Intervention de Florent Boudié

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 9h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFlorent Boudié, rapporteur :

Merci, Madame la Présidente, de faire en sorte que nous consacrions du temps à l'évaluation de l'application des textes votés par notre Commission. 40 % des textes, me semblent-t-il, sont examinés par la commission des Lois. Cela représente une masse importante. Par conséquent, nous devons être à la fois écrivains publics, d'une certaine façon, législateurs, tout en étant vigilants sur l'application des textes que nous votons en commission et dans l'hémicycle.

La difficulté concernant la loi du 10 septembre 2018, dite « loi Collomb », est qu'elle est appliquée depuis moins d'un an. Par conséquent, toutes les mesures n'ont pas encore donné leur plein effet.

Nous devons également être vigilants sur un certain nombre de données infra-annuelles qui ne sont pas disponibles. Ainsi que me l'a confirmé hier le directeur général des étrangers en France, M. Pierre-Antoine Molina, nous ne disposons pas de toutes les données, en particulier celles issues de l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), qui ne fournit pas de statistiques mensuelles sur un certain nombre d'éléments concernant les ressortissants étrangers.

Néanmoins, nous pouvons tout de même tirer un premier bilan de la loi, d'autant plus que nous avons abordé la question de l'immigration cette semaine dans le cadre du débat sur la politique migratoire de la France et de l'Europe. Au fond, le temps que nous allons consacrer ce matin à l'application de cette loi est à verser au débat qui a débuté ce lundi.

Les objectifs de la loi s'articulaient autour de trois grands axes :

– accélérer le traitement des demandes d'asile et améliorer les conditions d'accueil, dans une perspective de protection des ressortissants qui souhaitent accéder au statut de réfugié ;

– renforcer l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière, nous avons quelques données actualisées sur ce sujet extrêmement important ;

– mieux accompagner l'intégration et l'accueil des étrangers en situation régulière.

Quarante dispositions que nous avions adoptées nécessitaient l'élaboration d'un décret d'application. La plupart ont été publiés. 10 au total ont été signés, dont 5 en Conseil d'État. Ils ont été publiés entre le 6 décembre 2018 et le 28 février 2019. Conformément à ce que nous avions voté, la loi est entrée en application en deux temps : au 1er janvier et au 1er mars 2019.

Un décret est aujourd'hui en cours d'examen auprès du Conseil d'État, saisi pour avis. Il porte sur les dispositions d'ajustement de l'allocation pour demandeurs d'asile, pour les ressortissants issus de pays d'origine sûrs après le rejet de leur demande par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). La presse s'en est fait l'écho ces dernières semaines, bien que nous ne connaissions pas, à cette heure, l'avis du Conseil d'État.

Je souhaite faire le point sur l'accélération du traitement de la demande d'asile, qui est essentielle. Cette question a été abordée à plusieurs reprises ici même. Elle doit permettre aux demandeurs qui sont concernés d'être pris en charge plus rapidement et plus effectivement. L'objectif fixé par le plan gouvernemental qui avait été présenté dès l'été 2017, avant même que la loi ne soit débattue ici, visait un délai global de six mois de traitement de la demande d'asile, 60 jours pour l'examen de la demande par l'OFPRA, 120 jours au stade de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Pour y parvenir, plusieurs dispositions avaient été prises.

D'abord, le déploiement des centres d'accueil et d'examen des situations (CAES), dont nous avions très longuement ici défendu la mise en place, ainsi que le renforcement des moyens des guichets uniques pour demandeurs d'asile. Ces deux solutions ont permis de faire baisser le délai d'enregistrement des demandes d'asile en préfecture. Il était de 18 jours en 2017, contre 6 jours aujourd'hui. Il atteint même, en Île-de-France, trois jours. Il s'agit d'un progrès très significatif, car je vous rappelle que dans nos débats, la question du délai d'enregistrement avait été essentielle.

