Intervention de Mathilde Delespine

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 15h05
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins à la Maison des Femmes de Saint-Denis :

La Belgique compte trois centres de prise en charge des violences sexuelles : un à Bruxelles, un à Liège et un à Gand. Ils sont chapeautés par un médecin légiste et les équipes sont constituées de sages-femmes et d'infirmières légistes formées, ce qui coûte moins cher que de recourir à des médecins. Je ne sais pas si c'est une bonne idée mais c'est la réalité de ces centres.

Entre novembre 2017 et mai 2019, ces centres ont accueilli 730 victimes, et 50 % d'entre elles ont déposé plainte. C'est beaucoup plus que les 10 % de victimes de violences sexuelles en France qui déposent plainte.

Les sages-femmes et les infirmières accueillent des victimes ayant subi une agression sexuelle de moins d'un mois. La personne qui accueille consacre en moyenne une heure et demie à l'accueil d'une victime. Les auditions, conduites par des policiers spécialisées, durent quant à elles en moyenne deux heures. Leur formation ne se fait pas en trois jours comme en France mais dure deux semaines. Les policiers sont chapeautés par un policier qui a également une formation de psychologue. Lorsque les faits datent de plus d'une semaine, c'est à la victime de se déplacer au commissariat.

Après la prise en charge, les centres assurent un suivi. Les sages-femmes et les infirmières recontactent les patientes. Elles font un suivi téléphonique le lendemain puis une fois par semaine.

Les prélèvements sont conservés six mois. En l'absence de plainte et lorsque la victime est majeure, ils détruits après ce délai.

J'ai trouvé la comparaison que vous avez faite des filières de médecine légale rattachées aux GHT avec les unités « douleur » ou avec les unités mobiles de soins palliatifs. Cela permettrait de faire disparaître les UMJ libérales : en Seine-Saint-Denis, un district de police sur quatre dépend encore d'une UMJ libérale qui ne propose pas la même qualité de certificats médicaux. Si c'est un cas isolé, cela peut se régler facilement mais sinon il faut s'interroger. Il ne s'agit en effet pas d'un service hospitalier avec des protocoles ; ce sont des professionnels libéraux qui fonctionnent à l'acte sans repérage systématique. Ils s'en tiennent à ce que la personne dit et ne vont pas au-delà. Nous constatons également que les ITT ne sont pas calculées de la même façon dans chaque unité. Certaines UMJ prennent vraiment en compte la dimension psychologique, d'autres pas du tout. Il me semble qu'une harmonisation serait nécessaire.

La Maison des femmes réalisant également des avortements – nous sommes un centre de planification familiale, nous pouvons conserver les produits d'aspiration lorsqu'une femme fait le choix d'une interruption volontaire de grossesse suite à un viol mais qu'elle ne dépose pas plainte tout de suite. La conservation des preuves sans besoin de plainte est à mettre en place de façon urgente.

Pour créer des structures spécialisées, il va falloir des financements. Nous souhaitons que soit créée une mission d'intérêt général (MIG) pour que tous les hôpitaux qui veulent s'investir dans cette médecine de la violence – le mot est utilisé notamment en Suisse où il y a des unités de ce type depuis plus de 20 ans – puissent en bénéficier. En effet les soins qui sont délivrés dans ce cadre ne peuvent pas relever de la tarification à l'activité. Ce sont des consultations plus longues et qui coûtent de l'argent dans un premier temps. Mais on gagne beaucoup d'argent ensuite si on assure une bonne prise en charge initiale. Nous attendons beaucoup des annonces du 25 novembre prochain et nous espérons que cette MIG sera bien créée.

Il nous faut aussi des ressources financières. La Maison des femmes reçoit des aides de la direction générale de l'offre de soins ainsi qu'un soutien du fonds d'intervention régional. Mais dans l'ensemble nos ressources dépendent beaucoup de fondations privées ou d'aides ad hoc. Ce n'est pas une solution pérenne ni généralisable : ce sont des fonds publics qui doivent financer nos structures.

Vous vous êtes interrogé sur les carences dans la prise en charge de long terme. Beaucoup de structures font de l'accueil et de l'orientation et offrent cinq ou six consultations de psychotrauma. Mais quand il faut prendre en charge les patients dans la durée, cela devient compliqué et le service est vite embolisé. Peu de structures sont capables de prendre en charge un patient jusqu'à la disparition complète des symptômes post-traumatiques. Alors vers qui orienter ces patients ? Vers la psychiatrie de secteur ? Ces professionnels ne sont pas formés sur le trauma complexe, ne feront pas le diagnostic adapté et ne mettront pas le bon protocole de soin en place. Il faut des professionnels formés avec des techniques à la pointe de l'EMDR, de l'hypnose, et qui prennent en charge les patients jusqu'à la disparition des symptômes post-traumatiques.

Il faut aussi articuler le soin avec l'action des associations qui dont un travail très important de déconstruction et qui assurent une prise en charge collective ; que ce n'est un problème de couple entre monsieur et madame, c'est un problème de société. Il y a aussi besoin de soignants ; nous ne pouvons pas tout faire reposer sur les associations. Pour moi, la limite du centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) de Bruxelles tient au fait que les femmes qui ont subi des viols de plus d'un mois ne sont pas prises en charge et qu'on les renvoie vers SOS Viol, ce qui est bien sûr mieux que rien puisqu'il s'agi d'une association qui a beaucoup d'expertise, mais cela veut dire qu'il n'y a pas de recours à la santé possible. Il faut du soin et un soutien associatif, mais pas seulement l'un des deux.

Enfin, je pense que si nous voulons progresser dans la prise en charge immédiate et de long terme, il faut rappeler que prendre en charge les violences est un acte médical. Il n'est pas nécessaire d'être féministe pour le faire – tant mieux si c'est le cas mais ce n'est pas obligatoire. La docteure Wagner parlait d'exercice d'humanité ; je crois que nous sommes au-delà. La violence est un facteur de risque sur la santé. Ne pas prendre en charge un facteur de risque sur la santé, c'est ne pas faire de la bonne médecine - bien sûr, il faut être formé et il faut avoir les conditions d'exercice pour le faire.

Les violences conjugales ne sont pas les affaires privées de la famille : ce sont des délits et des crimes. À partir du moment où c'est interdit par la loi, ce ne sont plus les affaires de la famille. S'il y a une refonte du code de déontologie, peut-être qu'il introduire un nota bene rappelant que les violences faites aux femmes ne sont pas les affaires privées de la famille, c'est un facteur de risque majeur sur la santé interdit par la loi. Cela clarifierait les choses.

Sur l'obligation de signalement, Me Dominique Attias, ancienne vice-bâtonnière du Barreau de Paris, avait bien rappelé lors de son audition au Sénat par la mission sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs qu'un fonctionnaire a l'obligation de signaler – pour les mineurs – et qu'un médecin libéral a la possibilité de signaler, c'est-à-dire qu'il agit toujours en son âme et conscience. Il faudrait vraiment se battre pour qu'il y ait une obligation étendue à tous les soignants pour les mineurs. Pour les majeurs, je suis d'accord sur le fait qu'il faut quand même leur laisser la possibilité de choisir pour elles-mêmes. Ce n'est pas le cas pour les mineurs. Et on ne peut se satisfaire d'un renvoi à une décision « en son âme et conscience » ; quand on est seul dans son cabinet libéral avec une salle d'attente bondée, on voit à quoi cette solution aboutit.

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