Madame Trisse, la cybersécurité connaît une montée en puissance dans les armées depuis maintenant plusieurs années. Le commandement de la cyberdéfense, placé sous l'autorité du chef d'état-major des armées, est en charge de la montée en puissance de ce secteur ainsi que de la mise en cohérence des efforts fournis par les différentes armées.
Je ne considère pas qu'il faille aujourd'hui créer ex nihilo une quatrième armée spécifiquement dédiée à la cyberdéfense. Chaque armée a développé dans son champ propre un certain nombre de compétences, assises sur nos savoir-faire militaires en matière de guerre électronique. Aujourd'hui, la numérisation croissante de l'ensemble des échanges nous conduit à devoir convertir une partie de ces compétences en compétences cyber au sens large.
L'officier général cyber-défense doit, dans les jours qui viennent, me présenter sa feuille de route concernant la mise sur pied des capacités cyber dans les trois armées, terre, air et mer. Un certain nombre d'outils seront mutualisés, tout comme la préparation opérationnelle et l'entraînement.
C'est donc un domaine qui retient toute notre attention. Nous devons en effet impérativement développer nos capacités cyber, y compris en matière de lutte informatique active. Une revue stratégique cyber pilotée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale est en cours. Ses conclusions devraient être rendues dans les jours qui viennent.
Monsieur Favennec Becot, votre question sur l'engagement des armées dans le contre-terrorisme à l'intérieur et à l'extérieur va me permettre d'évoquer les évolutions de l'opération Sentinelle.
Je vous ai expliqué dans mon discours liminaire que le terrorisme recouvrait des réalités très différentes. La lutte contre le terrorisme quant à elle renvoie très largement à des actions classiques de combat.
Il faut bien comprendre que la lutte contre le terrorisme, pour les armées, passe par la mise en oeuvre d'un savoir-faire militaire contre des objectifs militaires.
L'engagement des armées sur le territoire national semble aujourd'hui acquis, comme une évidence, et plus personne ne s'interroge sur la pertinence de la présence de soldats français dans nos gares. Or, il pose des questions spécifiques.
Je veux insister sur la capacité remarquable qu'ont eue nos armées à s'adapter exactement à ce qui était attendu d'elles dans leur engagement sur le territoire national. L'une des principales vertus d'un soldat, c'est sa capacité à maîtriser sa force ; et si nos armées peuvent intervenir comme elles le font sur le territoire national, avec des armes de guerre, c'est grâce à leur très grand professionnalisme.
Je remarque que, sur le territoire national, nous appliquons les principes de la guerre. Je les rappelle pour ceux qui ne seraient pas familiers du maréchal Foch : d'abord la concentration des efforts, laquelle est permise par les autres principes que sont la liberté d'action et l'économie des moyens. Je ne peux concentrer mes efforts que si j'ai économisé mes moyens et si j'ai la liberté de les engager à l'endroit précis et au moment précis où je considère que l'effort doit être porté.
C'est bien le sens de l'évolution du dispositif Sentinelle que nous mettons en oeuvre. Nous souhaitons pouvoir concentrer les efforts à un moment donné et sur un lieu donné, selon des modes opératoires spécifiques aux armées, qui font le surcroît d'efficience de notre engagement. Pour cela, il faut que nous parvenions à planifier l'engagement des moyens de Sentinelle avec le ministère de l'Intérieur et les autorités préfectorales. Cela implique en premier lieu de distinguer les missions pérennes – engagement dans les lieux à très forte fréquentation, comme les gares ou les aérogares – des missions liées à un événement particulier, missions pour lesquelles notre apport ne doit pas se limiter à un concours d'effectifs mais constituer une plus-value qualitative en termes de moyens engagés – je parle ici, par exemple, de détection des risques nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques (NRBC), que seules les armées sont capables de mettre en oeuvre, ou encore de surveillance par drones.
Un effort de planification, conjoint entre le ministère de l'intérieur et le ministère des Armées, me semble nécessaire. Il importe que les pouvoirs publics comprennent qu'on ne tirera pas tout le bénéfice possible de l'engagement de nos armées en utilisant les soldats en dehors de leur champ de compétences. C'est à leur métier et aux compétences spécifiques qu'ils ont développées pour faire la guerre qu'il faut avoir recours, qu'il s'agisse de compétences techniques, de renseignement ou de planification.
Pour le reste, oui, nous avons les moyens de faire face, et nous en faisons la preuve quotidiennement. Il faut néanmoins bien mesurer que cela consomme une part importante de nos moyens et de nos ressources humaines. Sentinelle mobilise 7 000 hommes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, effectifs qu'il faut mettre en regard des 11 000 recrutements récents dans l'armée de terre. Tout le monde semble trouver naturel ce ratio, qui ne laisse pas de m'étonner : dans quelle autre administration en effet serait-il envisageable ?
Nos armées sont donc clairement sous tension, ce qui a nécessité des adaptations dans la préparation opérationnelle, adaptations particulièrement importantes dans les premiers temps pour réaliser cette montée en puissance et faire face à la nouvelle charge sans baisser le niveau de professionnalisme de nos soldats.
Madame Khedher, je ne dispose malheureusement pas ici de la totalité des chiffres concernant la réforme du service de santé des armées.
