Intervention de Denis Morin

Réunion du mardi 8 octobre 2019 à 17h15
Commission des affaires sociales

Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Madame Vignon, vous avez rappelé, comme nous l'avons fait cette année dans le rapport, l'ampleur des sept dispositifs relatifs aux départs anticipés en retraite, qui représentent un départ sur deux.

Effectivement, l'âge moyen de départ en retraite s'élève progressivement dans notre pays, mais par définition moins vite que si ces dispositifs n'existaient pas. Nous avons légèrement dépassé 62 ans, très loin de la situation que l'on constate dans les pays voisins, qu'il s'agisse de l'Allemagne, de l'Italie ou, a fortiori, du Royaume-Uni. Vous avez raison, la question du réexamen du classement des corps ou des emplois en catégories actives au sein des fonctions publiques mérite d'être posée, pas forcément en vue de remettre en cause des droits, mais a minima afin d'actualiser ces données.

Peut-être faut-il, dans certains cas, se montrer plus exigeant. Je rappelle à cet égard que la réforme du statut des infirmières en 2010 a remis en cause, en prévoyant évidemment un droit d'option, le bénéfice du classement en catégorie active en permettant l'accès à la catégorie A. Les infirmières ont d'ailleurs opté à parité entre les deux possibilités offertes. Des évolutions peuvent par conséquent intervenir : elles se gèrent, même si ce n'est pas toujours aussi simple.

Probablement pour des raisons de coût, nous n'avons pas proposé d'étendre les retraites progressives à la fonction publique. En outre, au sein de celle-ci, le départ en retraite est régi par la limite d'âge, qui constitue, vous le savez, un couperet absolu. Il s'agit d'une variable agissant selon les cas soit de façon très précoce, dans le cas d'un classement en catégories actives, soit de façon plus tardive.

Madame Valentin, vous avez posé les conditions de l'équilibre durable de la sécurité sociale. Je rappelle les grands fondamentaux de la position de la Cour : pas de déficit justifié en matière de dépenses de transfert et de fonctionnement. Le débat peut avoir lieu, en revanche, lorsqu'il s'agit de financer des investissements préparant l'avenir du pays, en particulier dans les pays européens dont les comptes sont revenus à meilleure fortune, ce qui ne correspond pas tout à fait à notre situation, ni, évidemment, à celle de notre sécurité sociale.

La Cour a toujours eu une expression très ferme sur la nécessité absolue de piloter les comptes sociaux au voisinage de l'équilibre sur un cycle économique. Nous espérons que la question se posera de savoir comment atteindre un tel objectif. Une réflexion devra être menée en la matière lorsque cette grande période de trente années de déficit – 280 milliards d'euros progressivement remboursés – sera derrière nous.

Nous évoquons une piste dans notre rapport : si l'on veut maintenir les comptes sociaux à l'équilibre, il ne faut pas que les dépenses évoluent plus vite que les recettes. Si l'on veut formuler les choses de façon plus compliquée : il ne faut pas que l'évolution des dépenses soit plus rapide que notre croissance potentielle. Tout le problème est de savoir comment piloter un système de solidarité aussi étendu que le nôtre – 500 milliards d'euros, 650 milliards d'euros au total de dépenses sociales et de solidarité – dans un contexte qui n'est plus celui des Trente Glorieuses. Notre système a en effet vu le jour lorsque notre croissance s'élevait à 3 % par an, alors que notre potentiel est aujourd'hui de l'ordre de 1 % : c'est forcément plus compliqué. On peut s'en sortir en orientant massivement les ressources publiques vers la sécurité sociale : c'est ce que l'on fait depuis vingt ans. Si la part des prélèvements obligatoires d'État n'a en effet cessé de baisser et celle des prélèvements obligatoires sociaux d'augmenter, viendra un moment où même cette orientation montrera ses limites. Le débat relatif à la compensation ou pas par l'État en est l'illustration.

La Cour des comptes ne voit donc comme seule solution que de poser la question d'une maîtrise équitable des dépenses. Elle parvient à montrer à cet égard qu'à travers la lutte contre les désorganisations, les absences de qualité et les inefficiences générales, qui peuvent exister ici ou là, des marges de manoeuvre existent avant de se poser la question de la révision des droits.