Deuxième mesure prise, la réduction de 120 à 90 jours du délai pour déposer, en procédure normale, une demande d'asile après l'arrivée du demandeur sur le territoire. Ce sujet avait provoqué beaucoup de débats au sein de notre Commission et dans l'hémicycle. Depuis le début de l'année, ce dispositif a conduit à une augmentation de 21 % du nombre de procédures accélérées et a permis de desserrer la pression sur la chaîne de l'asile.

Enfin, si le délai moyen d'instruction de l'OFPRA s'établissait à 150 jours en 2018, la hausse de 22 % de la demande d'asile sur l'année 2018, ainsi que la hausse à 25 % de la part des seuls ressortissants de pays d'origine sûre ont considérablement pesé sur l'évolution des délais en 2019 qui s'établissent aujourd'hui à 190 jours. Il s'agit là de la conséquence de la pression exercée par l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile dans notre pays.

La mise en oeuvre de la loi du 18 septembre 2018 a nécessité de nouvelles mesures d'organisation, en cours de déploiement au sein de l'OFPRA, et ce à toutes les étapes de la procédure afin de la fluidifier et de la raccourcir. Il s'agit par exemple de la convocation aux entretiens ou de la notification des décisions par voie électronique pour s'affranchir des délais postaux. Le logiciel est prêt et la dématérialisation est en cours. Elle sera généralisée et effective sous peu. Nous constatons ainsi une application très correcte du texte voté l'année dernière.

Couplé avec une nouvelle augmentation du plafond d'emploi prévue par le projet de loi de finances pour 2020, l'ensemble des mesures doivent permettre, selon la direction générale des étrangers en France, dans l'hypothèse bien sûr d'une stabilisation de la demande d'asile en France, d'atteindre le délai cible de deux mois à la fin de l'année 2021, conformément aux engagements que nous avions pris.

À la CNDA, le délai moyen, de 6 mois et 15 jours aujourd'hui, a augmenté au total de 39 jours. Cette augmentation s'explique pour deux raisons.

D'abord, la hausse de l'activité de l'OFPRA a un impact, en aval, pour la CNDA. Il faut également souligner les conséquences de plusieurs mouvements sociaux qui ont notamment porté sur le déploiement de la vidéo-audience prévu par la loi du 10 septembre 2018.

Selon les chiffres qui m'ont été communiqués hier, au total, ces mouvements auraient entraîné le report de 10 000 décisions de la CNDA, augmentant par conséquent le stock des dossiers en cours, et bien sûr allongeant les délais de traitement.

Les moyens en termes d'effectifs, obtenus par la CNDA depuis 2018, et renforcés pour 2020, devraient permettre de soutenir l'engagement de réduction du délai de traitement. Je rappelle que, pour les années 2019 et 2020, ce sont près de 550 postes supplémentaires qui sont affectés à l'OFPRA et à la CNDA. Comme le Premier ministre l'a rappelé lors du débat de lundi, nous serons en capacité, là encore sous réserve d'une stabilisation de la demande d'asile dès 2020, de parvenir à un délai de traitement de la demande d'asile de six mois en moyenne à l'année 2022.

Je souhaite maintenant évoquer l'axe stratégique du renforcement de la lutte contre l'immigration irrégulière. Le premier constat est que la loi a un impact très significatif sur notre capacité à éloigner plus vite et de façon beaucoup plus importante qu'autrefois. Le nombre de retours forcés exécutés est en nette hausse en 2018, de l'ordre de 10 %. Au total, il sera supérieur de 21 % par rapport à l'année 2016. Je rappelle que les éloignements forcés ne sont comptabilisés que depuis l'année 2010. Nous allons atteindre, en 2019, le plus haut niveau d'éloignements forcés jamais réalisés. Il s'agit d'un effort très significatif. Nous retrouvons enfin une capacité à éloigner les étrangers en situation irrégulière. Il s'agit d'un objectif absolument prioritaire.