Ce service est aujourd'hui engagé dans une réforme extrêmement ambitieuse, conduite selon cinq axes : la mise en place d'un nouveau modèle hospitalier militaire et la transformation des composantes formation, recherche et ravitaillement sanitaire, à laquelle s'ajoute une réforme de la médecine des forces, laquelle assume la première responsabilité du SSA qui est d'être au plus près des soldats et des régiments, ce qui inclut l'accompagnement des troupes en opérations. Cette mission mobilise une part importante des forces vives du SSA. Cette transformation de la médecine des forces, qui vise à rapprocher les médecins des formations soutenues, nous a conduits à décider la création, en 2018, de six centres médicaux des armées (CMA) nouvelle génération.
Si cette réforme en profondeur du SSA était indispensable, c'est que ce dernier avait été conçu à l'époque de la guerre froide, voire antérieurement, pour offrir une capacité d'accueil et de soins aux dizaines de milliers de blessés en provenance du front. Nous avons ainsi développé en France une capacité hospitalière – capacité de réserve, en quelque sorte –importante, au point que les hôpitaux militaires étaient devenus plus importants que les structures de soutien des forces au contact.
Avec le développement des opérations extérieures, il fallait trouver un nouvel équilibre en se rapprochant du secteur hospitalier civil pour conserver les compétences rares dont nous avons besoin sur le terrain, puis en se rapprochant ensuite de nos forces, dans le cadre permis par les réductions d'effectifs exigées des armées par les dernières lois de programmation.
Aujourd'hui, nous estimons cette réduction d'effectifs trop rapide, et nous avons choisi de la décaler dans le temps pour laisser toute latitude au SSA d'effectuer sa transformation. Alors qu'il était prévu de supprimer sur la période 2014-2019 1 608 équivalents temps plein – dont 150 en 2018, et 332 en 2019 –, nous reportons ces suppressions d'effectifs sur les années 2020 et 2021.
Cette réduction d'effectifs est néanmoins indispensable, notamment car elle permet de compenser d'autres besoins ailleurs. La montée en puissance des armées dans le domaine de la cyberdéfense comme dans le domaine du renseignement nécessite des effectifs. Or aujourd'hui les 1 500 postes prévus par le projet de loi de programmation des finances publiques sont bien loin de nos ambitions en la matière. D'où l'importance d'être attentifs à un abondement en effectifs des armées en effectifs sur la fin de la programmation (2023-2025).
Madame Dubois, en ce qui concerne les réservistes, les armées ont fait ce qu'elles pouvaient faire. On observe une montée en puissance importante des réserves, dans le cadre du projet de Garde nationale lancé il y a un peu plus d'un an. La réserve des armées est ainsi forte de 35 000 réservistes, ce qui est proche de nos objectifs, puisque sur la cible de 85 000 hommes prévus pour la Garde nationale, 40 000 concernent les armées. Nous allons donc atteindre nos objectifs, avec un taux d'emploi sur le territoire national qui devrait atteindre, pour l'année en cours, mille réservistes par jour. Cette augmentation du taux d'emploi des réservistes est indispensable si nous voulons rentabiliser la formation, qui prend du temps et de l'énergie.
J'ai une grande confiance dans cette « professionnalisation » de la réserve, et je suis surpris que vous me disiez que les réservistes sont mal formés et mal équipés. Les réservistes ont en effet le même niveau d'équipement que les forces d'active, grâce notamment aux efforts budgétaires qui ont été consentis et qui se traduisent dans le PLF pour 2018 par des crédits permettant de couvrir les besoins exprimés lors de la création de la Garde nationale.
Il ne vous aura pas échappé par ailleurs que le caporal qui est intervenu à la gare Saint-Charles il y a quelques jours est un caporal de réserve, qui avait exactement le même équipement que ses camarades d'active.
Un des moyens de débloquer l'emploi de la réserve a en effet été de renoncer à constituer systématiquement des unités uniquement composées de réservistes mais à insérer ces derniers dans des unités constituées. Cette évolution de la doctrine selon laquelle on ne devait engager que des sections constituées sans intégrer dans ces groupes de combat des personnels de statut différent a permis d'augmenter l'employabilité des réservistes mais également leurs performances. Aujourd'hui, il est très difficile de faire la différence entre un réserviste et un soldat d'active employés sur la mission Sentinelle. C'est certes moins vrai pour d'autres missions, qui requièrent un niveau de technicité plus élevée dont le coût en termes de formation des réservistes serait trop élevé.
J'insiste sur la formation des réservistes. Elle n'a plus rien à voir avec la formation d'antan, qui consistait, par exemple pour le tir de combat, à aligner une trentaine de soldats sur le pas de tir en leur demandant de tirer trois cartouches sur une cible située à cent mètres. Aujourd'hui, le soldat que l'on va engager dans l'opération Sentinelle suit, comme ses camarades d'active, des parcours de tir réalistes lui permettant d'apprendre à se déplacer avec son arme chargée et armée, à distinguer les différents types de cible, celles qu'il faut abattre et celles qu'il ne faut pas toucher.
Quant à la « clandestinité » des réservistes, c'est-à-dire le fait que certains n'osent pas déclarer leur statut à leur employeur, c'est un problème qui dépasse la compétence des armées. À l'époque où j'étais au cabinet du Premier ministre, un rapport sénatorial avait été produit sur la question. C'est en effet aux parlementaires et non au chef d'état-major des armées de trouver les moyens de valoriser l'emploi des réservistes dans les entreprises.
Je terminerai en soulignant que, conformément à nos ambitions, les réservistes qui ne sont pas d'anciens militaires d'active sont en train de devenir majoritaires dans la réserve. Cet objectif que nous nous fixions afin de renforcer le lien armée-Nation est donc en passe d'être atteint, mais cela nécessite, là encore, un effort de formation accru.