Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du mardi 22 octobre 2019 à 15h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 — Présentation

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

C'est avec honneur et dans un esprit de grande responsabilité que je reviens pour la troisième fois devant cette assemblée pour présenter les grands axes et l'esprit général d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Celui-ci fixera le cadre de notre action politique en 2020. Je remercie toutes celles et ceux, nombreux sur ces bancs, qui ont participé à sa construction par leurs travaux, qui en ont inspiré certaines mesures et qui n'ont ménagé ni leur temps ni leur énergie.

Le PLFSS est un instrument précieux, qui place la sécurité sociale au coeur du débat démocratique et donc au coeur d'un projet politique, dont elle est indissociable dans notre pays. Il traduit les exigences du monde actuel, des inquiétudes légitimes, des espoirs, mais aussi des choix et des engagements par lesquels ces inquiétudes trouvent des réponses, et ces espoirs des satisfactions.

Nous ne préparons pas l'avenir avec des incantations. Nous le préparons, ici et maintenant, en répondant tout à la fois à des préoccupations très concrètes et à des défis qui se rapprochent et que nous devons regarder en face, sans ciller. Dans ce PLFSS, nous assumons donc de regarder l'avenir, pour assurer un système pérenne, capable de protéger nos enfants aussi bien qu'il nous a protégés, à une époque qui n'est plus la même.

L'avenir ne peut être envisagé sereinement sans un esprit de responsabilité financière. C'est une des vocations du PLFSS que d'assurer cette responsabilité, parce que la maîtrise de nos dépenses publiques est un impératif absolu, à un moment où les instabilités et les incertitudes se multiplient et nous obligent à rester solides sur nos appuis.

Le dire, ça n'est pas réciter le refrain du bon élève – l'on sait que ce refrain n'est jamais le plus entraînant et que le bon élève n'est jamais le plus populaire. Le dire, c'est avoir conscience que, sans cette maîtrise budgétaire, nous hypothéquerions l'avenir de notre protection sociale, ce que nul ne pourrait accepter. Les générations futures auront bien des défis à relever ; la moindre des choses est de leur épargner une dette insoutenable.

Notre devoir, c'est de pérenniser un système universel et public offrant un haut niveau de protection, parce que ce dernier est le résultat de choix historiques. Ces choix se sont d'ailleurs traduits par l'autonomie du budget de la sécurité sociale, qui caractérise le système français et à laquelle nous sommes attachés.

Contrairement à Max Weber, je ne crois pas que l'éthique de responsabilité et l'éthique de conviction soient « deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées ». Faire des économies ne signifie pas entamer les droits des Français. Je le dis et je m'en porte garante : nous ne faisons pas des économies à tout prix, parce que faire des économies n'est pas et ne sera jamais une fin en soi. Il serait même absurde – j'y reviendrai – d'envisager de faire des économies dans des secteurs en souffrance, qui ont été pendant des années un angle mort des politiques publiques et qui, aujourd'hui, nous interpellent et nous alertent.

Mais puisque nous parlons d'avenir, j'aimerais d'abord dire que poser les jalons de la protection sociale de demain, c'est créer de nouveaux droits pour faire face à de nouveaux risques – parce qu'il faut regarder la France telle qu'elle est et la vie des Français telle qu'elle est devenue, pour que la protection sociale s'adapte, se transforme et tienne aujourd'hui et demain la promesse qu'elle tenait hier.

« L'État-providence du XXIe siècle », ce n'est pas un slogan ; c'est une nécessité, parce que de nouvelles situations doivent engendrer de nouvelles protections. C'est là le moyen le plus sûr de redonner du sens et de l'efficacité à la sécurité sociale. La peur du lendemain n'a jamais été aussi forte, et il n'aura échappé à personne que les trajectoires individuelles sont moins linéaires que par le passé.

L'actualité nous rappelle brusquement que des risques nouveaux apparaissent, comme les risques technologiques, industriels ou phytosanitaires. À ce titre, la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de produits phytosanitaires illustre notre volonté de protéger tous ceux qui ont été exposés, dans le cadre de leur travail, à ces substances dangereuses et en ont été affectés.

