Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du mardi 22 octobre 2019 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Pour la troisième année consécutive, le budget du ministère de la Justice est en forte augmentation. Avec près de 7,6 milliards d'euros, il progresse de 4 % en 2020, après avoir augmenté de 4,5 % en 2019 et de 3,9 % en 2018. Ce sont près de 300 millions d'euros de plus qu'en 2019, en tenant compte de l'inscription sur le budget de la justice de l'intégralité du financement de l'aide juridictionnelle, dans une logique de plus grande transparence. L'année prochaine, 1 520 emplois seront créés, portant à 3 920 le nombre d'emplois créés depuis 2018.

Vous ne manquerez sans doute pas de relever que le budget est un peu inférieur aux 7,7 milliards d'euros qui figuraient dans la loi de programmation. Cela ne traduit en rien une révision à la baisse de nos ambitions : il ne s'agit que de coller au plus près de nos besoins en crédits de paiement en 2020, au vu de l'avancement réel des projets. Quelques opérations immobilières ont pris un peu de retard, soit du fait de difficultés à trouver un terrain, soit du fait d'opérations inhérentes aux projets eux-mêmes. Nous venons par ailleurs d'obtenir en complément 35 millions d'euros de financement de la part du fonds pour la transformation de l'action publique pour les prisons expérimentales d'insertion par le travail, ce qui montre le caractère innovant du projet.

Avec une telle progression des crédits, le Gouvernement confirme très clairement la priorité accordée à la justice. Ces moyens renforcés nous permettent de mettre en oeuvre la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Ses premiers effets se font déjà sentir de manière très concrète dès aujourd'hui : tout citoyen peut désormais suivre en ligne son affaire civile ; les majeurs protégés peuvent voter, se marier, divorcer sans autorisation préalable d'un juge ; les démarches à accomplir par les personnes chargées de leur protection sont simplifiées et accélérées ; les premières audiences des cours criminelles départementales se sont tenues, évitant la correctionnalisation des procédures ; la justice antiterroriste est renforcée avec la création en juin 2019 du parquet national antiterroriste et du juge de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme.

Voilà quelques exemples des évolutions très concrètes qui ont été traduites grâce à la loi de réforme pour la justice et aux financements qui l'accompagnent. L'effort d'investissement pour une justice de qualité se poursuivra en 2020, pour améliorer le service rendu aux citoyens et aux justiciables.

La réforme de l'organisation judiciaire, notamment la création au 1er janvier 2020 des tribunaux judiciaires par fusion des tribunaux d'instance et de grande instance, constitue une priorité importante. Cette réforme rendra la justice de première instance plus lisible et permettra de mieux traiter les contentieux les plus techniques, tout en laissant plus de souplesse d'organisation. Dans un souci de proximité, tous les lieux de justice seront maintenus et un juge des contentieux de la protection sera créé. Certains tribunaux de proximité verront même leurs compétences renforcées.

Par ailleurs, 384 créations d'emplois sont prévues dans les services judiciaires par le budget 2020. Elles favoriseront la mise en oeuvre de cette réforme, l'adaptation des organisations de travail et la création du tribunal judiciaire. Elles permettront aussi de poursuivre la résorption des vacances dans les greffes, le développement de l'équipe autour du magistrat et l'augmentation des effectifs de magistrats dans les domaines prioritaires que constituent, pour l'année prochaine, la justice pénale des mineurs et la lutte contre la délinquance financière. D'ores et déjà, à la fin de l'année 2019, les vacances d'emplois de magistrats seront presque totalement résorbées, puisque le taux est de 0,95 %, soit le plus bas que nous ayons connu ces dernières années.

La nouvelle programmation immobilière judiciaire, qui a été dotée en 2019 de 450 millions d'euros d'autorisations d'engagement supplémentaires, est désormais bien lancée. Ainsi, 161 millions d'euros de crédits de paiement seront ouverts en 2020 et permettront d'accompagner la réforme de l'organisation judiciaire. Des opérations importantes vont ainsi passer en phase travaux comme les tribunaux de Bourgoin-Jallieu, Vienne ou Pau. Les moyens de fonctionnement des juridictions, qui avaient été fortement revalorisés en 2019, à hauteur de 9 %, sont consolidés à un niveau très élevé de 375 millions d'euros pour garantir le bon fonctionnement de la justice du quotidien.

