L'année dernière, à la même heure, nous saluions en fanfare le comblement du trou de la sécurité sociale après dix-sept ans de déficit – une vraie joie collective. Et puis patatras : à l'automne le retour à la réalité a été brutal ; en effet, plus de 5 milliards d'euros de déficit sont prévus pour 2019 et plus de 5 milliards encore pour 2020 – seules les branches famille et accidents du travail demeureraient excédentaires. Le retour à l'équilibre des comptes sociaux, comme d'habitude, est repoussé, cette fois-ci à 2023.
C'est une rupture de trajectoire très violente. Que s'est-il donc passé ? Deux facteurs sont en cause : le ralentissement de l'activité économique et donc une moindre progression de la masse salariale ; l'absence de la compensation de l'État à la sécurité sociale évoquée par les orateurs précédents.
Ainsi, cette année, la dette sociale atteint 96 milliards d'euros au total. Contrairement à l'État, dont la dette résulte simplement de l'accumulation des déficits, la dette sociale, elle, se décompose en deux parties : d'un côté, les déficits accumulés par l'ACOSS – l'agence centrale des organismes de sécurité sociale – et, de l'autre, ceux transférés à la CADES, qui restent à amortir. Or la dette sociale s'aggrave sur ces deux tableaux.
D'abord, la trésorerie de l'ACOSS se dégrade d'année en année, avec un déficit cumulé d'environ 23 milliards d'euros et qui devrait atteindre, selon les prévisions, plus de 30 milliards d'euros à la fin du quinquennat, avant transfert à la CADES. Ensuite, la CADES doit encore amortir 72,5 milliards d'euros ; or ce remboursement a besoin d'être financé. Pour cela, la LFSS pour 2019 prévoyait un transfert de recettes qui n'aura pas lieu puisque celles-ci se révèlent insuffisantes. Dans ces conditions, si la trajectoire des recettes ne s'améliore pas, je me demande comment l'objectif affiché d'amortissement de l'ensemble de la dette sociale en 2024, donc de l'extinction de la CADES en 2025, reste crédible. Votre schéma mène à une impasse, et vous continuez à mener une politique de l'autruche.
Vous avez décidé que 3,5 milliards d'euros de mesures d'allégement de prélèvements sociaux ne feraient pas l'objet d'une compensation à la sécurité sociale de la part de l'État l'année prochaine. C'est une erreur fondamentale. Se pose ici, une fois encore, la question des relations entre l'État et la sécurité sociale. Vous n'aviez pas jugé utile, l'année dernière, de procéder à cette compensation, forts des excédents que vous aviez prévus pour la sécurité sociale et compte tenu des déficits d'un État qu'il aurait donc été inutile de plomber.
Ce raisonnement assez simple ne tient plus puisque la sécurité sociale et l'État sont en déficit. Celui qui décide doit payer, je crois. C'est une règle fixée en 1994, au moment de l'examen du projet de loi Veil. Aussi votre présentation du déficit budgétaire s'en trouve-t-elle faussée puisqu'il passerait de 93,1 milliards à 96,6 milliards d'euros si l'État avait décidé d'intégrer les 3,5 milliards d'euros en question à son propre déficit.
Certes vous n'êtes pas le premier gouvernement à procéder de la sorte. Reste que les circonstances étaient souvent très différentes. Je me souviens ainsi qu'en 2009, les recettes fiscales nettes se sont effondrées de 265 milliards à 212 milliards d'euros, soit une chute de 53 milliards d'euros. Il y avait le feu partout alors que ce n'est pas le cas aujourd'hui ; la situation économique, même si les nuages sont lourds, est encore relativement paisible puisqu'un petit vent de croissance souffle, ce qui devrait vous conduire à répartir correctement les responsabilités. Vous devez donc compenser à la sécurité sociale les conséquences financières de vos décisions.