Comme l'a indiqué le Premier ministre lundi, le doublement de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours n'a pas entraîné de hausse significative de la durée moyenne de rétention. Il est très important de souligner cet élément, parce que, dans nos débats, s'était posée la question de la systématisation du recours à l'allongement de la durée de rétention. Nous avions évoqué la possibilité pour l'État d'utiliser ce délai pour les situations qui l'exigeaient, notamment pour obtenir les laissez-passer consulaires.

La réalité de l'application de la loi au cours de l'année 2019 est que l'État a utilisé cette faculté nouvelle de façon tout à fait ciblée. Au cours du premier semestre, 10 % d'étrangers ont été retenus au-delà du seuil de 45 jours, 0,8 % au-delà de 80 jours, et dans 44 % des cas, ce prolongement – c'était l'objectif – a permis la réalisation de l'éloignement grâce à un taux d'obtention des laissez-passer consulaires qui atteint un niveau historique de 65 %. En arrière-plan, les discussions diplomatiques sont évidemment extrêmement importantes.

Il en résulte un taux d'occupation des centres de rétention administrative (CRA) en forte augmentation. Le Gouvernement a d'ailleurs engagé, sur la période 2018-2020, un plan d'augmentation de la capacité d'accueil des centres de l'ordre de 35 %, avec la création de 480 nouvelles places, pour accentuer encore notre capacité d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

L'augmentation de la capacité de rétention se traduit, en parallèle, par le renforcement des dépenses de santé dans les CRA. Il s'agit d'un aspect important, parce que, là encore, nous avions souhaité être vigilants dans l'application de la loi sur l'accompagnement des ressortissants en situation irrégulière retenus pendant une durée de rétention qui pouvait être prolongée jusqu'à 90 jours.

Au total, en 2020, les crédits de dépenses de santé pour les seuls CRA seront de 8,5 millions d'euros. Il s'agit d'un engagement très significatif. Depuis le mois de septembre, des permanences de psychologues sont déployées petit à petit dans les centres. Là aussi, cette mesure entre en résonance avec des débats que nous avions eus sur le défaut d'accompagnement psychologique des ressortissants en rétention.

5 millions d'euros ont également été consacrés au déploiement d'activités qui sont dites occupationnelles, c'est-à-dire qui proposent aux retenus un certain nombre de loisirs dans un contexte qui est, bien sûr, limité. Cela étant, un réel effort a été accompli de ce côté-là.

La rétention des familles avec mineurs ne relève pas à proprement parler de l'application de la loi dite Collomb. C'est plutôt d'un défaut de mesure dans ce texte auquel je vais faire référence. Il s'agit d'un sujet sur lequel nous avions beaucoup débattu, y compris avec nos collègues du groupe MODEM, et bien sûr au-delà.

En 2018, 108 familles et 197 mineurs ont été placés en rétention dans un des 11 centres habilités en métropole à recevoir des familles avec mineurs. Le nombre de familles concernées était de 153 en 2017. Cette baisse n'est pas négligeable, même si on constate un allongement, voire un doublement du délai de rétention. Nous étions, à quelques heures près, autour de 16 heures en 2017, contre 34 heures sur l'année 2018, avec un taux d'éloignement de l'ordre de 81 %. Vous voyez que, pour les familles avec mineurs, il y a une extension de la rétention mais qui est mesurée, 34 heures restant une situation soutenable. Cette augmentation reste cependant forte et il ne s'agit que d'une moyenne.

Sur ce sujet précis, la volonté du groupe majoritaire reste intacte. Il s'agit d'apporter des réponses très fortes et très progressistes sur la question de la rétention des familles avec mineurs. Nous sommes en discussion avec l'exécutif. Pour tout vous dire, une proposition de loi est prête à être déposée. Elle repose sur un dispositif qui me semble être à la fois sérieux et opérationnel : sérieux, car des situations nécessitent une rétention, à la veille d'un éloignement par avion, par exemple ; opérationnel, parce qu'il ne faut pas négliger que les services de l'État doivent pouvoir disposer d'un certain nombre d'outils pour procéder à l'éloignement.

