Intervention de Didier Migaud

Réunion du mardi 8 octobre 2019 à 17h15
Commission des affaires sociales

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Certains des commentaires qui ont été formulés n'appellent pas d'observations de ma part, car je ne veux pas aller sur le terrain politique. Ce que je crois, c'est que le rapport est trop récent pour que vous l'ayez lu dans le détail. Et je suis convaincu que lorsque vous l'aurez fait, nombre de vos commentaires vous paraîtront totalement injustifiés.

La Cour de comptes s'intéresse évidemment aux recettes de la sécurité sociale. Pour voir si un budget est en équilibre, il faut analyser à la fois les recettes et les dépenses : nous avons donc examiné les unes et les autres et formulé un certain nombre de recommandations sur les unes et sur les autres. Certains d'entre vous nous ont prêté des intentions qui ne correspondent pas du tout à la réalité des recommandations que nous faisons et j'espère que la lecture attentive de notre rapport permettra de corriger certaines appréciations.

J'ajoute que nous raisonnons par rapport à des objectifs qui sont votés par le Parlement : la Cour des comptes ne peut pas raisonner qu'à partir des décisions qui ont été prises légitimement par les représentants de la nation, élus au suffrage universel. C'est en fonction de ces objectifs que nous raisonnons.

J'en viens aux questions qui m'ont été posées. Vous m'interrogez sur la sincérité du projet qui vous est présenté : vous savez qu'il n'appartient pas à la Cour des comptes d'apprécier la sincérité d'un projet. Cela relève des prérogatives du Conseil constitutionnel. Il peut nous arriver de noter des éléments d'insincérité, notamment lorsqu'ils sont nombreux : nous l'avons fait par le passé. Nous n'avons pas noté d'éléments d'insincérité dans le projet qui vous est présenté, si ce n'est, dans le budget de l'État, les éléments que l'on repère classiquement. Je rappelle néanmoins que le Haut Conseil des finances publiques a considéré que les hypothèses macroéconomiques du Gouvernement étaient soit réalistes, soit raisonnables, et que le schéma de finances publiques global proposé était en cohérence avec ces hypothèses macroéconomiques, même si nous avons par ailleurs noté que ces projets s'éloignent des objectifs définis dans la loi de programmation de 2018. Nous sommes dans notre rôle en le constatant.

Plusieurs d'entre vous ont posé la question de la compensation – ou de la non-compensation – par l'État et de l'application d'un certain nombre de principes définis notamment dans la « loi Veil ». Je rappelle que la « loi Veil » est une loi ordinaire et que ses dispositions peuvent toujours être modifiées par une autre loi. Chaque année, vous pouvez modifier certaines règles, même si la Cour des comptes a souvent appelé à une plus grande stabilité, dans le temps, des critères implicites qui conduisent à proposer au Parlement de compenser des pertes de recettes pour la sécurité sociale. Nous sommes effectivement favorables à une plus grande stabilité, mais la non-compensation n'explique pas tout : une part du déficit constaté ne relève pas de la décision de non-compensation de l'État.

C'est le rôle de votre commission des affaires sociales que de s'intéresser au déficit de la sécurité sociale, et c'est l'objet du rapport que je vous présente. Mais on peut aussi avoir une approche plus globale du déficit des comptes publics : que ce déficit soit celui de l'État ou de la sécurité sociale ne change rien. Vous, vous raisonnez spécifiquement sur la sécurité sociale, et la commission des finances, elle, raisonne à partir du budget de l'État, mais il faut aussi raisonner toutes administrations publiques confondues pour apprécier les déséquilibres de nos comptes publics.

S'agissant des recettes et des niches sociales, nous constatons effectivement une augmentation des mesures d'allégements généraux de cotisations sociales au cours des dernières années. Nous avons essayé de les chiffrer : elles sont de l'ordre de 90 milliards d'euros. Tous ces dispositifs dérogatoires n'étant pas recensés dans l'annexe 5 présentée par le Gouvernement, nous avons essayé de les recenser de manière exhaustive. Certains de ces dispositifs dérogatoires font parfois l'objet d'une évaluation négative, d'autres ne sont pas évalués : il importe donc de les évaluer de façon plus systématique. Ce travail d'échenillage pourrait mettre au jour des marges de manoeuvre et dégager des recettes supplémentaires pour la sécurité sociale. Cela fait plusieurs années que nous invitons le Gouvernement et le Parlement à faire ce travail sur les niches sociales.

S'agissant des dépenses, nous constatons qu'il existe des marges d'économies et d'efficience. Notre préoccupation est double : elle vise à la fois l'équilibre de la sécurité sociale et l'équité. Les économies, à partir du moment où elles ne remettent pas en cause la qualité des soins et l'accès aux soins, peuvent aider à sauvegarder le régime de sécurité sociale et contribuer à plus d'équité. En effet, certaines dépenses ne sont pas médicalement justifiées et d'autres font apparaître des inégalités : c'est notamment le cas des systèmes de retraite, qui se caractérisent par leur très grande hétérogénéité. Nos concitoyens, du reste, ne comprennent pas toujours ces différences de situation. Nous mettons sur la table un certain nombre de propositions, dans le double but d'équilibrer davantage la sécurité sociale et de garantir l'équité.

Nous avons toujours considéré que les déficits de la sécurité sociale sont une anomalie : ce sont des dépenses de transfert, des dépenses courantes, des dépenses de fonctionnement. Il ne nous semble pas légitime de financer par l'emprunt des dépenses qui concernent les générations actuelles et qui, d'une certaine façon, n'ont pas à être financées par les générations futures, lesquelles ont suffisamment de problèmes devant elles, avec les questions de la dépendance ou des retraites, qui sont encore loin d'être résolues. Nous sommes l'un des rares pays au monde à accepter un déficit durable de la sécurité sociale et nous pouvons mettre fin à cette situation, si nous travaillons à la fois sur les recettes et sur les dépenses. Sur le plan des recettes, il convient de rationaliser l'ensemble des régimes dérogatoires et, sur le plan des dépenses, d'utiliser les marges d'efficience qui apparaissent, dans le secteur du transport sanitaire, par exemple.

Je dirai encore un mot de la dette. La CADES fait son travail et un certain nombre de recettes lui sont affectées pour réduire la dette sociale. Le problème, c'est que, parallèlement, la dette portée par l'ACOSS augmente. Elle sera de l'ordre de 30 milliards à la fin de l'année 2019 et on estime qu'elle atteindra près de 46 milliards à la fin de l'année 2022, ce qui est problématique, puisqu'on est en train de reconstituer une dette sociale. Il est vrai que les taux d'intérêt sont extrêmement avantageux aujourd'hui, mais il faudra tout de même rembourser ce qui a été emprunté. Il me semble que les emprunts devraient surtout être destinés aux dépenses d'investissement ou à celles qui peuvent augmenter la croissance potentielle du pays, plutôt qu'à des dépenses de transfert ou de fonctionnement. La question de l'équilibre des comptes sociaux reste tout à fait d'actualité.

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