Intervention de Alexandra Louis

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 9h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Louis, rapporteure :

Je vous remercie, Madame la Présidente, de nous permettre d'aborder ce texte qui marque un progrès en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes. C'est un sujet qui doit appeler de notre part une attention de chaque instant. Je le rappelle, le Président de la République a déclaré l'égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale » du quinquennat. Ce texte avait pour vocation de combler les angles morts de notre droit pénal en la matière.

Il a suscité une forte implication des parlementaires, notamment en commission des Lois où se sont tenus des débats de qualité. Je salue aussi le travail de nos collègues du Sénat. Après de riches discussions, ce texte a fait l'objet d'une commission mixte paritaire dont les conclusions ont été adoptées à une large majorité par les deux assemblées.

Il ne s'agit pas, ici, de dresser un bilan exhaustif de cette loi, notamment parce qu'elle touche au droit pénal, mais plutôt de rappeler ses principales mesures et d'évoquer les premiers effets de leur application ainsi que ses perspectives d'évolution.

En premier lieu, ce texte a porté la durée de la prescription des crimes commis sur les mineurs de 20 à 30 années, étant précisé que ce délai court à compter de la majorité de ces derniers.

Nous avons souhaité prendre en considération les phénomènes qui peuvent empêcher une victime de parler, notamment l'amnésie traumatique. Cette mesure était inspirée des travaux d'experts et notamment de la mission de consensus menée par Flavie Flament et Jacques Calmettes.

Il est un peu tôt pour dresser un bilan, même provisoire, de cette disposition, qui devra être appréciée sur le long terme. Cela étant, je pense qu'elle permettra à davantage de victimes de faire valoir leurs droits devant la justice, spécialement en cas d'inceste, et d'éviter l'impunité des auteurs de tels faits que nous voulions particulièrement combattre.

En deuxième lieu, les affaires de Pontoise et de Melun avaient saisi l'opinion publique d'une émotion évidemment très légitime quant à l'insuffisante prise en compte par les juridictions du très jeune âge des victimes dans la qualification pénale des violences sexuelles commises, en particulier le viol ou les autres agressions sexuelles.

Il faut rappeler qu'avant l'adoption de cette loi, la définition du viol et des autres agressions sexuelles ne comportait aucune spécificité s'agissant des victimes mineures de moins de 15 ans. De ce fait, le juge devait rechercher l'existence d'une contrainte, d'une surprise, d'une menace ou d'une violence, sans être tenu légalement de prendre en compte la vulnérabilité liée au jeune âge des victimes.

Cette loi prévoit désormais un âge seuil que la juridiction doit prendre en compte. Le texte dispose clairement que « lorsque les faits sont connus sur la personne d'un mineur de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ses actes ».

Cet article a suscité une large controverse, certains souhaitant aller plus loin avec la création d'une présomption de non-consentement. Notre tâche a consisté à rechercher la définition qui soit la plus protectrice des victimes, dans le respect de nos principes constitutionnels.

Le Conseil d'État et des personnalités qualifiées, je pense notamment à des magistrats, des avocats ou des universitaires, nous ont mis en garde sur le risque réel d'inconstitutionnalité de ce type de présomption de culpabilité, qui n'existe pas dans notre droit en matière criminelle.

Là encore, il paraît un peu tôt pour mesurer toutes les conséquences de cette modification du droit. Cela étant, le caractère interprétatif de cette disposition a permis qu'elle entre immédiatement en application, y compris pour les procédures en cours et les faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi. Par ailleurs, cette nouvelle disposition est un guide utile pour les magistrats qui ne peuvent plus considérer qu'un mineur de moins de 15 ans à l'apparence physique ou au comportement d'un mineur plus âgé ou d'un adulte peut valablement consentir à un acte sexuel. Ils doivent désormais chercher à savoir si ce mineur disposait ou non d'un discernement suffisant.

Une troisième mesure phare de cette loi – nous en avons encore parlé à l'occasion d'autres textes – a consisté à réprimer le harcèlement en meute, autrement appelé « raid numérique ».

L'infraction de harcèlement reposait sur l'exigence de répétition de propos ou comportements d'un auteur déterminé et ne permettait pas de poursuivre efficacement les comportements de harcèlement constitués par la répétition d'actions uniques d'une pluralité de personnes, qui touchent particulièrement les enfants.