Deuxièmement, l'entrée en vigueur de la nouvelle politique des peines en mars 2020 constituera également une étape majeure de la réforme de la justice, nécessitant un accompagnement fort des juridictions et des services pénitentiaires, pour promouvoir le prononcé de peines autres que les courtes peines d'emprisonnement ainsi que les alternatives à la détention provisoire. Aussi 400 emplois seront-ils créés en 2020 dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation, portant à 950 le nombre d'emplois créés en trois ans dans ces services. L'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice continuera sa montée en puissance, avec pour objectif, entre autres, d'atteindre une offre de 30 000 postes de travaux d'intérêt général (TIG) d'ici à trois ans.

Pendant de la réforme des peines, la réalisation du programme de construction de 15 000 places de prison à l'horizon de 2027 avance résolument, en dépit du décalage de quelques opérations lié à des difficultés locales pour obtenir des terrains. Pour les 7 000 premières places qui devaient être livrées en 2022, le programme est finalisé pour près de 80 % d'entre elles, les marchés de maîtrise d'oeuvre sont passés pour plus de la moitié et 22 % sont en travaux. Dans le budget 2020, 327 millions d'euros de crédits de paiement sont inscrits dans le budget 2020 pour la construction et la rénovation des établissements pénitentiaires, soit une progression de 34 % par rapport à 2019, traduisant le passage de nombreux projets en phase opérationnelle. D'ici à 2022, 2 000 places en structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) seront ouvertes. Qui plus est, 145 emplois sont d'ores et déjà créés en 2020 pour préparer les prochaines ouvertures d'établissements.

Plus généralement, avec 1 000 créations d'emplois, dont 300 pour le comblement de vacances de poste de surveillants, 50 pour les extractions judiciaires et une progression de ses crédits de 6,2 %, c'est toute l'administration pénitentiaire qui poursuit sa consolidation pour améliorer le fonctionnement au quotidien des établissements pénitentiaires.

La sécurité des établissements pénitentiaires est toujours un enjeu fort. Les crédits en sa faveur atteindront cette année 58 millions d'euros, soit 16 % de plus que l'an dernier. Ils nous permettront de poursuivre l'installation de systèmes de brouillage des communications illicites, de lutte contre les drones et de vidéosurveillance.

Troisièmement, 2020 sera l'année de la réforme de la justice pénale des mineurs, maintes fois mise sur le métier par les gouvernements précédents, sans jamais être conduite à son terme. L'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs ouvre la voie à une rénovation profonde de la prise en charge des mineurs délinquants. Cette réforme simplifie la procédure pénale qui leur est applicable, en apportant une réponse plus rapide aux victimes, tout en assurant une meilleure prise en charge éducative des mineurs. Elle entrera en vigueur au 1er octobre 2020, pour permettre au Parlement d'en débattre, comme je m'y étais engagée devant vous, et aux juridictions et services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de préparer sa mise en oeuvre.

Des moyens importants sont consacrés à cette réforme dans le budget 2020 : 70 emplois de magistrats et 100 emplois de greffiers sont créés à cette fin, ainsi qu'une centaine d'emplois d'éducateurs à la protection judiciaire de la jeunesse. Ces moyens devraient nous permettre de respecter les délais de jugement prévus dans le code pour les nouvelles procédures, sans dégrader le traitement des procédures engagées selon les dispositions de l'ordonnance de 1945.

Les crédits de la PJJ progresseront de 17 millions d'euros en 2020, permettant également de poursuivre la diversification de la prise en charge des mineurs délinquants, la construction de vingt centres éducatifs fermés et la rénovation de son parc immobilier.

