Intervention de Florence Parly

Réunion du mardi 1er octobre 2019 à 21h05
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre des Armées :

Je commencerai par répondre à M. Marilossian et à M. de Ganay sur le Fonds européen de la défense. Comme vous l'avez tous deux souligné, ce fonds est l'une des grandes innovations des trois dernières années, et c'est ce qui va permettre la coopération entre les États membres dans le domaine de la recherche et technologie (R&T) de défense et le développement capacitaire. C'est donc probablement l'un des outils contribuant à l'approfondissement ou à la construction d'une autonomie stratégique européenne.

La Commission sortante, qui n'est pas chargée de faire adopter le cadre financier pluriannuel, avait néanmoins fait une proposition visant à doter ce fonds en régime de croisière, c'est-à-dire à partir de 2021, à hauteur de 13 milliards d'euros sur la période 2021-2027. Il appartiendra aux équipes de la nouvelle Commission européenne et du Parlement européen de confirmer cette orientation, ce qu'elles feront, je l'espère. J'ai d'ores et déjà eu l'occasion d'échanger avec la nouvelle présidente de la Commission, Mme von der Leyen, sur le fait que nous avions de fortes attentes et que nous ne pouvions pas imaginer que le montant que je viens d'évoquer ne serait pas confirmé.

Avant cela, nous pouvons compter sur de premiers financements puisque, dans le domaine de la recherche, des moyens ont été mobilisés pour la période 2017-2019 à hauteur de 90 millions d'euros, ce qui doit permettre de financer, entre autres, un projet de démonstrateur de drone maritime, tandis que, pour la période 2019-2020, un programme européen de développement industriel de défense (PEDID) doté de 500 millions d'euros a vocation à financer notamment des projets tels que l'Eurodrone, auquel la France est partie prenante, ou le projet de radio logicielle ESSOR.

Pour en revenir aux 13 milliards d'euros dotant le Fonds européen de la défense, nous avons un accord partiel du Conseil sur le règlement d'utilisation de ces crédits, ainsi qu'un accord partiel du Parlement européen. Ce qui manque, en réalité, c'est la manière dont des pays tiers pourraient être associés à ce fonds, et donc bénéficier de ses financements : les règles déterminant les modalités d'un éventuel accès de pays tiers à ce dispositif n'ont pas encore été fixées.

Vous m'avez demandé comment, en tant que parlementaires, vous pouviez aider et soutenir ces différentes initiatives. Toutes les initiatives que vous, parlementaires français, pourriez prendre vis-à-vis de vos nouveaux collègues parlementaires européens pour assurer le bon aboutissement à la fois de l'élément manquant du règlement d'utilisation du Fonds européen de la défense et du bon aboutissement du calibrage financier de ce fonds seraient évidemment tout à fait bienvenues.

M. de Ganay m'a posé une question très précise sur les modalités du contrôle auquel devrait être soumis le Fonds européen de la défense. Au niveau du Parlement européen, il y a déjà un premier niveau de contrôle, constitué par le vote initial pour doter ce Fonds. Ensuite, je pense que le Fonds fera l'objet d'un suivi approfondi – je ne sais pas selon quelles modalités précises, celles-ci ayant vocation à être déterminées ultérieurement, mais je ne peux imaginer que, sur une politique aussi nouvelle et aussi fondamentale pour l'Union européenne, le Parlement européen se désintéresse du suivi et de la mise en oeuvre des financements qui auront été alloués.

Pour ce qui est du protocole passé entre la gendarmerie et le ministère des armées au moment de leur séparation fonctionnelle, il n'est évidemment pas question de remettre en cause des protocoles de soutien profitant aux armées comme à la gendarmerie en matière de santé ou d'action sociale : c'est, au fond, le trait d'union qui permet d'illustrer l'unicité du statut militaire. Mais ce protocole est vivant et nous en revisitons le contenu très régulièrement, ce que nous continuerons à faire.

