Intervention de Denis Morin

Réunion du mardi 8 octobre 2019 à 17h15
Commission des affaires sociales

Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Monsieur Lurton, vous avez souligné que le schéma financier de l'année dernière était dorénavant caduc. La sécurité sociale doit revenir à l'équilibre comme prévu et dégager des excédents pour que, d'une part, une partie de ces excédents soit fléchée à nouveau vers l'État, à hauteur de 5 milliards, et une autre partie soit fléchée à titre complémentaire vers la CADES pour apurer la totalité de la dette flottante. Tout cela est complètement terminé puisque la trajectoire est tout à fait différente. Vous avez donc parfaitement raison d'analyser le sujet de cette façon.

M. Vigier s'est interrogé sur le sort de la CRDS. Il est évident que l'on aura encore besoin de la CRDS pour apurer le solde de la dette. Dans la trajectoire actuelle, cela représente 46 milliards en 2022, voire plus si la trajectoire ne se confirme pas ou est moins bonne que prévu. Il faudra bien que les 16 milliards aujourd'hui acquittés par les actifs pour financer les dépenses de leurs aînés soient maintenus pour solder cette grande période d'endettement de la sécurité sociale qui a commencé en 1996 et aura au total porté sur plus de 280 milliards d'euros.

Dans le chapitre que nous avons consacré au difficile sujet des greffes, nous avons montré l'écart croissant malheureusement entre le nombre annuel de greffes, qui a baissé en 2018 – les premières données sur 2019 ne sont pas très bonnes non plus – et l'augmentation forte du nombre de patients en liste d'attente : au cours des six ou sept dernières années, ils sont passés de 10 000 à 16 000, pour 6 000 greffes pratiquées. En conséquence, environ 600 patients en liste d'attente décèdent chaque année avant d'avoir pu accéder à la greffe, ce qui n'est quand même pas négligeable.

Nous avons également été frappés par les réticences des familles : les taux de refus de prélèvements sont d'ailleurs extrêmement variables d'un département ou d'une région à l'autre. Les familles peuvent effectivement s'opposer à un prélèvement car les textes le permettent. Dans cette hypothèse, les équipes médicales hésitent, et on peut les comprendre, à passer outre. La réglementation est déjà très ouverte : le principe est bien celui du prélèvement, sauf opposition. Je rappelle d'ailleurs que dès que ce texte a été adopté, nombre de nos concitoyens se sont inscrits dans le registre des refus, qui était jusqu'alors peu utilisé. Mais il y a clairement une difficulté à mettre en oeuvre cette réglementation, plus que dans d'autres pays. Ainsi, en Espagne, dont on peut penser que la tradition est proche de la nôtre, le refus de prélèvement est beaucoup moins répandu que dans notre pays. Cet écart croissant entre le nombre de greffes pratiquées chaque année et le nombre de nos concitoyens en liste d'attente est l'illustration d'une vraie difficulté : pour la population en liste d'attente, cela renvoie aux défaillances bien connues des politiques de prévention de santé publique dans ce pays, qui ont continué à marquer leurs limites.

Concernant les niches sociales, le débat est permanent entre la Cour des comptes et la direction de la sécurité sociale, d'un côté, et l'État, avec la direction de la législation fiscale, de l'autre, pour déterminer ce qui relève de la norme et ou de l'exception. Ce débat est souvent invoqué par les administrations pour ne pas faire figurer dans les documents d'information à l'attention des parlementaires l'ensemble des dispositifs qui, de notre point de vue, constituent une exonération à la règle de droit commun en matière fiscale et en matière sociale.

Nous en avons d'ailleurs débattu dans le cadre de la préparation de ce chapitre avec le ministère. Nous lui avons soumis un certain nombre de corrections techniques, qui ont été acceptées. L'annexe 5 sera plus fiable, plus précise cette année qu'elle ne l'était les années précédentes. Il reste quelques débats de fond, ainsi qu'une défaillance générale de l'évaluation de ces dispositifs ; cela vaut aussi pour les exonérations fiscales.

Malgré tout, 90 milliards d'euros, et même, si l'on prend en compte l'ensemble des régimes complémentaires, probablement un peu plus de 100 milliards – ce qui inclut, il faut le rappeler, 52 milliards d'euros au titre de la réduction du coût du travail, une niche qui a en soi une justification économique ancienne, puisqu'elle compte aujourd'hui une trentaine d'années – constituent une masse justifiant des évaluations récurrentes.

Nous avons, en la matière, un regret : même lorsque des évaluations négatives ont été menées, les conséquences n'en ont pas été tirées, comme nous le signalons dans le chapitre en question, au travers de plusieurs cas.

S'agissant des départs anticipés en retraite et de la pénibilité au travail, Jean-Pierre Viola, rapporteur général de ce rapport, a répondu à la question de M. Belkhir Belhaddad.

Pour répondre aux questions posées par Mme Jeanine Dubié sur la gestion des indemnités journalières, la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) dispose aujourd'hui – et cela nous rassure – d'un plan en cours d'exécution qui prévoit de développer très fortement le numérique. Nous avons également pointé, dans le rapport sur la certification des comptes, une grande partie des difficultés liées au paiement à bon droit de cette prestation : nous y signalons cet enjeu de l'ordre de 800 millions à 1 milliard d'euros.

Vous avez raison de le souligner : à l'époque du numérique et de la déclaration sociale nominative (DSN), la numérisation doit s'accélérer, car c'est une condition capitale pour, sans même parler des fraudes, éviter des erreurs dans la liquidation des prestations ainsi que pour verser des prestations en se basant sur des données de revenus des allocataires contemporaines et non anciennes. Or de telles données sont automatiquement fournies par la DSN – et non pas déclarées, car chaque déclaration implique un risque d'erreur, intentionnelle ou non.

Je signale que la base mensuelle de ressources, dont le principe a été validé pour 2020par la loi, permettra, pour toute une série d'allocations, et notamment pour les allocations logement, de sortir enfin de ce débat récurrent sur les indus, incompréhensibles pour nos concitoyens, depuis au moins une trentaine d'années.

Cette base permettra également de sécuriser les conditions d'attribution d'un certain nombre de prestations de solidarité – RSA, CMU-C – et même de répondre au non-recours à celles-ci qui caractérisent beaucoup d'entre elles. En effet, leur complexité dissuade parfois un certain nombre de nos concitoyens d'en solliciter le bénéfice.

Il faut donc mettre l'accent sur la numérisation : le plan de la CNAM que j'ai évoqué et qui est en cours de déploiement répond à cet objectif.

Il faut aussi simplifier la réglementation, à chaque fois que cela est possible. J'appelle à cet égard votre attention sur les conditions d'exonération du ticket modérateur pour les transports sanitaires en cas d'hospitalisation : 140 possibilités existent en la matière ! On peut donc difficilement reprocher au médecin de ne pas être capable, à l'occasion d'une consultation, de cocher parmi ces 140 cases celle qui convient. On peut certainement faire beaucoup plus simple.

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