Le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous allons étudier ces prochains jours est un texte de transformation, qui s'inscrit dans le contexte d'une refonte de notre système de protection sociale. Il répond aux enjeux contemporains du vieillissement de la population, de l'accès aux soins et de l'équilibre des retraites, et à une demande sociale forte en matière de qualité des soins, de simplification des démarches et de pouvoir d'achat.
Le texte donne corps, entre autres, au volet financier de la transformation du système de santé, avec la réforme de la T2A – la tarification à l'activité – , le financement à la qualité et la création de forfaits pour la psychiatrie et les soins de suite et de réadaptation. S'il ne les résout pas, il aborde de manière pragmatique et volontaire les chantiers majeurs à venir de la dépendance et de la retraite.
À ce propos, je souhaiterais rappeler qu'un budget n'étant qu'un outil au service d'une politique publique, il me semble important de garder collectivement à l'esprit que ces sujets exigent concertation, réflexion et écoute avant d'être traités sous l'angle de leur financement. Notons quand même avec satisfaction qu'à travers l'ONDAM médico-social et la CNSA – la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie – , 500 millions d'euros supplémentaires seront débloqués pour la dépendance en 2020.
Néanmoins, pour se transformer utilement, encore faut-il tenir compte du contexte et des évolutions de la société. Les relations financières entre l'État et la sécurité sociale ne font pas exception à cette règle. Elles ne peuvent ni ne doivent être considérées comme un objet absolu, mais bien comme un moyen : celui de garantir le financement durable de notre système de protection sociale et d'en assurer la soutenabilité pour les finances de l'État. Le principe de la compensation financière, qui est en débat, doit s'inscrire dans ce contexte et dans cette perspective. En tant que rapporteure pour avis de la commission des finances, je souhaiterais m'arrêter sur ce point.
Instauré en 1994 par la loi Veil, le principe de compensation intégrale concerne majoritairement les réductions et exonérations générales de cotisations. Il établit une compensation à l'euro, au nom de laquelle les exonérations ont été compensées par des dotations budgétaires de 1994 à 2006. En 2005, la loi organique pérennise ce principe et introduit la possibilité d'une non-compensation, qui amène toutes les lois de financement de la sécurité sociale, à partir de cette année, à entériner des mesures non compensées. Parallèlement, la compensation se fait de plus en plus par l'utilisation de recettes affectées, principalement des fractions de TVA. Le principe de compensation pour solde de tout compte s'impose en LFSS pour 2011 et conduit à un traitement différencié selon le caractère ciblé ou général de l'exonération. Seules les exonérations ciblées restent sujettes au principe de compensation tel que pensé en 1994 et, même parmi ces exonérations, un volume notable est toujours resté non compensé : de l'ordre de 2 milliards à 4 milliards par an de 2004 à 2017.
En 2019, l'État aura mobilisé 14 milliards d'euros en faveur du pouvoir d'achat, la sécurité sociale, 3 milliards. C'est un effort, oui, mais un effort cohérent au vu de celui réalisé par l'ensemble des pouvoirs publics, des besoins exprimés par les Français et des perspectives financières de la sécurité sociale, dont le retour à l'équilibre est maintenu pour 2023.
En parallèle, la sécurité sociale a bénéficié de 26 points de TVA affectée en 2019, une part en forte croissance qui augmentera de près de 2 points en 2020 pour représenter 12,3 % de ses recettes ; c'est donc une recette dynamique contribuant à son financement sur le long terme.
Ces éléments montrent bien la difficulté de séparer hermétiquement les finances de l'État et le financement de la sécurité sociale. D'ailleurs, de nombreuses mesures conjuguent des effets des prélèvements fiscaux et sociaux : la prime d'activité, l'exonération des heures supplémentaires ou encore la prime exceptionnelle.
Afin de renforcer le consentement à l'impôt, d'améliorer l'efficience globale de l'action publique mais surtout de pérenniser le système de protection sociale, il est essentiel de simplifier les flux financiers entre l'État et les administrations de sécurité sociale. Mettons-nous au diapason des Français, qui pensent sincèrement que leurs impôts financent l'hôpital au même titre que l'éducation nationale et la police, parce que, pour eux, les services publics sont un tout. L'institution d'une solidarité entre État et sécurité sociale dans la compensation des allégements doit être accompagnée de la redéfinition claire et concertée des ressources propres de la sécurité sociale, dont les cotisations ne représentent plus que 60 % de celles-ci.
L'article 3 du PLFSS répond à un contexte particulier en même temps qu'il s'intègre dans une évolution de long terme. Il constitue une étape. La transformation qu'il enclenche doit donner lieu à un débat et à la redéfinition d'une doctrine mise à mal par trente années de pratiques émaillées de crises et d'alternances. Les réformes de la dépendance et de la retraite nous en donneront l'occasion. Je suis convaincue que nous pourrons alors lever les doutes de ceux qui voient là une attaque contre les valeurs de notre système de protection sociale, que nous cherchons avant tout à préserver.