Intervention de Valérie Boyer

Séance en hémicycle du mercredi 30 octobre 2019 à 15h00
Condamnation de l'offensive militaire turque dans le nord-est syrien — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Boyer :

Nous devons nous prononcer aujourd'hui sur une proposition de résolution tendant à condamner l'offensive militaire turque dans le Nord-Est syrien. Je tiens, au nom du groupe Les Républicains, à saluer les présidents de groupe qui ont soutenu cette initiative. C'est l'honneur de notre assemblée.

Depuis le 9 octobre, la Turquie a lancé des opérations militaires dans le Nord de la Syrie contrôlé par les Kurdes. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé de « chasser les terroristes » de la frontière syro-turque si les milices kurdes syriennes ne se retirent pas de cette zone dans les délais prévus par l'accord conclu entre Ankara et Moscou.

Tirons les enseignements du passé : en Syrie comme en Irak, le chaos a toujours profité aux extrêmes, aux islamistes. Ce chaos, la Turquie d'Erdogan est en train de le reconstituer. C'est cette même Turquie qui a passé avec la France et avec l'Union européenne un accord de sous-traitance : celle des djihadistes et des réfugiés, ce qui ouvre aujourd'hui la voie à tous les chantages. C'est cette même Turquie qui occupe, depuis 1974, un État membre de l'Union européenne, Chypre, dans l'indifférence générale.

C'est cette même Turquie qui a pour seuls principes la réislamisation du pays et le retour de l'Empire ottoman, qui légitime les nombreuses violences commises à l'encontre des minorités et des femmes, que M. Erdogan considère comme de « simples gestatrices ».

Cette même Turquie a contribué, à la faveur d'une passivité générale, au financement de Daech, en laissant passer des camions remplis de pétrole. Cette même Turquie, enfin, a laissé entrer les futurs djihadistes européens !

L'offensive turque en Syrie est une triple faute. C'est d'abord une faute sécuritaire : des dizaines de milliers de prisonniers djihadistes se trouvent au nord-est de la Syrie. Leur dispersion aurait des conséquences graves pour notre sécurité. Même si les Américains, avec la coalition, ont permis la mort du leader de Daech, cette guerre n'est malheureusement pas derrière nous puisque 10 000 djihadistes, dont 500 Français, seraient emprisonnés par les Kurdes. Où sont-ils ? Que vont-ils devenir ?

La sécurité, c'est la première des libertés, le pilier de la cohésion de notre société. Nous ne pouvons que redouter qu'un seul de ces bourreaux entre à nouveau sur notre sol. Soit les forces spéciales françaises sont en capacité opérationnelle de sécuriser les camps où sont détenus les islamistes, soit la France demande et organise leur transfert vers l'Irak.

Une chose est sûre : ces islamistes ne doivent tomber ni entre les mains du régime syrien, ni entre celles de Recep Tayyip Erdogan, le risque d'un chantage étant beaucoup trop élevé.

Cette attaque est, deuxièmement, une faute humanitaire. Depuis le début du mois, nous ne pouvons que déplorer la mort de plusieurs centaines de personnes, dont des civils, dont plus de 300 000 ont été jetés sur les routes.

La France doit le rappeler : il s'agit d'éliminer les Kurdes et de les remplacer par des réfugiés syriens, qui seront redevables au président Erdogan. Encore un nettoyage ethnique ! Une enquête de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques a d'ailleurs été ouverte : du phosphore blanc aurait été utilisé contre des Kurdes. Après le massacre des chrétiens d'Orient, nous assistons aujourd'hui, avec la même passivité, à un véritable nettoyage ethnique, comme si l'histoire se répétait inlassablement dans cette zone.

Abandonner les Kurdes est enfin une faute morale. Erbil, Kobané, Raqqa… Le nom de ces villes nous est malheureusement familier. Les Kurdes ont payé, et continuent encore, à nos côtés, de payer le prix du sang dans la guerre contre le totalitarisme. Les femmes kurdes, véritables amazones, forcent notre respect et notre admiration. Abandonner les Kurdes serait nous renier. Les ignorer, nous trahir. La France ne doit avoir qu'une parole, celle de l'honneur et de la fidélité à ses alliés.

Interdisons le survol aérien des avions turcs qui bombardent les populations civiles alors qu'elles essaient de fuir. Imposons de vraies sanctions économiques à la Turquie, qui exporte 50 % de sa production vers l'Union européenne. Il existe également des solutions diplomatiques qui ne sont pas utilisées : pourquoi ne rappelons-nous pas notre ambassadeur à Ankara ? Pourquoi les pays européens ne se liguent-ils pas pour le faire ensemble ?

Disons clairement à la Turquie qu'elle n'entrera jamais dans l'Union européenne, et qu'il est urgent, dans ces circonstances, de nous interroger sur sa présence au sein de l'OTAN. Ne faut-il pas envisager une réforme de l'Alliance afin de pouvoir exclure, ou du moins avertir l'un de ses États membres dont le comportement est contraire aux valeurs défendues par l'Alliance depuis sa création ? Ce chantage doit cesser !

Mettons un terme, enfin, à l'effacement de l'Hexagone de la scène internationale. La France a un rôle primordial à jouer. Elle doit soutenir une initiative puissante, européenne, diplomatique, afin de mettre autour de la table toutes les personnes qui peuvent arrêter ce conflit. L'indignation est nécessaire, mais ne sauve pas les vies. La diplomatie occidentale a été jusqu'à présent un échec.

Lors de son arrivée à l'Élysée, l'actuel président de la République défendait une ligne gaullienne, entre les États-Unis et la Russie. Il faut que s'ouvre une nouvelle page. Nous devons parler à la Syrie et à la Russie ; nous devons, surtout, aboutir à des solutions.

Ces solutions seront symboliques, mais manier le symbole sur la scène mondiale demeure essentiel pour faire triompher une volonté politique. Churchill disait en 1938, après les négociations de Munich : « Vous aviez à choisir entre le déshonneur et la guerre ; vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. » Il est encore temps d'éviter à la fois la guerre et le déshonneur. Une partie de l'histoire de l'humanité, de notre histoire, est en train de s'écrire. Faisons en sorte que cette histoire ne s'écrive pas sans l'Europe et sans la France.

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