J'interviens également aujourd'hui en ma qualité de membre de la Délégation aux droits des femmes qui travaille, dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, sur les moyens de mieux lutter contre ces violences. Ce travail, lancé il y a maintenant un mois, nous occupera pendant encore un mois et demi environ.
Je considère que la loi du 3 août 2018 a été un complément utile au droit alors en vigueur, notamment en termes de prévention. Malheureusement, lorsque les violences aboutissent au sein du couple ou de la famille à des drames, elles sont bien souvent précédées d'éléments qui, s'ils peuvent être détectés en amont, pourraient être traités et conduire à un accompagnement de leurs auteurs.
En ce sens, l'augmentation du nombre de peines de stages prononcées qui a été rappelée tout à l'heure est importante. Nous pouvons et nous devons en effet mettre entre les mains des forces de l'ordre et de l'autorité judiciaire les moyens de mieux prévenir les violences.
Pour mesurer l'effectivité ou l'efficacité de cette loi, il faudra encore attendre un peu de temps, pour que les procédures judiciaires soient menées jusqu'à leur terme.
Je voudrais revenir sur deux préoccupations qui ont cristallisé l'attention lors des débats sur cette loi.
Il s'agit, d'abord, du risque de correctionnalisation des procédures portant sur des qualifications d'agressions sexuelles commises sur des mineurs. Je considère que, sur ce sujet, nous avons avancé avec cette loi. Il faut maintenant laisser le temps à la Chancellerie de collecter les données qui lui remontent pour savoir si les qualifications de viol commis sur mineurs ont progressé ou pas.
Il s'agit, ensuite, de la question de la présomption de non-consentement dont nous avons longuement débattu. Naturellement, il convient de se conformer à nos principes constitutionnels, mais, à titre tout à fait personnel – et je ne suis peut-être pas le seul – je considère que nous pouvons aussi continuer de réfléchir à une modification de ces principes constitutionnels, lorsque les victimes sont très fragiles. C'est le cas des mineurs qui sont souvent les victimes des atteintes les plus graves. Nos principes constitutionnels doivent pouvoir évoluer pour protéger encore mieux nos enfants victimes d'agressions sexuelles.
Sur la lutte contre le cyber-harcèlement, la répression des « raids numériques » est à mettre au crédit de cette loi. Mais, encore aujourd'hui, des hébergeurs ou des plateformes ne coopèrent pas dans la lutte contre ces comportements. Twitter, par exemple, continue de ne pas délivrer des adresses IP à l'autorité judiciaire, et maintient des messages pourtant illégaux.
Nous avons récemment adopté, à l'Assemblée, la proposition de loi contre la haine sur internet, qui rehausse notre degré d'exigence à l'égard des hébergeurs et des plateformes. Lorsque ce texte sera définitivement adopté, il sera intéressant de vérifier que les hébergeurs ou les plateformes ne se considèrent pas comme des spectateurs de ces nouvelles règles numériques. Bien sûr, ils ne sont pas complices des abus en ligne, mais ils doivent agir résolument contre. Ils doivent mettre en adéquation leurs outils, retirer les contenus illicites a fortiori lorsqu'une plainte est déposée et une condamnation prononcée. Ils doivent coopérer, parce qu'un « raid numérique » agresse violemment la victime. Et la contagion de ce « raid » comme le nombre de personnes qui en sont témoins sont une agression continue et insupportable pour la victime, qui exige de l'hébergeur ou de la plateforme une réaction rapide. Soyons donc vigilants sur ce sujet.
Un dernier mot sur la contravention d'outrage sexiste qui contribue, au-delà de la répression, à une meilleure prévention de comportements inacceptables. À ce stade, 894 contraventions ont été enregistrées en treize mois. C'est mieux que rien, mais cela reste un chiffre décevant et dont il va falloir surtout apprécier l'application uniforme sur l'ensemble du territoire. Pour rappel, l'Institut national d'études démographiques avait recensé, en 2017, trois millions de femmes qui, chaque année, se disaient victimes de harcèlement ou d'outrage, ce qui montre les progrès qu'il reste à accomplir.
Je voudrais évoquer devant vous une difficulté qui m'est chère, il s'agit de l'application de ce dispositif en outre-mer. En Nouvelle-Calédonie, j'ai interrogé les services de gendarmerie et de police pour savoir combien de contraventions avaient été recensées. Et la réponse est : aucune en treize mois. Je ne suis pas certain que le chiffre soit beaucoup plus élevé ailleurs, notamment en Polynésie française.
Cette question mérite de faire l'objet d'une information et d'une communication supplémentaires à notre Commission. Peut-être existe-t-il un décalage d'application dans le temps ou dans la remontée des informations, mais trop souvent, les territoires d'outre-mer constatent un gouffre entre l'annonce d'une réforme, l'entrée en application et l'effectivité de la répression quelles qu'en soient les raisons.
S'agissant des contraventions d'outrage sexiste, mais plus globalement en matière de violences, cela est d'autant plus incompréhensible et insupportable que, malheureusement, les territoires d'outre-mer sont les plus violents. Il est à craindre que le Grenelle contre les violences conjugales ne confirme ce constat pour les violences sexuelles ou physiques à l'intérieur des couples. Par exemple, la Nouvelle-Calédonie a, dans ce domaine, un taux de violences qui est sept à huit fois supérieur à la moyenne nationale.
Le Grenelle ne pourra sans doute pas répondre à cette problématique de société en profondeur sans que cette loi ne fasse l'objet d'une meilleure application en outre-mer.
En conclusion, laissons-nous du temps pour apprécier l'effectivité de cette loi mais je serai susceptible de solliciter les services de la Commission pour, ponctuellement, aller rechercher des informations relatives à l'outre-mer et comprendre les raisons de ce décalage d'application, s'il est avéré.