Quatrièmement, pilier indispensable de toutes ces réformes, la transformation numérique progresse de manière visible. Le ministère a augmenté de 75 % son budget informatique annuel depuis 2017, ce qui nous permet de rattraper notre retard. Nous avons renforcé l'infrastructure technique et les équipements informatiques, préalables indispensables à la dématérialisation des procédures, progressent rapidement. Le réseau haut débit sera effectif sur un millier de sites fin 2020, y compris outre-mer. Qui plus est, 20 000 ordinateurs vont être remplacés au premier semestre 2020. Près de 1 900 équipements de visioconférence sont opérationnels, permettant notamment d'éviter 20 % des extractions judiciaires.

Nous développons également de nouvelles applications autour du portail du justiciable, qui est l'un des objets de la vie quotidienne que le Gouvernement suit dans le cadre du comité interministériel de transformation publique. Nous travaillons également avec Christophe Castaner à développer une procédure pénale numérique de bout en bout, qui aille de la plainte jusqu'au jugement, ce qui facilitera considérablement le travail des personnels de justice et de la police judiciaire. Dans le cadre de ce travail, la plainte en ligne est évidemment un sujet majeur.

Face à l'ampleur de la transformation qui est en train de se jouer, l'accompagnement des agents est primordial. Un projet de formation et d'accès au droit à l'ère du numérique, réunissant le secrétariat général de mon ministère, les directions et les quatre écoles du ministère, a été lancé pour mieux accompagner la montée en compétence des agents du ministère.

Cinquièmement, dans ce contexte de transformation importante de la justice, l'accès au droit et l'aide aux victimes sont également essentiels.

La réforme de l'aide juridictionnelle doit entrer dans une phase concrète, avec la construction d'un nouveau système d'information, qui permettra une saisine en ligne et s'accompagnera d'une simplification du dispositif. Elle se traduira également par la simplification des modalités de contractualisation entre les barreaux et les juridictions et la possibilité d'expérimenter, avec les barreaux volontaires, des structures dédiées à la défense des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle.

Le réseau d'accès au droit sera optimisé avec notamment la présence de conciliateurs de justice dans chaque maison France Service. Un effort particulier sera réalisé dans le budget 2020 pour développer les espaces de rencontre médiatisés, qui bénéficieront de 2 millions d'euros supplémentaires, afin de consolider l'action de ces structures indispensables à la préservation des liens parents-enfants en cas de crises familiales graves. Les crédits consacrés à l'aide aux victimes continueront leur progression – plus 10 % depuis 2017 –, avec un effort tout particulier pour les victimes de violences conjugales, dans le cadre des travaux du Grenelle ouvert le 3 septembre 2019.

Toutes ces réformes ne pourront réussir qu'avec l'engagement de tous les agents du ministère. Ainsi, 20 millions d'euros de crédits seront consacrés en 2020 à la valorisation de leur travail et de leurs compétences et à l'accompagnement des réformes. Ils financeront notamment la réforme de la chaîne de commandement et de la filière technique de l'administration pénitentiaire ; la revalorisation des astreintes des magistrats du parquet, qui est très attendue ; l'évolution des directeurs de greffe de tribunal judiciaire ; la poursuite de la mise en oeuvre du protocole parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR) ; la création du corps des cadres éducatifs ; ainsi que la poursuite du versement de compléments indemnitaires annuels au mérite.

L'action sociale en faveur des agents du ministère continuera de progresser, grâce à une augmentation de 8 % des crédits en 2020 et de 27 % depuis 2017, pour poursuivre l'action engagée en faveur du logement, de la restauration et de la petite enfance, à l'appui de notre politique d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Pour conclure, 2018 et 2019 ont été des années de conception et de pose des premières briques des chantiers de réforme de la justice ; 2020 sera celle de la réalisation et du suivi des premiers résultats. La loi n'est en effet que la condition nécessaire à la modification des pratiques ou des organisations, non la condition suffisante. Nous sommes entrés dans le temps de l'application. Les indicateurs de performance qui figurent dans les documents budgétaires du projet de loi de finances pour 2020 ont été revisités à cette occasion, pour rendre compte de la mise en oeuvre de la loi de programmation et de réforme pour la justice et mieux mesurer l'atteinte des résultats attendus. Ce budget devrait nous permettre de mener à bien les transformations profondes de notre justice que vous avez votées dans la loi du 23 mars dernier.

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