Je suis très heureux d'être présent et de pouvoir répondre aux questions de cette commission d'enquête, qui est très importante. En effet, tout le monde sait combien le chlordécone a eu des conséquences chez vous ; ainsi, en ma qualité de ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, j'ai l'intention de répondre très tranquillement mais très franchement, en toute transparence, à l'ensemble de vos questions.
« La pollution au chlordécone est un scandale environnemental. L'État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et doit avancer dans le chemin de la réparation et des projets. » Ainsi parlait Emmanuel Macron, Président de la République. Pour la première fois, un chef de l'État a reconnu clairement une responsabilité de l'utilisation du chlordécone. Le Président de la République a par ailleurs, par ces mots en septembre 2018, fixé les grandes lignes d'une politique ambitieuse pour faire face à la pollution environnementale par le chlordécone.
Dans ce contexte, je tiens à réaffirmer et à saluer les travaux de votre commission d'enquête, qui doit permettre de mieux comprendre comment ce produit a pu être autorisé pendant des années aux Antilles alors même que sa toxicité et son pouvoir persistant dans l'environnement étaient connus.
Vous le savez, ces autorisations, autorisations provisoires de vente ou homologations ont été délivrées entre 1972 et 1993 par le ministère chargé de l'Agriculture pour lutter contre le charançon du bananier.
À ce titre, je vous assure, Monsieur le Président et Madame la rapporteure, de mon plein engagement et du plein engagement du ministère dont j'ai la responsabilité pour apporter toute la transparence possible sur le sujet.
Un travail important de recherche a ainsi été engagé cet été par la Direction générale de l'alimentation, par notre service juridique, pour retrouver l'ensemble des pièces disponibles sur la période de 1972 à 1989 et intervenant dans le processus de délivrance des autorisations relatives au chlordécone. La majorité de ces documents, dont la disparition avait déjà été soulignée par la commission parlementaire en 2005, a pu être retrouvée et a été transmise dès que possible à votre commission les 23 août et 7 octobre 2019. J'y ai veillé personnellement. Le fait que ces archives n'étaient pas disponibles pour diverses raisons était absolument inacceptable. J'ai demandé au directeur de recruter des personnels contractuels pour effectuer ce travail, qui a été fait et bien fait.
Par ailleurs, force est de constater que les procédures de délivrance des autorisations provisoires de vente et des homologations étaient bien moins encadrées à l'époque qu'actuellement. Notamment, le principe de précaution des cultures guidait bien plus les décisions que celui de protection de la santé publique et de l'environnement. Les choses ont bougé aujourd'hui. Les paramètres prioritaires étaient l'efficacité du produit et éventuellement la phytotoxicité, c'est-à-dire l'effet toxique sur la plante traitée. Les effets chroniques sur les populations étaient encore bien moins pris en compte.
Deuxièmement, les fabricants de produits phytosanitaires ont siégé dans la commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole jusqu'en 2001.
Enfin, un produit pour lequel le dossier de demande d'homologation était jugé insuffisant pouvait faire l'objet d'autorisations provisoires, et ce pendant plusieurs années. Les temps ont changé.
Depuis, et fort heureusement, la réglementation a fortement évolué, avec un cadre réglementaire européen, une stricte séparation entre évaluation et autorisation des produits phytosanitaires, une approche scientifique et rigoureuse conduite au niveau national par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Désormais, face à cette pollution environnementale, le Gouvernement se doit d'assurer une protection maximale des Guadeloupéens et des Martiniquais.
Pour le ministère de l'Agriculture, cela passe par un plan ambitieux visant le zéro chlordécone dans l'alimentation aux Antilles. Il s'agit de l'un des objectifs prioritaires de la feuille de route interministérielle sur le chlordécone 2019-2020, présentée fin août dernier aux parlementaires ultramarins et aux exécutifs locaux et traduisant les engagements du Président de la République.
Cet objectif complète les deux autres enjeux prioritaires de cette feuille de route portés en lien avec les trois autres ministres concernés : Annick Girardin aux Outre-mer, Agnès Buzyn à la Santé et Frédérique Vidal à l'Enseignement supérieur et la Recherche. Ils sont de deux ordres :
– les enjeux environnementaux, avec une meilleure compréhension de la contamination des sols et de l'eau ;
– l'accompagnement des populations, avec des actions de prévention adaptées et renforcées ainsi que la poursuite des études sur les effets sanitaires du chlordécone.
Viser le zéro chlordécone dans l'alimentation passe par la prévention de tout risque de contamination des productions agricoles ; l'établissement d'une cartographie des sols est à ce titre indispensable. Il est également question de renforcer la réglementation et les contrôles sur les denrées alimentaires mises sur le marché.
Le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation est ainsi le premier contributeur de l'enveloppe budgétaire gérée par la préfecture de Martinique et dédiée au plan d'action contre la pollution par le chlordécone. L'ambition du Président de la République est de porter cette enveloppe globale à hauteur de 3 millions d'euros pour le prochain plan chlordécone, qui verra ainsi son ambition renforcée.
En outre, le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation a mis en place des financements complémentaires et spécifiques pour accompagner les agriculteurs dans le renouvellement de leurs pratiques culturales ou encore les pêcheurs à travers des mesures d'aide sociale.
Au-delà du chlordécone, le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation se mobilise pleinement pour une alimentation saine, sûre, durable, tracée et équitable au service de l'autonomie alimentaire des départements d'Outre-mer. Je le répète : les solutions peuvent venir de Paris mais sont également et surtout sur les territoires. Le ministère accompagne ainsi plus globalement la montée en gamme des produits de l'agriculture ultramarine, l'élaboration des projets alimentaires territoriaux, le développement de la pêche par le renouvellement de la flotte et la formation pour transformer les filières. Voilà ce que je voulais vous dire en introduction. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions, Mesdames et Messieurs les députés.