 13 octobre dernier, les États-Unis ont, pour leur part, annoncé le retrait de leur dispositif militaire du nord-est syrien. Dans ce nouveau contexte, la poursuite de l'offensive turque et son ampleur ont conduit les Forces démocratiques syriennes à engager des discussions et à conclure des arrangements avec le régime syrien.

Ces décisions turques et américaines sont et seront très lourdes de conséquences. J'adhère à votre gravité, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, pour affirmer que la responsabilité de ceux qui les ont prises sera très lourde, s'agissant aussi bien de l'avenir de la région que de la manière avec laquelle la Turquie et les États-Unis respectivement auront à nouer et développer des relations avec des pays de la région et au-delà.

J'ai déjà eu, la semaine dernière, l'occasion de souligner devant cette assemblée la lourdeur de ces conséquences et l'impact de ces décisions. Nous en voyons aujourd'hui les premiers effets sur le terrain.

Sur le plan sécuritaire d'abord, dans la mesure où ces décisions remettent en cause cinq années d'efforts fournis par la coalition internationale en Irak et en Syrie dont les Américains étaient le partenaire principal et dont beaucoup d'autres États comme la France étaient parties prenantes. Ces cinq années de travail et de combat sont remises en cause par la décision américaine. Nous constatons également que l'immanquable chaos induit par ces attaques commence déjà à apparaître : il favorisera la résurgence de Daech.

Sur le plan humanitaire ensuite, car nous dénombrons déjà des victimes civiles et plus de 150 000 déplacés depuis le début de l'offensive. La Turquie, animée par des motivations qui n'échappent à personne, a par ailleurs menacé de réinstaller de force des réfugiés dans le nord-est de la Syrie, en violation du droit international.

Sur le plan politique enfin, étant donné que la situation dans le nord-est syrien, pris en étau entre la Turquie et le régime syrien, nous éloigne de toute solution durable.

La France, avec ses partenaires, multiplie les initiatives. Je souhaite réitérer, de la façon la plus ferme et la plus claire, notre condamnation de cette opération militaire. Le Président de la République s'est entretenu hier soir avec le Président Erdogan. Il est indispensable de maintenir un dialogue direct et franc, pour que nous affirmions très exactement notre position et que nous fassions état de nos désaccords – nombreux en la matière.

Nous mobilisons nos partenaires dans toutes les enceintes où il est utile de le faire. C'est vrai du Conseil de sécurité de l'ONU, où nous avons, dès le lancement de l'offensive, obtenu l'organisation d'une réunion d'urgence. C'est vrai de la coalition contre Daech, car ces décisions unilatérales, notamment américaine, je le répète, s'inscrivent en porte-à-faux – c'est le moins que l'on puisse dire – avec son existence même. Nous souhaitons que chacun des membres de cette coalition, États-Unis et Turquie compris, y assument ses responsabilités. C'est vrai enfin du niveau européen, où nous avons obtenu, hier, une condamnation unanime de la Turquie.

Face à l'incidence négative de l'opération turque sur la sécurité européenne, la France a également décidé de suspendre les exportations d'armes vers la Turquie, et ce en coordination avec plusieurs partenaires européens, parmi lesquels l'Allemagne. Le sujet sera abordé demain lors du Conseil des ministres franco-allemand à Toulouse.

L'indignation dont vous avez fait part, madame de Sarnez, quant au sort réservé à nos alliés et à ceux qui se sont battus à nos côtés contre Daech, est partagée, je le sais, sur tous les bancs de cette assemblée, ainsi que par les membres du Gouvernement. Pour conclure cette longue réponse à cette excellente question, soyez assurée que je partage aussi, évidemment, cette indignation.

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