Intervention de Denis Morin

Réunion du mardi 8 octobre 2019 à 17h15
Commission des affaires sociales

Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Nous avons fait un état des lieux assez précis du passage du quasi-équilibre de l'année dernière aux 5 milliards de déficit de cette année, et je rappelle que l'explication principale n'est pas la non-compensation par l'État. L'explication principale, c'est la correction d'hypothèses économiques qui étaient très favorables l'année dernière sur la masse salariale. Le débat qui consiste à savoir si la prime de fin d'année s'est ou non substituée à du salaire – qui aurait donné lieu à des cotisations – est sans objet, puisque ce point est toujours présenté, dans les hypothèses de l'an dernier, comme dans celles de cette année, comme accessoire dans le calcul. On est donc bien à champ constant.

Le second point qui nous a beaucoup frappés, c'est l'accélération forte de l'évolution de la dépense sociale – elle a été retracée dans l'un des graphiques. Globalement, la dépense sociale, tous champs confondus, c'est-à-dire sur une masse de 500 milliards, a connu une progression d'un point par an, ce qui représente tout de même 5 milliards de dépenses supplémentaires chaque année, par rapport au point bas de 2015 ou 2016. C'est cette accélération qui explique, en grande partie, le creusement du déficit.

S'agissant des dispositions de la « loi Veil », comme le Premier président l'a dit, ce qu'une loi fait, une autre loi peut le défaire. Si la « loi Veil » s'était appliquée dans sa pureté, le débat sur la compensation de l'anticipation de la mesure d'exonération sur les heures supplémentaires au mois de janvier pourrait effectivement se poser – cela représente 1,5 milliard d'euros. Je rappelle aussi qu'au cours des cinq années précédentes, l'État a surcompensé à la sécurité sociale. Dans ses versements annuels cumulés, il a apporté 4 milliards de plus que ce qu'il aurait dû verser au titre de la compensation des exonérations de charges. Cela a permis d'éviter de creuser la dette sociale, mais il y a eu cet apport supplémentaire. La Cour avait d'ailleurs écrit en 2016 que, dans ces conditions, il n'était pas absurde de se poser la question d'un retour à meilleure fortune pour l'État lui-même. Elle a validé cette démarche, avant même que le débat soit ouvert par le PLF et le PLFSS de l'an dernier.

Le fait de déplacer le stock de dette actuel de la sécurité sociale vers l'État ne changerait pas grand-chose aux conditions de financement, puisque l'ACOSS et la CADES, pour la part consolidée de la dette, se financent dans les mêmes conditions que l'État, c'est-à-dire à des taux négatifs à court terme, et même jusqu'à dix ans. En revanche, il est clair que la question se posera de l'avenir de la dette flottante de l'ACOSS : vous avez rappelé, monsieur le Premier président, que, dans la trajectoire actuelle, elle pourrait atteindre 46 milliards d'euros en 2022.

La disparition de la CADES est acquise : ses équipes ont d'ailleurs été transférées à l'Agence France Trésor depuis déjà quelques années. Il faudra s'interroger sur le devenir des ressources annuelles de la CADES : les 16 milliards que vous avez évoqués, monsieur le Premier président, de CSG et de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), et les 2 milliards annuels du Fonds de réserve pour les retraites, qui, de fait, pourraient être disponibles pour couvrir une partie de la dette flottante de l'ACOSS, année après année. Il existerait d'autres manières d'utiliser ces ressources : les idées ne manquent jamais, quand il s'agit de faire des dépenses – il va de soi que les dépenses sont justifiées dans le secteur médico-social.

S'agissant des niches sociales, nous n'avons pas fait de travaux d'évaluation de l'impact des exonérations de charges : bien nous en a pris, car c'est un sujet assez complexe. Nous n'en disons rien dans le rapport, mais je ferai un seul commentaire : tous ces sujets ont normalement été pesés, lorsque la bascule du CICE sur les allégements généraux de charges a été opérée. La question s'est posée de savoir dans quel segment de revenus on maximisait l'effet emploi. Tout cela a donné lieu à de nombreuses études. Ce qui est souhaitable, en tout cas, si l'on veut que ces dispositifs aient un effet réel sur l'emploi, à travers l'allégement du coût du travail, c'est qu'il y ait une certaine stabilité dans le paramétrage de ces dispositifs. Changer un paramètre tous les ans, c'est le meilleur moyen de manquer son effet. Je livre cette réflexion à la représentation nationale.