Sur les fragilités du système, madame Grandjean, qu'il s'agisse d'erreurs ou de fraudes, elles sont substantielles et évidemment pas toujours faciles à chiffrer, même si c'est plus facile concernant les premières, pour lesquelles nous disposons d'ailleurs d'indicateurs qui figurent dans le rapport de certification des comptes de l'État. Y figurent notamment des indicateurs de risques résiduels attachés au processus de liquidation d'un certain nombre de prestations : s'il n'existe pas vraiment d'équivalent pour la maladie, il en existe pour la famille. Cette dernière branche maîtrise bien ses risques, en effet, et déploie une politique active de maîtrise de ceux-ci. Or c'est moins le cas des branches maladie et vieillesse, ce qui explique certaines erreurs et, sans doute, des fraudes. La réponse réside véritablement, comme je l'ai indiqué, dans le numérique, la DSN et la simplification.

M. Dominique Da Silva a posé une question relative à l'apprentissage : nous ne proposons nullement de remettre en cause les exonérations sociales attachées à celui-ci, chacun étant bien conscient qu'il s'agit d'une politique absolument prioritaire. Nous suggérons d'évaluer l'impact de ces exonérations. On peut cependant faire le pari qu'à l'issue d'une évaluation de celles attachées au contrat d'apprentissage, il serait considéré comme positif et que, dans cette hypothèse, nous ne proposerions pas de remettre en cause cette niche sociale. Il existe, en revanche, d'autres dispositifs aux impacts moins évidents.

Sur la PMA, madame Corneloup, nous nous sommes effectivement interrogés sur le point de savoir si nous devions lui consacrer un chapitre dans le contexte de révision des lois relatives à la bioéthique. Nous avons tracé une limite très stricte pour ne pas prendre position sur ce qui ne constitue pas le métier de la Cour, c'est-à-dire sur la question de savoir s'il faut par exemple étendre ou non le bénéfice de telle ou telle technique. Il appartient au Gouvernement et aux parlementaires de fixer les conditions d'une telle extension, à travers leurs travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Nous n'instillons même pas l'idée que l'analyse médico-économique du secteur permettrait de justifier, d'une manière ou d'une autre, qu'on ne peut pas procéder à une telle extension.

Nous notons simplement que les conditions de prise en charge sont aujourd'hui variables d'un centre à l'autre, sans que l'information fournie aux patients ou aux patientes soit toujours pertinente, qu'il existe en France un recours plus systématique que dans d'autres pays à l'insémination artificielle, avec notamment pour les cinquième et sixième tentatives remboursées par l'assurance maladie une perte de chance pour les couples concernés. Cet élément pose question dans le cadre bioéthique mais nous en sommes restés très strictement à une analyse du système et des 300 millions d'euros qui lui sont aujourd'hui affectés – j'ai découvert ce montant en lisant le chapitre concerné.

Nous avons surtout relevé des inégalités et des écarts dans la prise en charge, ce qui est finalement très caractéristique de notre système de santé et qui prévaut également en matière de PMA. En tout cas, nous ne voulons nullement, à travers aucun diagnostic, interférer avec le débat en cours.

Pour information, dans le cadre actuel, le nombre de naissances au moyen d'une PMA s'élève à 20 000 par an, soit 3 % des naissances ; il a augmenté d'un point en vingt ans. De notre point de vue, un tel résultat reste assez modeste : il faut espérer que la proportion de naissances qui lui sont dues progresse, car malheureusement, dans beaucoup de cas, le recours à la PMA n'est pas couronné de succès.

J'en viens enfin aux différentes questions posées par M. Vigier, auxquelles vous avez déjà pour partie répondue, monsieur le Premier président. Je ne reviendrai donc pas sur les fraudes sociales ni sur le rôle de la CRDS dans le financement de la dépendance. Pourquoi pas, en effet, si une telle ressource est disponible en 2024 ? On peut cependant avoir quelques doutes sur ce point. Si la dette sociale s'élève à 46 milliards d'euros en 2022, la réponse sera, à l'évidence, non, et il faudra trouver une autre recette. Si elle était entièrement remboursée, on pourrait même envisager de rendre aux Français cette contribution, qui a été mise en place en 1996 : cela équivaudrait à une baisse de prélèvements obligatoires pas totalement inutile compte tenu niveau de ces derniers.

Monsieur le député, je ne sais pas répondre à votre question sur l'impact des dernières décisions annoncées par le Gouvernement sur le lien entre la prime et une politique d'intéressement : il est effectivement probable que, du coup, celle-ci sera dans certains cas moins favorable, et que dans d'autres elle ne sera tout simplement pas versée. Cette prime n'étant cependant pas assujettie à cotisations sociales, cette évolution ne devrait pas modifier en quoi que ce soit le débat portant sur la compensation ou non entre l'État et la sécurité sociale.

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