Il est également impératif de regarder en face les risques liés aux évolutions démographiques. Le PLFSS engage ainsi le premier volet de la réforme de la dépendance, en attendant une loi de grande envergure, fondatrice, qui permettra à la France de relever ce défi immense. La société française de 2050 – dans laquelle près de 5 millions de Français auront plus de 85 ans et où le nombre d'aînés en perte d'autonomie aura presque doublé – se construit aujourd'hui.

Le PLFSS pour 2020 pose donc la première pierre de notre réforme, avec le congé de proche aidant, qui permettra d'indemniser pendant trois mois toutes celles et ceux qui doivent aider un proche en perte d'autonomie.

Au-delà des nouveaux risques, envisager l'avenir de notre protection sociale suppose aussi, je crois, de savoir faire évoluer notre méthode. Il s'agit, d'une part, de passer d'une protection sociale curative à une protection sociale préventive, capable de prévenir l'apparition des risques et, d'autre part de prendre en compte les trajectoires individuelles et les risques de parcours de vie plutôt que de conserver une approche historique fondée sur des statuts. Prévenir, c'est voir venir et intervenir avant que les risques ne se manifestent.

Je pense ici aux familles monoparentales et au scandale des pensions alimentaires non versées : il était temps d'en finir avec un système qui faisait de la négligence des uns la détresse des autres. La vie des parents isolés est suffisamment difficile. Une pension alimentaire non versée, c'est un caddie qu'on ne remplit pas, ce sont des loisirs auxquels on doit renoncer, et c'est toujours un pas de plus vers la pauvreté. C'est cette conviction qui nous a guidés, depuis le premier jour, dans la mise en place d'une garantie de versement des pensions alimentaires, appelée de ses voeux par le Président de la République lors du grand débat national. Avec Christelle Dubos, nous sommes fières d'avoir créé un dispositif qui sécurise efficacement les familles monoparentales.

Prévenir l'apparition des risques sociaux, c'est aussi évidemment démultiplier nos efforts auprès des plus fragiles. Je pense ici aux enfants entrant à l'aide sociale à l'enfance : avec Adrien Taquet, nous allons systématiser un bilan de santé et si besoin l'orientation dans un parcours de soins.

Mais, comme je le disais, notre protection sociale doit aussi s'attacher toujours plus aux individus, aux parcours et aux transitions. L'affirmer, ce n'est pas moderniser un discours, mais moderniser un système dont la complexité ne doit plus être subie par nos concitoyens. Les ruptures de droits sont un fléau, conséquence directe de cette complexité.

Simplifier le système, c'est ce que nous avons voulu faire en procédant au versement en temps réel des crédits d'impôt et des aides sociales dans le cadre de l'emploi à domicile, notamment pour les personnes dépendantes, afin que l'assuré ne paie plus que son reste à charge et n'avance plus de trésorerie.

Autre exemple : nous simplifions les procédures permettant de s'assurer de l'aptitude à la pratique sportive pour les mineurs, sans renoncer d'un pouce aux garanties médicales existantes.

Nous portons aussi nos efforts sur l'articulation entre les aides sociales et sur le passage d'une aide à une autre, pour que notre système s'adapte aux trajectoires, au lieu que ce soient les Français qui doivent s'adapter aux contraintes de gestion du système. C'est, par exemple, l'automatisation de la bascule du RSA et de l'AAH – le revenu de solidarité active et l'allocation aux adultes handicapés – vers les droits à la retraite, ce qui évitera les ruptures de droits.

Nous tenons compte, parce que c'est indispensable, des parcours de soins post-cancer, adaptés à chacun et pris en charge par l'assurance maladie, qu'il s'agisse de diététique, d'aide psychologique ou d'activité physique adaptée.

Nous regardons aussi en face les inégalités territoriales, avec la mise en place d'un nouveau droit pour les femmes enceintes qui habitent loin d'une maternité, incluant le transport et l'hébergement en amont de l'accouchement.

Ces inégalités territoriales, qui ont très largement inspiré la loi sur l'organisation et la transformation du système de santé, nous ne les esquivons pas dans le PLFSS. Notre ambition est d'aller vers les populations fragiles et de ne laisser personne de côté. C'est le sens de la réforme du financement de la psychiatrie, qui vise à mieux répartir les ressources en fonction des besoins évalués au niveau des territoires. C'est aussi le sens de la poursuite des mesures de lutte contre les déserts médicaux, avec les contrats d'installation et les exonérations de cotisations pour les jeunes professionnels qui s'installent. C'est enfin – car je ne peux citer toutes les mesures – le financement et le déploiement des hôpitaux de proximité.