En ce qui concerne les hélicoptères utilisés au profit de la gendarmerie, le règlement de certaines sommes dues par le ministère de l'intérieur est attendu, et nous sommes en discussion avec la place Beauvau sur ce point. Je n'ai pas encore d'éléments très précis à vous livrer mais une chose est certaine, c'est que lorsqu'il y a des dettes, celles-ci doivent être apurées, comme le veut l'adage selon lequel les bons comptes font les bons amis – or les gendarmes sont nos amis…

M. Ferrara m'a interrogée sur la manière d'atteindre l'objectif de 2 % du PIB. Nous avons déjà eu une discussion sur ce point, et ce que nous pouvons constater ensemble, Monsieur Ferrara, c'est que jusqu'à présent, les engagements sont tenus – il est d'ailleurs indispensable qu'ils le soient pour permettre d'atteindre la cible de 2 %. Avec les moyens que j'ai décrits tout à l'heure concernant le projet de budget pour 2020, nous allons porter l'effort de défense à 1,86 % de la richesse nationale, alors qu'au début de la législature, en 2017, nous en étions à 1,78 %. Nous progressons pas à pas, nous sommes sur la bonne trajectoire et nous la tenons, mais nous savons aussi, les uns et les autres, qu'il y a devant nous un certain nombre de marches d'escalier régulières lorsqu'on raisonne en pourcentage, et un peu moins régulières lorsqu'on raisonne en valeur absolue. En ce qui me concerne, je suis confiante quant à notre capacité de maintenir notre progression. En tout état de cause, tout continuera à se faire sous votre contrôle, puisque nous avons une clause de rendez-vous en 2021, qui devra permettre d'inscrire – dans le dur, je l'espère – les engagements qui ont été pris pour les années 2024 et 2025.

En dépit de la confiance que l'on peut avoir dans l'avenir, je suis tout à fait déterminée, car je pense qu'attendre avec confiance que les choses se fassent toutes seules, de façon mécanique, n'est pas une attitude responsable. Vous pouvez donc compter sur le fait que, dès le début de l'année 2020, tous les services du ministère des armées seront mobilisés pour préparer cette clause de rendez-vous de 2021 – autant dire demain. Rendre tangibles et concrets, comme le permet le budget 2020 et comme le permettaient les budgets précédents, les engagements qui ont été pris, ne peut que nous aider à obtenir confirmation des engagements budgétaires pour la dernière partie de la loi de programmation militaire.

Vous vous êtes également inquiété, Monsieur Ferrara, de ce que nous pourrions faire pour répondre aux besoins de nos armées si le PIB devait voir sa croissance ralentie pour des raisons tenant au contexte macroéconomique et stratégique mondial. À cette question, je n'ai pas de réponse toute faite. Je crois qu'il faut tout faire pour continuer d'avoir une croissance économique dynamique, sachant que tout ne dépend pas de nous et que l'on ne peut pas complètement écarter l'hypothèse d'une croissance inférieure aux prévisions. Cela nous obligerait à nous adapter, mais c'est aussi à cela que doit servir la clause de revoyure. Nous avions d'ailleurs bien noté qu'il était plutôt périlleux, au début de l'année 2018, de tracer avec certitude une perspective en fonction de prévisions d'évolution du PIB à l'horizon 2025. La clause de revoyure doit donc aussi nous permettre de tenter de réconcilier, si je puis dire, d'un côté, les prévisions plus assurées que l'on pourra faire en matière de PIB, de l'autre, l'expression des besoins de nos armées.

Pour ce qui est du planning de livraison des Griffon, j'ai eu déjà l'occasion de dire que nous étions très attentifs à ce que les premières livraisons – outre les trois premiers exemplaires livrés durant l'été – arrivent à bonne date, c'est-à-dire d'ici à la fin de l'année 2019. Si nous sommes vigilants, c'est parce que les industriels ont rencontré plusieurs difficultés à la fin de l'année 2018, et qu'il a fallu mettre en place des plans d'action de fiabilisation. Ces plans d'action, placés sous l'étroite surveillance de la direction générale de l'armement (DGA), ont permis me semble-t-il de résoudre une très grande partie des problèmes, et je suis donc actuellement tout à la fois vigilante et confiante sur la capacité des industriels à livrer ces équipements.

En tout cas, je peux vous confirmer que les représentants de la DGA sont en contact extrêmement régulier avec les industriels, y compris sur les chaînes de montage, afin de s'assurer que les cadences de production et la qualité de production sont au rendez-vous. Nous aurons évidemment l'occasion d'en reparler puisque nous sommes amenés à nous revoir au cours des prochaines semaines mais, jusqu'à présent – je reste prudente –, il n'y a pas de raison particulière de douter de la capacité à obtenir les livraisons requises. Quant à savoir ce qui se passerait si ce n'était pas le cas, je n'ai pas le détail du contrat, mais celui-ci prévoit certainement un système de pénalités, comme il est d'usage dans les contrats que nous passons avec les industriels.