Nous avons donc adapté la définition de cette infraction. Adoptée de manière très consensuelle au sein de cette commission, mais également par les deux assemblées, cette disposition a permis de disposer d'une définition plus adaptée du harcèlement et de pouvoir mieux appréhender des usages numériques offrant à une pluralité d'auteurs, et non pas un seul auteur isolé, la possibilité de se livrer impunément à ce type de comportements.

La proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet, prenant acte du constat de l'exacerbation des discours de haine sur le web, est venue compléter ce dispositif en instaurant à la charge des opérateurs une obligation renforcée de retrait des contenus haineux en ligne. La loi du 3 août 2018 a donc trouvé des prolongements législatifs.

Cette loi s'est également attachée à apporter une réponse pénale claire à un ensemble de comportements trop souvent banalisés, et relevant de la zone grise que notre législation n'interdisait pas expressément, à savoir le harcèlement de rue : commentaires sur le physique, présence envahissante et opprimante, questions intrusives, invitations insistantes. Les exemples ne manquent pas.

Il s'agissait de sanctionner le premier échelon des violences sexuelles et sexistes, pour stopper net le continuum des comportements qui en sont constitutifs. Cette disposition avait suscité aussi beaucoup de débats, certains pessimistes pensant que cette nouvelle infraction n'emporterait pas beaucoup d'effets. Je crois pouvoir les rassurer aujourd'hui en leur disant qu'à la date du 4 octobre 2019, 894 contraventions pour outrage sexiste ont été relevées, dont 36 concernent des mineurs de 15 ans et 43 des outrages sexistes à raison de l'orientation sexuelle de la victime.

En outre, on observe une augmentation du nombre de peines de stages de prévention de la récidive prononcées par les juridictions contre les auteurs de violences. Entre le 1er janvier et le 30 septembre 2018, 3 148 peines de stages avaient été prononcées, contre 457 en 2015 par exemple.

Ont également été ordonnées 107 peines de stages de sensibilisation à la lutte contre l'achat de services sexuels en 2018, contre 4 sur les six derniers mois sur l'année 2017.

Je tiens particulièrement à saluer le travail des policiers et des gendarmes qui se sont emparés de cette nouvelle infraction, et je sais qu'ils continuent à le faire. À titre d'exemple, le préfet des Bouches-du-Rhône a mis en place une session de formation très large englobant les policiers, les gendarmes, les agents des transports mais aussi les autres professionnels amenés à appréhender ces comportements. Cette formation, comme d'autres partout en France, a rencontré un vif succès. Il faut continuer à avancer sur ce chemin.

Enfin, cette loi a permis de compléter la liste des circonstances aggravantes des violences commises au sein du couple en créant une nouvelle circonstance aggravante lorsque les violences sont commises en présence d'un mineur. Il s'agit d'un sujet qui occupe beaucoup notre assemblée en ce moment. Nous avons ainsi fait passer ce message très fort selon lequel les enfants témoins de violences, notamment de violences conjugales, sont également des enfants victimes. Cela nous a aussi permis de mettre notre droit en conformité avec la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique.

Entre l'adoption de cette loi et juillet 2013, 590 condamnations ont pris en compte cette circonstance aggravante pour des faits de violences, mais également dans le cas d'agressions sexuelles. Cette circonstance aggravante trouve donc à s'appliquer et rappelle aux auteurs des faits les conséquences de leurs actes sur les enfants.

Nous avions également voté une disposition étendant l'application de la circonstance aggravante des faits commis sur un conjoint, concubin ou partenaires aux couples non-cohabitants, afin de mettre un terme aux disparités d'appréciation par les juridictions.

Nous continuons à travailler sur ces dispositions dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales.

Il me sera très bientôt confié une mission d'évaluation de cette loi par le Gouvernement. Il ne sera pas question de dresser un bilan exhaustif de ces dispositions un an seulement après leur entrée en vigueur, notamment parce qu'en matière criminelle les procédures sont longues. Mais cette mission permettra, je l'espère, de faire le point sur les premiers effets de cette loi et d'entendre toutes les personnes impliquées dans sa mise en oeuvre. Ce sujet demande de notre part une attention permanente, en ayant toujours à coeur – je crois que c'est important, c'est cela qui a guidé nos travaux – une meilleure protection des victimes et le respect des principes de notre droit.

Il s'agit d'un travail de longue haleine parce qu'il y a encore aujourd'hui trop d'impunité pour les auteurs de ces violences.

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