Intervention de Dimitri Houbron

Réunion du mardi 22 octobre 2019 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDimitri Houbron, rapporteur pour avis du programme Justice et accès au droit :

2020 sera la première année pleine de mise en oeuvre de la loi du 23 mars 2019. Le budget prévu pour la justice en 2020 tire les premières conséquences en matière de moyens humains et budgétaires de la réforme d'ampleur du système judiciaire prévue par la loi de programmation, que ce soit en matière de simplification des procédures civiles et pénales, de renforcement de l'efficacité et du sens de la peine ou encore de l'amélioration de l'efficacité de l'organisation judiciaire. Il prévoit de porter les moyens en faveur de la justice de 9,1 milliards d'euros en 2019 à 9,4 milliards en 2020, soit une progression de plus de 3,5 % en crédits de paiement. Après une augmentation de 4,5 % en 2019, cette progression conforte la volonté du Gouvernement d'une mise à niveau des moyens de la justice, en accordant une attention particulière à l'administration pénitentiaire.

En 2020, les moyens prévus pour la justice et l'accès au droit devraient progresser, à périmètre courant, de près de 2,4 % en crédits de paiement pour atteindre 4 536 millions d'euros. Les autorisations d'engagement devraient diminuer de 4,6 % pour s'établir à 4 587 millions d'euros. Un effort important est réalisé en faveur des créations d'emplois, qui devraient s'élever à 450, dont 384 nouveaux emplois dans les juridictions, afin de rénover la justice des mineurs, d'accroître la lutte contre la délinquance financière et de renforcer les équipes autour des magistrats.

Après avoir étudié en 2018 la question de l'aide juridictionnelle, j'ai choisi de m'intéresser cette année à la médiation familiale. Mais j'aurais une question liminaire sur l'évolution de l'aide juridictionnelle : une fois la budgétisation des taxes jusqu'alors affectées au Conseil national des barreaux (CNB) retraitée, c'est une baisse de près de 14 millions d'euros, soit de 3,2 % qui semble prévue. Les moyens prévus dans le projet de loi de finances pour 2020 seront-ils suffisants ? Comment allez-vous assurer la montée en charge de la généralisation de la représentation obligatoire prévue dans la loi de programmation et de réforme pour la justice ?

La médiation familiale connaît un véritable essor, tant dans sa dimension conventionnelle que judiciaire. Elle a progressé de 42 % entre 2013 et 2018, avec une nette accélération en 2018, sous l'effet de l'expérimentation relative à la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO), à peine d'irrecevabilité, avant toute saisine du juge aux affaires familiales visant à modifier une précédente décision fixant les modalités de l'exercice de l'autorité parentale. Les premiers résultats sont très encourageants et confirment l'intérêt de la médiation familiale. Ils montrent en effet que le taux d'accord entre les parties s'élève à 26 %, soit à un niveau proche de celui atteint dans le cadre de la médiation familiale conventionnelle.

Certains tribunaux de grande instance constatent une diminution du nombre de saisines contentieuses et une augmentation significative des demandes d'homologation d'accords parentaux sans audience, dans des dossiers entrant dans le champ de la TMFPO. Les magistrats et les médiateurs familiaux soulignent aussi qu'au moment de l'audience les relations entre les parties soumises à cette obligation sont apaisées, même en l'absence d'accord résultant de la tentative de médiation, et que la médiation permet de concentrer les débats sur les questions juridiques.

Enfin, cette expérimentation est intéressante, en ce qu'elle permet de diffuser la culture de la médiation auprès de nouveaux publics, de préciser le rôle de chacun des intervenants et de remettre en question le rôle du médiateur familial en le conduisant à adopter d'autres postures professionnelles.

Au vu de ces premiers résultats encourageants et compte tenu du retard pris dans la mise en oeuvre de cette expérimentation, je souhaiterais qu'elle soit prolongée d'un an. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement en ce sens.

La médiation familiale apparaît comme un outil efficace dont les potentialités doivent encore être développées. Pour cela, je vous soumets, madame la ministre, plusieurs propositions : prolonger l'expérimentation d'une année et procéder aux ajustements nécessaires, en particulier à l'harmonisation des procédures en matière de recevabilité ; étendre le champ de l'obligation de médiation préalable à l'ensemble des affaires familiales, à l'exception des cas de violences conjugales et, plus généralement, des affaires communicables au ministère public ; améliorer l'information sur la médiation familiale par la généralisation de l'organisation de permanences en même temps que les audiences des juges aux affaires familiales ou par la projection, les jours d'audience, d'un film sur la médiation familiale dans la salle d'attente des affaires familiales, afin de sensibiliser les parties à l'intérêt de cette démarche.

Mais il faut également : généraliser la double convocation ; sensibiliser les agents sur la nécessité d'informer les personnes souhaitant saisir le juge aux affaires familiales ; affermir le rôle des conseils départementaux de l'accès au droit, pour que l'implantation des maisons de justice et du droit et des structures d'accès au droit se poursuive en lien avec le développement des maisons France Service et que l'information relative à la médiation familiale soit largement assurée ; lancer une campagne d'information nationale ; enrichir l'information relative à la médiation familiale sur le site justice.gouv.fr.

Une autre proposition vise à mieux encadrer la profession de médiateur familial, en créant un conseil national de la médiation familiale, qui serait notamment chargé de la définition des conditions d'agrément des médiateurs familiaux et du contrôle des conditions d'exercice de la profession, en enrichissant la formation des médiateurs familiaux, car il ressort de l'exercice actuel de la profession une certaine impression d'anarchie. Il est aujourd'hui nécessaire d'élaborer un référentiel de formation et de définir des conditions d'accréditation des organismes de formation.

Il est également nécessaire de promouvoir la médiation familiale auprès des magistrats qui en ont un usage encore inégal. Cela peut passer par le renforcement de la place de la médiation familiale dans le cadre de la formation initiale et continue des magistrats, mais également par une prise en compte du recours à la médiation familiale dans les statistiques du traitement des litiges. Il faut aussi encourager les avocats dans cette voie, en les sensibilisant davantage, au cours de leur formation, et en réévaluant l'indemnisation des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle dans le cadre des médiations familiales – on a constaté qu'il était plus rémunérateur d'aller en contentieux que dans ces phases de médiation.

Il serait intéressant de développer la conclusion de partenariats tripartites en faveur de la médiation familiale dans chaque juridiction, entre les juges, les médiateurs familiaux et les avocats. Nous pourrions également réfléchir aux pistes d'évolution du financement de la médiation familiale, comme la mise en place d'un ticket médiation dans les entreprises ou encore une prise en charge dans le cadre de l'assurance de protection juridique, par exemple. Est aussi ressortie la nécessité de supprimer la procédure de consignation, qui est trop lourde au regard des enjeux financiers.

Enfin, il semble nécessaire de mener une réflexion sur l'opportunité de revoir le barème national des participations des familles, puisqu'il va de 2 à 131 euros de participation, alors qu'une médiation coûte plus de 1 000 euros, à raison de 2,6 séances en moyenne pour aller jusqu'à son terme.

Telles sont, madame la ministre, les principales propositions que je vous soumets, en espérant que vous voudrez bien leur donner une suite favorable.

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