Sur le sujet des départs anticipés à la retraite, nous avons été étonnés de l'impact des sept dispositifs principaux, hors régimes spéciaux de retraite, qui permettent de partir à la retraite avant l'âge de 62 ans, ou à l'âge de 62 ans même lorsque les conditions de durée de cotisation ne sont pas remplies : un départ sur deux est anticipé aujourd'hui, contre un sur trois il y a cinq ans. Cet élément, qui a son importance dans la perspective de la réforme des retraites, plaide pour une convergence vers un système unique.

La situation de départ est assez divergente suivant les régimes spéciaux : l'âge moyen de départ à la retraite est de 55 ans à la RATP, 56 ans à la SNCF et 63,1 ans dans le régime général. Or cet écart de sept ou huit ans n'entraîne pas d'écart correspondant en espérance de vie : dans le cadre d'une démarche de convergence, cela peut évidemment poser question.

Nous avons travaillé sur ce sujet en mettant en avant d'une part l'invalidité, qui ouvre droit à la retraite à 62 ans pour des contingents annuels de 130 000 personnes, mais aussi les catégories actives dans la fonction publique – ces dernières relèvent d'un classement qui, pour certains corps ou certains emplois, est parfois très ancien, à tel point d'ailleurs que l'on a parfois du mal à retrouver les emplois éligibles à la catégorie active, notamment dans les collectivités territoriales –, ainsi que les carrières longues, dispositif de 2003 ajusté à plusieurs reprises.

Si nous avons fait cette photographie, c'est bien entendu pour illustrer l'hétérogénéité de la situation de départ : celle-ci rend toute réforme ayant un objectif de convergence particulièrement difficile à gérer, et nécessite par conséquent des délais.

Monsieur Véran, nous n'avons pas travaillé sur le thème de la lutte contre la fraude : nous lui consacrerons l'année prochaine un chapitre dans le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale. En outre, un rapport parlementaire est en préparation sur ce sujet. Nous avons en revanche bouclé nos travaux sur la vieillesse, qui sont disponibles pour la représentation nationale puisque nos observations définitives seront transmises aux parlementaires qui le souhaitent. Nous sommes également en train d'achever nos travaux sur la maladie ; il nous restera à traiter de la famille, avant de faire une synthèse l'année prochaine.

Concernant la visibilité pluriannuelle de l'ONDAM, peu de politiques publiques offrent une visibilité aussi large que celle figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale. La progression de l'ONDAM pluriannuelle est fixée à l'avance – 2,5 % en 2019, 2,3 % à partir de 2020 –, ce qui implique un effort d'économie plus important pour 2020 si l'on veut tenir l'objectif. Cela étant, cette trajectoire pluriannuelle fixée jusqu'en 2023 donne des éléments de référence assez solides.

Par ailleurs, la Cour a appelé à plusieurs reprises à ne pas multiplier les découpages de l'ONDAM en sous-objectifs, qui rendent le pilotage beaucoup trop compliqué et nécessitent de documenter les transferts d'un sous-objectif vers un autre : c'est le cas des dépenses de soins de ville qui sont prescrites à l'hôpital. Il ne serait pas inutile d'approfondir ce sujet extrêmement difficile en éclairant davantage l'impact financier de ces transferts.

Nous avons également rappelé l'année dernière à quel point le mode de régulation classique de l'ONDAM depuis 2010, fondé sur la mise en réserve des dotations budgétaires destinées à l'hôpital, était à revoir, considérant que cela faisait peser des contraintes trop fortes sur les établissements publics de santé. Étant très attachés au respect global de l'ONDAM, nous avons appelé à ce que la mise en place de dispositifs de régulation dans les autres segments de l'ONDAM, en particulier en médecine de ville. J'avais d'ailleurs répondu ici même, l'année dernière, à des questions sur des accords prix-volume : nous souhaitons leur développement au-delà du strict champ actuel des biologistes, sur le modèle de ce qui se fait pour les biologistes ou pour les médicaments.

De la même manière, cette année, le rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale met l'accent sur deux sujets difficiles : la régulation des transports sanitaires et la régulation des arrêts de travail. Nous évoquons toute la palette des instruments de régulation, allant du contrôle des médecins prescrivant beaucoup à l'éventuelle mise en place d'un ticket modérateur pour les assurés sociaux.

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