Intervention de Edouard Durand

Réunion du mardi 1er octobre 2019 à 19h15
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Edouard Durand, juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny, co-président de la commission Violences de genre du HCEfh :

Le vocable de « violences conjugales » décrit le réel et me convient tout à fait ; mais avec le mot de « féminicide », nous parlions plus précisément de la mort dans le couple.

J'entends votre propos sur l'exercice de l'autorité parentale. Je pense qu'il est très regrettable qu'il n'y ait pas de moyen de protéger l'enfant si on ne traite pas l'autorité parentale. S'il n'y a pas un traitement adapté de la parentalité, toutes les mesures de protection qui pourraient être mises en oeuvre pour protéger une femme victime de violences conjugales deviennent caduques. Si, dès lors que le couple a des enfants, il n'y a pas une organisation de la vie de la famille adaptée au modèle des violences, aucune mesure de protection ne peut être efficiente pour la femme victime de ces violences ni pour son enfant, parce que l'exercice de l'autorité parentale devient un moyen de perpétuer l'emprise sur elle et sur l'enfant.

Je partage l'avis, qui, je crois, est unanime dans cette enceinte, sur le fait qu'il faut d'urgence traiter ce problème de l'exercice de l'autorité parentale et le traiter de façon efficiente. Vous dites à juste titre, Mme Boyer, qu'un mari violent ne peut pas être un bon père. Nous pouvons même faire l'équation inverse : un mari violent est un mauvais père. Il est difficile d'être un plus mauvais père qu'en étant un mari violent créant un état de stress post-traumatique sur l'enfant, 40 % à 60 % des enfants victimes de violences conjugales étant directement victimes de violence physique exercée contre eux par le violent conjugal. En général, la société intervient pour moins que cela. Ce que je préconise, ce que nous préconisons depuis longtemps, c'est de présumer qu'un mari violent est un père dangereux et que, d'urgence, la mère dispose seule de l'exercice de l'autorité parentale par principe, et qu'il n'y ait pas de rencontre entre le père et l'enfant qui ne soit pas sous protection. S'il n'y a pas cette protection, alors – je pense que ceci est admis dans la conscience des professionnels et la conscience générale – les moments de rencontres sont des moments de risques de violences conjugales, ou bien de pression sur l'enfant ou de violence sur l'enfant. Nous faisons des visites médiatisées pour moins grave que cela. Nous devrions pouvoir le faire pour cela.

Nous savons que les violences conjugales font l'objet d'une double sous-révélation. Il y a très peu de dépôts de plainte, de l'ordre d'un cas sur dix à un cas sur six, c'est-à-dire qu'une très large minorité de faits sont portés à la connaissance des autorités. Nous savons aussi, deuxième effet de la sous-révélation, que les victimes disent moins que l'horreur du réel effectivement éprouvé. Il n'y a donc pas de risque à croire et à tenir compte de la parole. Comme juge des enfants, je cours beaucoup plus de risques à laisser passer des enfants devant moi sans les protéger que de risques à surinterpréter les violences. Nous savons que les fausses dénonciations sont un fait minoritaire et même marginal. Pourtant, les professionnels ont plutôt comme mécanisme de défense un mécanisme inverse qui fait qu'entre le moment où une femme victime de violences conjugales pousse la porte d'un commissariat, d'un tribunal ou d'un service social et où elle se retrouve dans le bureau du policier, du gendarme, du juge, ou de l'assistante sociale, elle passe du statut de femme victime au statut de mère manipulatrice. C'est un piège très grand que vous devez résoudre de manière volontariste, sauf à rendre vaine toute autre disposition de protection.

Je voudrais revenir sur le statut de l'enfant victime. Je partage votre point de vue, Mme Boyer : il est important de penser que l'enfant est victime ou co-victime des violences conjugales. L'impact sur lui est si grave qu'il ne doit pas seulement être pensé comme témoin ou comme enfant exposé, mais bien comme directement victime de ces violences, comme sa mère. Comme vous le releviez, ce n'est pas le cas en droit pénal, sauf à ce qu'il soit lui-même victime directement de violences.

Il y a plusieurs manières d'envisager une protection plus grande. La première, a été mise en oeuvre par la loi du 3 septembre 2018 qui faisait de la présence des enfants une circonstance aggravante des violences conjugales. C'est un très grand progrès et une très juste disposition, une très juste cause. Il peut y avoir une autre modalité qui n'est pas contradictoire : il s'agirait de vérifier que l'enfant victime est pris en compte dans le procès pénal, notamment pour une éventuelle allocation de dommages et intérêts, et de vérifier comment, éventuellement par la désignation d'un administrateur ad hoc, on peut faire entendre sa voix, sa souffrance et son besoin de soins qui vont coûter de l'argent, et donc justifier des dommages et intérêts. Troisième point, il pourrait être possible d'envisager un statut pénal de l'enfant victime de violences conjugales en vérifiant les dispositions actuelles ou en créant une disposition nouvelle faisant que les violences conjugales seraient à la fois une infraction commise contre la mère, et en même temps, une autre infraction commise contre l'enfant. C'est-à-dire deux infractions poursuivies simultanément par le mécanisme juridique de cumul idéal de qualifications, comme lorsque la société a une pluralité d'intérêts sociaux poursuivis, ce qui est le cas en l'espèce, et lorsqu'il y a une pluralité de victimes, ce qui est également le cas.

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