La solution que nous proposerons le moment venu, je vous la délivre ici, bien que beaucoup d'entre vous la connaissent, car nous avons pu en discuter au cours des mois précédents, ce serait que la décision de placement des familles avec mineurs ne soit plus prise par l'autorité préfectorale, mais par un juge, en particulier le juge des libertés et de la détention (JLD). Cela ne serait pas l'abolition car il faut, dans certaines situations, pouvoir éloigner. Certains flux, en particulier de demandeurs d'asile, reposent en grande partie sur une immigration familiale. Cela est notamment le cas des ressortissants géorgiens ou albanais. S'il faut pouvoir maintenir des dispositions ciblées de rétention, nous souhaiterions que ce soit le JLD qui prenne cette décision parce qu'elle est lourde de sens et parce qu'elle concerne la question essentielle de l'intérêt supérieur de l'enfant.

À la suite du rapport d'Aurélien Taché, la question plus large de l'intégration et de l'accueil des étrangers en situation régulière a fait partie de nos priorités. D'ailleurs, il ne s'agit pas de la fin de l'histoire, puisque, comme le Premier ministre l'a dit dans l'hémicycle lundi, il y aura sans doute un repositionnement à opérer, pour la France, en termes de stratégie d'intégration. Cela étant, nous pouvons rappeler que la loi « Collomb » portait fortement la volonté d'attirer, en particulier en France, des ressortissants en capacité de contribuer d'une certaine façon au rayonnement de notre pays, à son attractivité et à son dynamisme économique. Elle a donc opéré un ciblage vers les plus diplômés, notamment avec le passeport talent qui a été étendu aux salariés d'entreprises innovantes ainsi qu'à toute personne susceptible de participer au rayonnement de la France.

La loi a également étendu la carte de séjour pluriannuelle de quatre ans « passeport talent » aux membres de la famille du titulaire de la carte qui n'ont plus à passer par la procédure du regroupement familial. Il s'agit là aussi d'une facilité qui accroît l'attractivité du dispositif.

Les effets de la loi sont déjà là puisque la délivrance de ces passeports est en hausse de 21 % en 2018. Si l'on essaye d'entrer dans une logique – je n'aime pas beaucoup le terme, mais il existe, autant l'employer – d'immigration choisie, en tout cas ciblée, il est possible d'obtenir, par des mesures législatives bien pensées, un impact immédiat. C'est le cas du passeport talent.

Pour terminer, la loi n'est qu'à mi-chemin, d'une certaine façon, dans sa mise en oeuvre. Le plein effet de ces dispositions n'a pas encore donné tous ses résultats. Des éléments conjoncturels – je parlais de l'augmentation l'année dernière de la demande d'asile – n'ont, par exemple, pas permis de raccourcir le délai de traitement de la demande d'asile.

Il faut rester prudent sur l'appréciation des conséquences de la loi. Celle-ci a permis de poser les fondamentaux et les bases d'une stratégie sur la question migratoire. Mais si nous avons souhaité, à la suite de la proposition, de la demande même, du Président de la République, débattre de cette question à nouveau, c'est parce que nous voyons bien que l'enjeu est beaucoup plus global, et qu'au fond il ne relève pas du seul giron du ministère de l'Intérieur. En effet, la question n'est pas simplement celle du droit des étrangers ou du droit des demandeurs d'asile. Notre spectre doit être plus large.

Sur la question de l'intégration par exemple, notre vision institutionnelle s'est souvent fondée sur les choses essentielles que sont la formation linguistique et la formation aux institutions françaises de la République française. Mais l'intégration, c'est bien plus : l'accès au travail, l'éducation, la santé, le logement, l'urbanisme ou la politique de la ville. En conséquence, vous comprendrez que mon intervention ne soit qu'un point d'étape très provisoire.

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