L'hébergement, vous avez raison, est un critère qui peut faire obstacle à la fidélisation des personnels. Nous devons donc, comme je l'ai dit, proposer à nos militaires des conditions d'hébergement dignes du XXIe siècle. J'ai cité tout à l'heure un montant de 120 millions d'euros mais, si l'on considère les travaux de construction et de réhabilitation, nous disposerons, en termes de commandes, de 177 millions d'euros d'autorisations d'engagement en 2020. C'est un effort très significatif puisque, en 2018 et en 2019, ce sont 100 millions d'euros en termes d'engagement que nous y avons consacrés. Cela doit nous permettre d'améliorer la qualité de notre parc, ce qui est nécessaire, car 20 % des hébergements présentent des dégradations nombreuses ou généralisées, et les deux tiers ont dépassé leur mi-vie. Nous voulons aussi augmenter quantitativement l'offre d'hébergement, en particulier dans les zones tendues – notamment en Île-de-France – et au profit de l'armée de terre, qui a vu ses effectifs croître de façon massive au cours des quatre dernières années.

Pour réaliser mieux et plus vite ces hébergements, nous emploierons effectivement de nouvelles méthodes. En premier lieu, il s'agira de standardiser un peu les besoins, afin que la production des hébergements de casernement puisse être, en quelque sorte, « industrialisée ». La deuxième façon d'améliorer les choses consiste à recourir à la maîtrise d'ouvrage déléguée. Sur ce point, nous sommes en train de travailler à un accord-cadre national qui permettra ensuite à chaque établissement, au niveau des régions, de se concentrer sur la commande et le suivi de la réalisation des travaux. Enfin, nous aurons recours de façon accrue à des programmistes, et nous augmenterons le nombre d'ingénieurs d'infrastructures.

Autrement dit, le service d'infrastructure de la défense (SID) va passer, pour les opérations qui ne sont pas spécifiquement militaires – c'est notamment le cas de l'hébergement –, de la culture du « faire » à la culture du « faire faire ».

Pour ce qui est des conséquences du Brexit, je crois que l'enjeu, quels que soient les conditions et le calendrier de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, c'est d'abord d'ancrer le Royaume-Uni dans une coopération bilatérale riche et structurante pour notre défense, et dans tous les domaines. Comme vous le savez, le Royaume-Uni est un pays européen avec lequel nous partageons beaucoup de choses en termes d'ambitions, de capacité de projection, de dissuasion nucléaire, mais aussi de capacité de mener des opérations de haute intensité, comme cela a encore été démontré en avril 2018 dans le cadre de l'opération Hamilton. Nous allons poursuivre cette coopération en 2019. Sur le plan politique, nous allons tenir prochainement notre troisième conseil ministériel de défense franco-britannique. Sur le terrain, comme vous l'avez sans doute lu récemment, nous poursuivons nos déploiements conjoints et nous les prolongeons, puisque les hélicoptères Chinook britanniques qui soutiennent aujourd'hui l'opération Barkhane le feront de façon renouvelée jusqu'en août 2020. Je n'irai pas jusqu'à dire que ce principe a été acquis sans difficulté, mais du moins l'est-il désormais : des décisions ont été prises, dans un contexte national que l'on sait pourtant terriblement difficile. Par ailleurs, nous allons développer le CJEF (Combined Joint Expeditionary Force), qui atteindra sa pleine capacité opérationnelle en 2020.

En ce qui concerne les programmes capacitaires, nous avons un projet de futur missile antinavire futur missile de croisière (FMANFMC), nous ambitionnons de développer deux systèmes de drones pour la guerre des mines, et nous avons reçu il y a quelques jours des assurances du Royaume-Uni sur leur poursuite du programme de guerre des mines – un élément positif dans un contexte qui n'est pas simple sur le plan national. Nous poursuivons, par ailleurs, le développement de briques capacitaires du futur système de combat aérien.

Bien sûr, le Brexit est une source d'incertitude, notamment au niveau bilatéral, même si je dois dire que mon nouvel homologue britannique m'a fait part de sa détermination, sur le plan politique, non seulement de poursuivre, mais d'amplifier cette relation bilatérale. Sur le plan européen également, il faudra, le moment venu, définir des modalités d'association du Royaume-Uni à l'Union européenne.

Tout cela soulève des questions sur les plans fiscal et douanier. Il est trop tôt aujourd'hui pour dire quelles pourraient être les conséquences du Brexit tant que nous en sommes réduits aux supputations sur le point de savoir s'il y aura ou non un accord – et, le cas échéant, en quoi il consistera. Une chose est sûre, c'est que ni les uns ni les autres de part et d'autre de la Manche ne veulent rater le dixième anniversaire des accords de Lancaster House. C'est pourquoi, avec mon homologue, nous avons décidé de mettre en place des groupes de travail pour réussir ce rendez-vous.

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