Mais l'avenir, pour moi – c'est là une ambition que je porte depuis mon premier jour au ministère des solidarités et de la santé – , c'est de réussir la transformation de notre système de santé, auquel il est vital, en effet, de redonner sens et confiance. La loi d'organisation et de transformation du système de santé a posé les bases d'un nouveau modèle, adapté aux besoins nouveaux de la population et des territoires. J'ai la conviction que notre système de santé est à un tournant de son histoire et que, là encore, même si nous répondons à une détresse immédiate, l'avenir doit être notre seule boussole.

J'ai bien conscience de la situation de l'hôpital public dans notre pays – j'en ai même une conscience aiguë car, en devenant médecin, je n'ai pas voulu ailleurs travailler, et c'est à l'hôpital public que j'ai passé toute ma carrière avant de devenir ministre.

Oui, l'hôpital public est en grande difficulté. Les causes en sont multiples et anciennes, et les responsabilités partagées, mais la situation que nous connaissons est le résultat d'années de régulation extrêmement violente, qui ont conduit à une crise de l'investissement et, j'ose le dire, à une crise existentielle. Je ne doute pas que nos échanges seront largement marqués par ce sujet, qui préoccupe les personnels soignants et l'ensemble de nos concitoyens, que vous représentez. C'est légitime, parce que l'hôpital public est un trésor national, qui doit avoir la place qu'il mérite devant les représentants de la nation.

Nous avons déjà commencé à agir pour redonner à l'hôpital public des perspectives et des ambitions. Je pense en particulier au dégel de la mise en réserve de 2018 et à la restitution de la sous-exécution de l'ONDAM – l'objectif national de dépenses d'assurance maladie – de 2018. Je pense aussi à la campagne tarifaire de 2019, la plus favorable depuis dix ans, avec un ONDAM rehaussé à 2,5 %. Je pense évidemment au pacte de refondation pour les urgences, annoncé à la suite de la mission confiée à Thomas Mesnier et à Pierre Carli, pour apporter des réponses immédiates et redonner du sens aux urgences. Un amendement porte en particulier sur ce point ; nous en discuterons en fin de semaine.

Le chantier ouvert sur l'attractivité des métiers, du vieillissement et des professions hospitalières devra lui aussi concourir au choc de confiance dont le système sanitaire et médico-social a besoin.

L'ONDAM 2020 s'est construit sous l'hypothèse d'une campagne tarifaire au moins aussi favorable qu'en 2019, et je veillerai très attentivement à ce qu'il le permette, car l'ONDAM, représente, je le rappelle, près de 1,7 milliard d'euros de ressources en plus pour l'hôpital.

Nous nous sommes également engagés à donner aux établissements de santé une vision pluriannuelle, qui était légitimement demandée depuis très longtemps. Leur assurer de la visibilité, c'est éviter les situations critiques en leur donnant les moyens de les anticiper.

J'évoquerai enfin la réforme des modes de financement, qui vise à inciter davantage les acteurs à développer la prévention, à s'assurer d'un standard élevé de qualité, à rechercher une plus grande pertinence des soins et à prendre le temps d'une meilleure coordination entre les professionnels.

Je rencontre quotidiennement, en ce moment même, les acteurs du monde de l'hôpital. J'échange avec eux sur leurs priorités et sur la construction de solutions de long terme, fondées sur des engagements mutuels ambitieux au bénéfice du service public de la santé, en assurant que les moyens débloqués, financiers ou non, soient des outils de transformation réels. Je vais par ailleurs réunir des parlementaires pour préciser et compléter des voies d'interventions possibles, afin de répondre à la demande d'améliorer le fonctionnement des hôpitaux au quotidien.

J'ai déjà formulé des annonces à propos des urgences. Je travaille par ailleurs sur la pluriannualité, sur l'attractivité des carrières, sur la prochaine campagne tarifaire et sur les investissements hospitaliers. Des annonces seront faites sur ces sujets, dans les prochains jours et les prochaines semaines.

Comme vous le voyez, l'hôpital public est au coeur de mes ambitions et personne ne conçoit l'État-providence du XXIe siècle sans un hôpital public solide, moderne et faisant la fierté de tous les Français.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.