Je vais répondre à la question sur le recueil des preuves sans plainte. Il a été dit que c'était ce vers quoi la médecine légale devait tendre en France. Je suis complètement d'accord avec cette position. Nous avons un vieux passif de médecine légale qui disait que la médecine légale était la médecine du constat. Je pense que nous devons nous en éloigner pour tendre vers la médecine légale en tant que médecine de la violence, c'est-à-dire la médecine du soin de la violence. Plus nous avançons et plus les professionnels, médecins légistes et professionnels des unités médico-judiciaires en règle générale, seront à même de se saisir cette problématique et de s'éloigner un peu de la question de l'autorité judiciaire et de la réquisition pour tendre vers le soin de la personne.
Il faut développer des consultations hors réquisitions judiciaires. Les UMJ sont vraisemblablement un bon lieu pour le faire car nous sommes déjà formés à prendre en charge ces patients. Nous aimerions, dans un monde parfait, ouvrir les consultations aux personnes qui n'ont pas déposé plainte. Se pose la question des moyens. Nous avons des consultations à flux tendu et nous ne pouvons pas absorber les consultations hors réquisition même si nous le souhaitons et que nous avons la compétence pratique pour le faire. Si nous disposions dans mon unité de trois praticiens, d'une infirmière et d'une assistante sociale en plus des effectifs actuels, nous n'aurions aucun problème à assurer cette mission. Nous n'avons cependant pas les moyens. Le modèle de la Maison des femmes de Saint-Denis est un excellent modèle mais il ne peut être transposé faute de moyens. Je crois que ce que je décris est valable partout en France et tous mes collègues légistes aimeraient assurer ces consultations mais ne disposent pas des ressources pour le faire.
Je reviens sur la prise en charge des enfants. Lorsque nous recevons une victime de violences conjugales, nous demandons systématiquement s'il y a des violences sur les enfants. Le plus souvent il n'y a pas de violences physiques sur les enfants. Pour autant, un enfant témoin de violences conjugales est-lui-même violenté. Il faudrait alors pouvoir examiner l'enfant et proposer au moins une évaluation par un psychologue spécialisé, mais là encore nous manquons de moyens. Les études commencent à montrer que très probablement, ces enfants témoins de violences au sein du couple que forment leurs parents vont développer un traumatisme réel à l'âge adulte.
Dans mon service, nous avons la chance d'avoir une psychologue spécialisée dans les mineurs, à qui nous adressons des enfants qui ont été témoins de violences même s'ils n'en ont pas été physiquement victimes ; force est de constater qu'elle dépiste de vrais traumatismes chez les enfants témoins. Ces enfants à l'âge adulte risquent aussi, soit de reproduire des violences, soit d'être à leur tour victimes de violence et de se remettre aussi dans des situations de conflits conjugaux.
Vous évoquiez enfin le rôle des associations. Nous savons que les associations réalisent un important travail de soutien, d'accompagnement juridique et d'accompagnement social. Quelles solutions pouvons-nous apporter aux personnes qui décident de quitter le domicile ? Malheureusement sur le territoire, nous manquons de places dans des foyers et de propositions de logements pour des familles lorsque la mère a décidé de quitter son conjoint. Tant que nous n'aurons pas géré ce problème d'urgence - qui passe aussi par une décision sur le fait que le père violent puisse ou non conserver l'autorité parentale - nous n'arriverons pas à sortir de ce cercle vicieux. Les femmes n'arriveront pas à sortir des situations de violence si nous ne leur proposons pas de solution d'urgence.