Vous ne serez pas surpris que nous ayons une autre lecture de l'efficacité de cette loi. Aujourd'hui, nous constatons une décorrélation entre le titre de la loi, prétendument sur l'asile et l'immigration, les mesures qu'elle contient et celles qui sont effectivement mises en application : l'asile devient l'outil de la politique migratoire de ce Gouvernement qui n'a pas de politique d'immigration. Cela a conduit à une augmentation conséquente des demandes d'asile et fragilise l'ensemble de notre dispositif de protection des populations fragiles. Je rappelle les faits : en 2017, 100 000 demandeurs d'asile ; en 2018, 122 000 ; en 2019, nous devrions terminer l'année autour de 140 000 demandes.
Cette augmentation du nombre de demandes d'asile est d'autant plus surprenante qu'une grande partie du flux vient de pays d'origine sûrs. Je pense notamment aux 15 % de demandeurs d'asile enregistrés en France qui sont originaires de l'Albanie ou de la Géorgie.
Tout cela est le résultat de l'absence de politique d'immigration, qui fait que les flux se reportent sur l'asile, ce qui affecte l'efficacité de sa procédure. Malgré le développement, par la loi, de la procédure accélérée, le temps de traitement des demandes d'asile n'a pas baissé, alors que c'était l'un de ses objectifs centraux.
L'augmentation du nombre de procédures accélérées n'a donc pas eu pour conséquence la diminution du délai de traitement. Il s'agit d'un élément important à rappeler lorsque l'on observe ou lorsque l'on souhaite observer l'efficacité ou la mise en application de la loi que nous avons votée.
Nous devrons observer dans l'année qui vient les effets réels de l'élargissement du regroupement familial, pour sa première année d'application. On peut anticiper une accélération du regroupement familial, nouvelle version. Je rappelle que cette vision du regroupement familial organise l'irresponsabilité des parents, qui peuvent envoyer en première ligne un mineur sur le territoire français qui, une fois présent, pourra faire venir non seulement un parent pour le protéger, mais aussi faire rapatrier ses frères et soeurs, la fratrie complète, qu'ils soient ou non en danger dans le pays d'origine. Il conviendra d'observer cet élément très précisément dans les mois à venir.
Sur la réalité du traitement des demandes d'asile, j'aimerais d'abord rappeler que 90 % des demandeurs sont déboutés. Cela étant, le nombre d'éloignements a été réduit de 20 %, alors même que le nombre de demandes a augmenté et que le taux de rejet n'a pas diminué. L'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) atteint seulement 10 %, et le nombre d'éloignements forcés a baissé de 30 %.
Voilà autant d'éléments convergents démontrant qu'il existe, finalement, deux façons d'entrer en France par l'asile. La première est d'arriver et d'obtenir le droit d'asile ; la seconde est d'être débouté et de rester de façon irrégulière sur le territoire national. Cela est bien la preuve qu'il n'y a pas de politique migratoire, ni de fermeté dans les décisions de l'État. C'est d'autant plus grave que nous constatons dans le projet de loi de finances pour 2020 une baisse de 10 % du budget consacré à la lutte contre l'immigration irrégulière. Cette baisse est incompréhensible étant donné la dynamique importante des chiffres de l'immigration et de la demande d'asile corrélés à une stabilité du taux de rejet.
Je me suis également inquiété de l'augmentation du délai sur les recours formés contre les décisions d'asile. In fine, cette extension du délai produit un allongement du temps de présence irrégulière sur le territoire, qui conduit à une installation de plus en plus pérenne sur le territoire national qui rend plus difficile l'expulsion une fois la demande déboutée.
Tout cela nous conduit à nous interroger, comme nous l'avions fait au moment du vote de ce texte, sur la pertinence de ses dispositions et à rappeler que cette loi est avant tout technocratique. Le traitement administratif des demandes n'a ni changé, ni dérapé sans être pour autant plus efficace. Elle a finalement renforcé l'illisibilité de notre stratégie migratoire sur le plan international et conduit à une augmentation des interprétations opportunistes faites par les migrants.
Je rappelle ce que nous demandions en 2018 et que nous continuons à demander aujourd'hui : le rejet d'une demande d'asile doit automatiquement être accompagné d'une OQTF qui doit être mise en oeuvre. Par cette seule façon l'État pourra redorer et rendre à nouveau lisible, compréhensible et protecteur, le droit d'asile auquel nous sommes particulièrement attachés.